Antisémitisme : «Après 18 heures, quand la nuit tombe, on ne met plus la kippa»

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Dans le quartier surnommé la Petite-Jérusalem à Sarcelles (Val-d’Oise), la communauté juive, l’une des plus importantes d’Ile-de-France, est visible, décomplexée, assumée. Il y a des boucheries cacher, une librairie hébraïque, deux synagogues, des écoles privées juives… « Mais dès que vous passez de l’autre côté de la rue, il n’y a plus rien. Nous devenons invisibles », relève Yoann, 46 ans. Les kippas sont rangées dans la poche ou camouflées par une casquette.

Une sorte de réflexe nourrit par un « climat nauséabond et une appréhension », pense Jonathan. Et un traumatisme, aussi. En juillet 2014, une manifestation « pro-palestinienne », interdite, avait dérapé en émeute antisémite. Des dizaines de jeunes avaient attaqué la grande synagogue en balançant des cocktails Molotov et fumigènes en direction du lieu de culte. Depuis, la communauté juive se replie sur elle-même, envahie par une sorte de psychose. Sans qu’il n’y ait une recrudescence d’actes antisémites dans la commune, louée pour son « vivre-ensemble ».

Jonathan, 40 ans, entrepreneur dans le BTP, ne porte quasiment plus jamais sa kippa, par prévention. « Je ne la mets que pour aller à la synagogue. À mes enfants, je demande de n’avoir aucun signe extérieur religieux. J’ai trop peur qu’ils se fassent agresser, c’est une vraie angoisse. Vivons bien, vivons casher comme on dit ! » Son fils de 14 ans aurait été traité de « sale juif » en pleine rue il y a une semaine.

Jonathan, 40 ans, entrepreneur dans le BTP, ne porte quasiment plus jamais sa kippa, par prévention. LP/Philippe Lavieille
Jonathan, 40 ans, entrepreneur dans le BTP, ne porte quasiment plus jamais sa kippa, par prévention. LP/Philippe Lavieille  

Le chef d’entreprise, d’origine séfarade, est exaspéré par la « bunkerisation » des lieux de cultes. Pointant du doigt l’immense palissade grise de la synagogue de Sarcelles, les caméras installées au coin de la rue… « On dirait une caserne, il y a un sas pour entrer. Devant les écoles juives, vous avez des militaires maintenant, se désole Jonathan. On se sent en danger, on a l’impression que l’on veut nous effacer. Donc il y a une réaction en chaîne et on se cache nous-mêmes. »

Aaron, Eykan, Elliron et Samuel, âgés de 16 ans et tous inscrits dans le lycée privé juif Ozar Hatorah, n’affichent aucun signe d’appartenance à la communauté une fois les pieds en dehors du quartier. En bas de leur immeuble, voisin de la synagogue, ils s’en vont jouer au football, sur un terrain à quelques centaines de mètres. « On va enlever la kippa sur le chemin », prévient Eykan.

Ils se conforment à des « règles » imposées par leurs parents. Et par eux-mêmes. « Après 18 heures, quand la nuit tombe, on ne met plus la kippa. Dans le tram, le RER ou le métro, pareil, confie Aharon. Ce sont des réflexes. Sinon, c’est trop dangereux. » « Moi, parfois, je mets une casquette pour camoufler, nuance Samuel. Il n’y a que dans ce quartier qu’on peut être tranquille, sans avoir peur de se faire insulter ou agresser. »

La Petite-Jérusalem, où la majorité des habitants de confession juive sont réunis, traduit un repli sur soi. « C’est un regroupement naturel. Ce n’est pas une envie d’exclure les autres ou de créer un ghetto. C’est par commodités, justifie Florence, 51 ans, professeur dans une école privée juive. La communauté se rétrécit. Avant, vous aviez des Juifs dans tous les quartiers. C’est dramatique que les jeunes n’aillent plus n’importe où avec leur kippa… »

Mickaël, 46 ans, dit n’avoir « jamais été embêté ». Il refuse d’adapter sa tenue ou son comportement en fonction d’où il met les pieds. « Sauf quand je sens que c’est trop chaud, indique-t-il. Mais je considère que j’ai ma place dans la rue, comme tout le monde. Je ne veux pas me laisser intimider ou envahir par la peur. Je ne suis pas du genre à faire profil bas. »

Source www.leparisien.fr

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