La « ‘alia » de Jérémie…

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Jérémie Berrébi, vous avez surpris dans votre « jeunesse » (entre guillemets, car elle n’est pas encore très éloignée) par une percée remarquable, et remarquée, dans le domaine d’internet. Pouvez-vous préciser ?

J’ai découvert Internet en 1994 alors que j’avais 16 ans. A l’époque, nous étions très peu nombreux. Peut-être une dizaine de milliers en France. J’ai commencé par être journaliste informatique pour PC Direct, responsable de forums sur Internet entre autres pour la chaine CNN, auteur d’un livre sur CompuServe (un réseau privé parallèle d’Internet), journaliste à quasi plein temps pour ZDNet et en 1997, à 19 ans, je lançais ma première entreprise.

Le fait que j’étais jeune et que les investisseurs couraient après moi pour investir dans mon entreprise on fait que j’ai été mis en avant mais c’était une période pas facile. J’étais le plus jeune de ma société à diriger plus de 40 personnes toutes plus âgées que moi sur un marché naissant et complexe. C’est une période que je ne regrette pas.

Comment abandonne-t-on de tels espoirs, ou alors est-ce le lot de nombre de personnes de nos jours : on réussit, on vend et on continue… C’est ce qui s’est passé avec vous alors ?

Le monde de l’entreprise n’est pas ma vie. Je n’ai aucune attache à mes entreprises. J’en ai eu au tout début, mais aujourd’hui je prends les choses de manière plus rationnelle. Ma principale vie tourne autour de ma famille et de ma Avodath Hachem.

Quand en 2004, le même jour, j’ai eu une offre de rachat de mon entreprise et une offre de rachat de mon appartement (j’étais marié avec 2 enfants à l’époque), je ne pouvais que sauter sur l’occasion. Je n’avais aucun doute que je faisais le bon choix. Quelques semaines plus tard, nous nous sommes installés à Ra’anana puis 3 ans après à Bené Brak.

Vous arrivez en Erets Israël, marié avec déjà quelques enfants donc, mais pas dans une ville par trop engagée sur le plan religieux. Qu’est-ce qui se passe alors avec vous ?

Je me souviens avoir eu plusieurs échanges avec rav Kahn, dirigeant de Kountrass avant et après notre arrivée ainsi que plusieurs autres rabbanim. Comment un Juif religieux français qui étudie quelques heures par jour doit il arriver en Israël ? Dans quelle ville habiter?

Les réponses étaient très complexes et personne n’avait la réponse.

J’ai appris qu’un très bon Kollel francophone était ouvert à Ra’anana depuis quelques mois, que la ville était agréable, cela paraissait correspondre à ce que nous recherchions avec ma femme. L’immobilier était bien plus abordable à l’époque. J’y ai pu acheter une villa pour le prix d’un appartement d’aujourd’hui !

Jeremi_Berrebi1

Nos enfants étaient petits. Nous avons vite trouvé les bons ganim pour eux ainsi qu’un Talmud Tora ‘harédi israélien pour nos garçons mais après avoir “assisté” à la “parade de Pourim” de la ville (une vraie horreur), nous étions très inquiets pour nos filles et avons décidé de partir le plus rapidement possible après 3 ans sur place.

Nous ne nous sentions pas spécialement en Israël en étant à Ra’anana. Les voitures circulaient le Chabbath. Notre vie n’était pas si différente que celle de Paris et c’était dommage.

Nous connaissions beaucoup mieux Bené Brak qui est une ville bien plus ouverte et agréable que l’on peut l’imaginer. C’est une ville qui vit tout le temps, à n’importe quelle heure et dont la priorité de la quasi totalité des habitants est le respect de la Tora et des mitsvoth. Le Limoud y  a une place très particulière. C’était exactement ce dont nous avions besoin et nous avons décidé de nous y installer début 2008.

A présent, que suggéreriez-vous à d’autres personnes situées à peu près sur la même trajectoire que vous ? Directement Bené Brak ? Ou alors le passage par des localités moins engagées n’est-il pas obligatoire ?

Je pense que si des parents sont clairs dans leur tête et souhaitent vivre une vie de Tora et faire une véritable ‘Alya, Bené Brak est l’idéal. On peut y travailler et être en plein milieu du centre économique du pays.

S’ils ne souhaitent pas y aller, les parents doivent être certains que les villes dans lesquelles ils s’installent soient desservies en structures scolaires orthodoxes. Les écoles israéliennes/laïques n’ont rien à voir avec les écoles juives de France. Un pourcentage infime en sortent en étant encore chomré Chabbath, en mangeant cacher ou avec une quelconque yirath Chamaim. Une vraie shoah spirituelle. Il vaut mieux rester en France ou aller ailleurs plutôt qu’amener ses enfants dans des écoles israéliennes laïques. Je ne parle pas de la télévision israélienne qui est bien pire que tout ce que l’on a pu connaitre en France. Je sais que cela choquera beaucoup mais Netanya est une ville très dangereuse par exemple. Seulement certains petits quartiers religieux peuvent permettre une sauvegarde de son judaïsme. Les autres sont catastrophiques. Il n’y a, par exemple, aucun gan orthodoxe à Kiriat Hacharon alors que beaucoup de français sont sur place. Quand ils vont voir la mairie, on leur répond mais vos enfants sont petits, “mettez les dans des ganim laïques, cela ne change rien” alors qu’au contraire, c’est lors des premières années de la vie que l’éducation est la plus importante.

De toutes façons, il faut en permanence demander conseil à des Rabbanim pour n’importe quel choix de vie. Même la rue dans laquelle vous décidez de vivre peut changer le cours de votre vie. Choisissez avec eux, la ville qui conviendra le mieux à votre famille.

JB Photo mini (from iMac)

A Bené Brak, vous vivez quelque peu à la lisière, vers Ramat Gan. C’est volontaire ?

Absolument pas. Les petites annonces/Hachem nous ont envoyé sur place. Le quartier/la rue est remplie d’avrekhim. J’avais appelé rav Dreyfuss, l’un de mes rabbanim, pour lui demander son avis, il m’avait répondu : “Ma fille et mon gendre viennent de s’installer dans la même rue. C’est superbe…”

Nous nous sommes rendu compte après avoir visité le lieu que Ramat Gan n’était pas loin (en même temps, Ramat Gan est à moins de 10′ de quasiment n’importe quel point de Bené Brak).

Toutefois, quand on vit à Bené Brak, on sort très rarement de la ville, voire quasiment jamais.

Comment vous sentez-vous intégré dans cette ville ?

J’étudie et prie dans un Kollel Netz le matin (avant le lever du soleil). Nous sommes 400 personnes. Ambiance magique.

Nous avons de bonnes écoles pour nos enfants, de bonnes relations avec les rabbanim, la municipalité… Mon fils aîné rentre en Yechiva… J’ai une superbe ‘havrouta… Tout va bien.

Vous avez combien d’enfants ? Quel est votre programme pour eux – les laisser dans la voie entièrement orthodoxe, ou ajoutez-vous quelques matières profanes ? Et que prévoyez-vous pour leur avenir ?

12 enfants Baroukh Hachem. Ils étudient tous dans des programmes 100% orthodoxes sans étude profane (à part les études basiques des talmudé Tora). Je ne suis pas un fan des études universitaires mais plutôt des formations professionnelles pointues. Quand le moment sera venu, ils pourront étudier ce qu’il leur faudra pour exercer un potentiel métier.

 Quel est votre programme de la journée ?

J’étudie le matin de 4 h 30 – 5 h à 7 h (en priant au milieu), je rentre chez moi accompagner mes enfants à l’école ou me reposer et je reprends le limoud de 8 h 30 à 11 h ou jusqu’à 12 h 30 le dimanche. Le reste du temps je travaille et reste avec ma famille. Je fais très peu de RDV face à face et travaille quasi exclusivement par email ou vidéoconférence.

 Votre positionnement social d’un côté, et votre engagement religieux de l’autre, ne lassent d’étonner le monde duquel vous sortez, y compris des gens proches du pouvoir en France. Pouvez-vous donner un ou deux exemples, et dire comment vous leur expliquez votre « double-allégeance » ?

J’ai toujours été le Juif de la High tech qui mange cacher, qui respecte Chabbath coute que coute. Le fait de m’être renforcé dans le Limoud (et Hachem sait à quel point j’ai encore un chemin gigantesque à parcourir) a rendu ma position encore plus spéciale. Le monde cherche du sens à la vie… Les jeunes passent leur temps sur leur smartphone, sur snapchat, à faire défiler des fils Facebook sans savoir ce qu’ils cherchent. Le fait de savoir que quelqu’un comme moi qui connait si bien la High Tech donne d’autres priorités fait des émules.

Il m’arrive régulièrement de déjeuner avec des délégations de dirigeants d’entreprises du monde entier que j’amène diner dans de très bons restaurants cacher lamehadrin.

Lors de son dernier passage à Tel Aviv, Manuel Valls, Premier Ministre français, devait visiter un lieu de la scène High Tech. C’était un dimanche matin. On m’a demandé de faire le discours de bienvenue et de présentation de la Frenchtech locale. J’ai refusé. C’étaient pendant mes heures de Limoud. Les représentants du service économique de l’ambassade n’en revenaient pas.

Autre anecdote : j’ai pu aussi dîner en 2000 avec les 12 ministres de l’industrie européen à Bruxelles avec un repas cacher glatt devant moi. Ils étaient tous étonné mais cela s’est très bien passé.

Dernière question : à refaire votre vie, vous la verrez comment ?

Je suis et resterais un grand frustré de ne pas avoir étudié en Yechiva pendant ma jeunesse mais il semble que Hachem en a décidé autrement. J’ai un autre rôle à tenir.

En même temps, je conseille à tous les jeunes de passer quelques années en Yechiva le plus rapidement possible.

Il y a une grande idolâtrie envers les grandes écoles et études chez les Juifs. Au final, sondez autour de vous et vous remarquez que la quasi-totalité des étudiants font un métier aujourd’hui qui n’a rien à voir avec ce qu’ils ont étudié. Autant passer son temps à découvrir le bonheur du Limoud à la place. Même remarque pour les jeunes filles qui ont intérêt à passer quelques années en séminaire avant de démarrer leur vie professionnelle.

 

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