«Ces démocrates sûrs d’incarner la vertu qui ne cherchent pas à réconcilier les Américains»

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Aujourd’hui comme hier, une pression s’exerce sur les Américains afin de les faire adhérer à une orthodoxie idéologique édictée par les militants de la gauche «woke», s’inquiète l’avocat et essayiste Renaud Beauchard*, professeur associé à l’American University Washington College of Law à Washington DC.

 

Nous avons déjà une idée très précise de ce qu’implique l’appel à l’unité lancé par Joseph Biden depuis son élection. Comment peut-on en effet parler d’unité dans un contexte caractérisé par une vague de censure sans précédent orchestrée par la Silicon Valley qui sévit depuis les événements du Capitole?

Est-il sérieux d’appeler à la réconciliation nationale tout en annonçant que la priorité de l’Administration Biden dans l’aide accordée aux PME pour rouvrir et reconstruire après le Covid ira aux entreprises détenues par des Noirs, des Latinos, des Asiatiques, des Amérindiens et des femmes? Ou en soutenant sans preuves qu’une occupation semblable à celle du 6 janvier par des militants Black Lives Matter aurait été réprimée de façon beaucoup plus violente?

Parler d’unité ou de réconciliation comme le fait Biden est tout simplement une impossibilité en raison de la philosophie morale qui constitue le cœur idéologique de la gauche américaine depuis de nombreuses années.

Essayons de nous interroger un instant pour savoir à quoi ressemble le ressenti quotidien des Américains en fonction de leur sensibilité politique. Si vous êtes d’une sensibilité qui vous rapproche du Parti démocrate, tout est conçu pour vous flatter et vous persuader que vous appartenez au cercle de la raison et de la vertu sans jamais en questionner le bien-fondé moral. Les programmes des chaînes d’information en continu, les séries et les films, les formations des départements des ressources humaines, les panneaux publicitaires, les slogans des supermarchés et des restaurants, les devoirs scolaires de vos enfants, les sportifs agenouillés à la télévision en hommage à George Floyd, tout est à l’unisson de ces écriteaux où l’on lit des slogans de vertu ostentatoire et que de nombreux Américains plantent désormais dans leur jardin.

En revanche, sans même aller jusqu’à être un fervent supporteur de Trump, vous êtes classé ipso facto dans le camp des «déplorables» si vous n’adhérez pas en bloc à ce prêt à penser. Ou si vous avez le malheur de suggérer que l’oubli, au milieu de tout ce catéchisme, d’une référence au travail et aux inégalités économiques n’est peut-être pas étranger aux raisons qui ont poussé tant d’électeurs dans les bras de Trump. Et lorsque vous êtes un homme blanc, hétérosexuel et père de famille, vous subissez un sermon permanent. Quelle que soit votre conception de la vie bonne, si vous ne vous conformez pas à la lettre au programme moral performatif du camp du bien, vous vivez dans un constant rappel que vous êtes banni du cercle de la raison et de la vertu. Peu importe que vous meniez votre existence d’une façon très proche ou à l’opposé de vos compatriotes qui vivent dans la foi de l’ordre moral, c’est tout votre mode de vie qui fait l’objet d’une excommunication.

Au cours de l’année 2020, cette séparation a considérablement empiré. Mal penser (par exemple émettre des réserves sur le fait que des hommes biologiques soient habilités à concourir dans des compétitions sportives féminines) est de plus en plus périlleux pour occuper ou conserver son emploi, des sources de rémunération ou une respectabilité sociale. Et en ces temps de crise sanitaire, vous voilà aussi devenu un criminel parce que vous avez partagé le repas de Thanksgiving avec des parents ou des amis ou un dangereux irresponsable parce que vous vous rendez à l’église le dimanche.

On connaît le projet des autorités chinoises visant à mettre en place un système national de réputation des individus et des entreprises. Ce système dit de «crédit social» vise à renforcer le conformisme collectif et le respect d’une orthodoxie idéologique. Eh bien, dût-on paraître provocateur, on soutient que le même système existe déjà de façon informelle aux États-Unis. Si vous bravez l’interdiction des rassemblements pour vous rendre à une manifestation Black Lives Matter, vous recevez des bons points dans le système de «crédit social» américain. En revanche, rendez-vous à un meeting de Trump, et vous voilà devenu un super spreader du Covid.

Et depuis les événements du 6 janvier, si vous émettez le moindre doute sur l’intégrité de l’élection de 2020, vous êtes étiqueté comme «terroriste domestique», alors que vous venez de vivre pendant quatre ans au son de la rengaine relayée 24 heures sur 24, 365 jours sur 365 que l’élection de 2016 était le produit de l’influence de la Russie, allégation formellement invalidée au terme de l’enquête du procureur spécial Mueller.

La ligne de fracture politique qui divise l’Amérique en deux n’est pas organisée autour de conceptions rivales de l’organisation économique, mais autour d’une hiérarchie morale, à laquelle l’idée de bien commun est étrangère. Le Parti républicain de Newt Gingrich avait montré la voie dans les années 1990 en diabolisant l’opposition dans des proportions inédites, mais les démocrates ont depuis dépassé les maîtres. Ayant troqué la défense des intérêts du travail pour ceux de l’innovation et de l’expertise, et étant ainsi devenu le parti chéri des donateurs, le Parti démocrate a consacré l’essentiel des trente dernières années à constituer une machine de guerre ayant pour cœur la philosophie morale «woke». Composée d’ONG, de fondations, de départements diversités insérés dans toutes les structures bureaucratiques, cette machine a peu à peu réussi à faire que toute la société américaine a été gagnée par le langage toxique de la gauche universitaire, supplantant la vieille aspiration à la social-démocratie.

Contre toute attente, l’élection de 2016 avait signé le retour au premier plan du champ de la contestation des inégalités économiques laissé en jachère et récupéré par un outsider. Il était parvenu à convaincre les électeurs de plusieurs États de la «Rust Belt» que le Parti démocrate vivait depuis longtemps à leurs dépens sur le capital emprunté de la division dépassée du Parti républicain comme parti des affaires et des démocrates comme parti du travail. Maintenant que le danger que Trump représentait pour les démocrates est écarté, ses anciens électeurs sensibles au discours sur les inégalités économiques vont-ils voir leur sort amélioré par des politiques moins défavorables à leurs intérêts? Nullement. Le risque est au contraire de bannir du champ de la respectabilité politique toutes leurs revendications dont Trump s’était fait le porte-parole. Et de traiter en séditieux tout Américain qui prétendrait y rester fidèle.

* Renaud Beauchard est l’auteur de Christopher Lasch. Un populisme vertueux (Michalon, collection «Le bien commun», 2018).
Pris de : Confédération des Juifs de France et amis d’Israël

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