Arabe, musulman et sioniste

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LeMondejuif

Yahya Mahemed a lui-même grandi dans l’idée qu’Israël était un régime d’oppression, l’incarnation du mal. « Je me souviens qu’étant enfant, la seule chose que montrait la télévision était la Palestine, Israël opprimant la Palestine, les Israéliens tuant les Arabes et les Arabes tuant les Israéliens. Rien d’autre. Tout mon monde, l’école, la télé et la communauté où je vivais, était empreint du conflit », relate-t-il encore. « Quant à moi, j’étais un Arabe, et donc un Palestinien. Voilà ce qu’on m’avait appris. Jusqu’à ce jour où nous nous sommes rendus en Cisjordanie pour voir de la famille. J’ai alors remarqué que nos cartes d’identité étaient différentes des leurs. Pour la première fois de ma vie, je me rendais compte que j’étais israélien », dit-il. « Vous comprenez, enfant, j’avais été bercé par l’illusion que c’était soit Israël, soit la Palestine, mais pas les deux. Je n’ai pas reçu d’éducation, seulement de la propagande. A l’école, par exemple, on nous apprenait que ce qu’avait fait Hitler était une bonne chose, et qu’il avait intentionnellement laissé un petit groupe de juifs en vie afin que le monde puisse comprendre pourquoi il avait tué les autres. »

« Le problème à qu’à Umm el-Famm », souligne le jeune homme, « c’est qu’il n’y a personne pour vous donner un autre point de vue et faire contrepoids. C’est le narratif qui domine là-bas depuis trente ans, et il est sacré. Jusqu’en 2011, j’étais donc profondément anti-israélien. » Yahya fait une pause. « Personne n’est foncièrement contre Israël, c’est juste que ces gens sont incapables de penser par eux-mêmes parce qu’ils n’y ont jamais été autorisés. » Et d’évoquer les mosquées, utilisées à des fins politiques, dans lesquelles résonnent chaque vendredi des sermons en faveur de l’Etat islamique.

L’éveil d’une conscience

Yahya Mahemed raconte comment il s’est mué en musulman sioniste. « Tout a commencé alors que je suivais un programme gouvernemental pour apprendre la mécanique automobile. Je précise qu’en tant qu’Arabes, nous ne sommes pas obligés de nous enrôler et qu’à la place l’Etat organise des programmes spécifiques au lycée. Un jour, je passais à côté d’une carte du monde accrochée au mur et j’ai essayé de trouver mon pays. Mais il ne s’y trouvait pas. A la place, le mot Palestine était écrit en gros sur toute la zone. Pourtant, je me trouvais bien dans une école israélienne. Je me suis alors dit “Attends une minute, ce n’est pas correct…” Bien que je m’identifie à l’idée de la Palestine, ce qui était mentionné était faux. Je l’ai dit à mon ami dont le père était inspecteur et deux jours après, l’inscription était retirée. » Le sourire de Yahya laisse apparaître deux fossettes. « J’imagine que c’était le démarrage non intentionnel de mon activisme pro-Israélien », plaisante-t-il.

Arrivé en classe de terminale, Yahya se met en quête d’un job d’appoint. Seulement, à l’époque, ses lacunes en hébreu et anglais restreignent ses possibilités. « Le Mouvement islamique fait cela à escient. De cette façon, il empêche les Arabes de communiquer avec le reste du monde et d’échanger des idées. Et cela fonctionne très bien », assure-t-il. Il trouve tout de même un emploi d’aide-serveur dans un hôtel de Tel-Aviv et raconte son appréhension avant de commencer, nourrie par les affreuses choses qu’il avait toujours entendues à propos des Juifs. Ses craintes, cependant, se dissipent rapidement au contact du manager qui le prend vite sous son aile, lui enseignant avec bienveillance tout ce qu’il lui faut connaître du métier. « Un soir, pendant Souccoth, alors que j’attendais le bus, un ‘Habad est venu vers moi et a commencé à me raconter avec passion à quel point il était important de secouer le loulav [branche de palmier]. Je l’ai laissé terminer, puis je lui ai dit que je n’étais pas juif. Son visage a pris une expression de tristesse, mais il m’a toutefois répondu : “Peu importe, que tu sois juif ou non, l’important est que tu sois quelqu’un de bien.” Le manager de l’hôtel s’était montré très amical, tout comme les autres Juifs de l’établissement qui étaient accueillants et tolérants à mon égard. Et maintenant, il y avait ce ‘Habad qui me disait que ce n’était pas grave si je n’étais pas juif, pourvu que je sois une bonne personne. Ce que j’étais en train de vivre contredisait en tout point ce que l’on m’avait enseigné jusque-là. On m’avait appris que les Juifs, en tant que peuple élu, se considéraient comme supérieurs. Mais je réalisais peu à peu que tout ceci était faux. »

 

Puis, un matin d’été 2014, la nouvelle qui allait bouleverser la vie de Yahya est tombée : trois adolescents juifs avaient été kidnappés par le Hamas. « J’ai été saisi d’effroi. J’ai immédiatement pensé qu’il aurait pu s’agir de mes amis. En cherchant des informations sur Internet, je suis tombé sur la campagne intitulée Bring back our boys (Rendez-nous nos garçons). Je m’y suis joint sans hésiter, en postant en ligne une photo de moi avec un drapeau israélien. C’est là que mon enfer a commencé. »

Yahya a alors reçu un coup de téléphone de la part d’un commerçant d’Umm el-Fahm, lui disant qu’il devait aller voir la police, car les gens de la localité commençaient à parler de lui, et que cela ne présageait absolument rien de bon. Son post était devenu viral, et parmi les 400 notifications reçues sur Facebook, beaucoup étaient des menaces de mort. « J’ai dû quitter mon emploi. Je suis resté enfermé à la maison pendant deux mois et je n’ai pas pu passer mes examens du baccalauréat. » La police a mis du temps avant de réagir, mais au final, huit personnes ont été arrêtées pour avoir menacé Yahya de mort. Encore aujourd’hui, le jeune homme ne se déplace qu’en voiture à Umm el-Fahm, car il ne s’y sent plus en sécurité.

Libre-penseur

Le jeune homme souligne que beaucoup d’Arabes ont connu un parcours semblable au sien. Après avoir rencontré des Juifs, ils se sont aperçus que tout ce qu’on leur avait dit à propos de ces derniers n’était pas vrai. Beaucoup d’entre eux ont alors choisi de quitter leur communauté. « Il faut s’extraire de la mentalité arabe et réaliser que vous êtes israélien. Si vous êtes capables de sortir du schéma “Je suis un Arabe donc un Palestinien” – qui génère le conflit du “soit ça/soit ça” – cela signifie que vous êtes à même de penser plus loin », explique le jeune homme. « Les gens ne sont pas foncièrement haineux », insiste-t-il. « Ils sont juste prisonniers de leur façon de penser. »

« Autour de moi, on essaie souvent de m’amener au “repentir”, affirme Yahya Mahemad. Par exemple, lors d’une journée de commémoration du massacre de Kafr Kassim, celui d’ouvriers agricoles arabes travaillant dans les champs tués par des soldats de Tsahal, son ami Bassam lui a demandé comment il pouvait soutenir Israël. Reconnaissant l’ampleur de cette tragédie, Yahya a toutefois demandé à Bassam s’il commémorait également le massacre de Hébron. « Quel massacre ? », a demandé celui-ci. Yahya lui a alors envoyé un lien vers un article Wikipédia. « Bassam a ensuite disparu pendant trois semaines. Lorsque je l’ai revu, il avait changé. Il avait lu l’article que je lui avais suggéré, puis un autre, et encore un autre. Il s’était aussi renseigné sur l’histoire juive depuis la conquête romaine. Il n’en revenait pas de n’avoir jamais entendu parler de tout ça. Depuis lors, il a quitté Umm el-Fahm et est devenu pro-israélien. »

Lorsqu’on lui demande s’il a envie lui aussi de quitter Umm el-Fahm, Yahya répond que même s’il est dur de rester là-bas, il n’a pas l’intention de partir. « Rien ne va comme il faut dans cette ville, mais il est possible de faire avancer les choses. Si ceux qui réfléchissent un peu s’en allaient tous à Tel-Aviv, qui resterait-il pour amener Tel-Aviv à Umm el-Fahm ? », lance le jeune homme. « Je nettoie la haine – littéralement. J’enlève les graffitis pro-Daesh et les croix gammées, car ils contribuent à normaliser la haine et le terrorisme et j’essaie de paver de nouvelles voies ici. Lorsque les gens me parlent des bébés morts à Gaza, ils sont toujours surpris de m’entendre leur répondre que cinq minutes avant que ces bébés ne meurent, le Hamas avait lancé une roquette depuis l’endroit où ils se trouvaient. Au premier abord, ils refusent en bloc ce que je leur dis. Mais je sais que je plante des graines qui, un jour, germeront.

Depuis l’année dernière, Yahya Mahemed a rejoint les rangs de StandWithUs, une ONG qui se consacre à informer les gens dans le monde à propos d’Israël. Lorsque l’organisation l’a contacté via Facebook, le jeune homme, quelque peu hésitant au départ, a changé d’avis en apprenant que celle-ci possédait également une page en arabe, et qu’elle touchait donc également cette population. Lorsqu’on lui demande ce qui l’a poussé à devenir un avocat d’Israël, Yahya répond qu’il aime son pays et qu’il est fier des droits qu’il offre à ses citoyens. « Israël ne constitue pas seulement un espoir pour le peuple juif mais également pour tout le Moyen-Orient », affirme-t-il.

Avec les militants de StandWithUs, le jeune homme a déjà eu l’occasion de s’exprimer en Finlande, aux Etats-Unis et en Afrique du Sud. « En Amérique, on savait à quoi s’attendre avec le mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). Ils viennent vous voir avec des photos d’enfants morts, ils hurlent. En Afrique du Sud, c’était une tout autre histoire : l’Union des étudiants juifs avait passé un accord avec le campus afin que la moitié du parvis soit réservée au BDS et l’autre moitié pour nous. Seulement lorsque nous sommes arrivés, nous nous sommes vite aperçus que les militants du BDS s’étaient emparés de tout l’espace disponible. Pire : ils étaient en train de voler notre matériel et de déchirer nos affiches. C’est alors que les choses ont tourné à la bagarre générale. Nous imaginions bien qu’ils ne seraient pas tendres envers nous, mais sûrement pas à ce point… », raconte Yahya. « L’Afrique du Sud est un élément moteur du BDS. Ses membres utilisent les termes “apartheid” et “racisme” afin de mieux jouer sur les émotions et décupler les réactions. Ils abreuvent les gens de mensonges. »

« C’est complètement fou », poursuit-il. « Des gens sont venus me voir là-bas après avoir écouté les discours du BDS, en me demandant pourquoi les soldats de Tsahal violaient les femmes palestiniennes ! “Attendez”, leur ai-je dit. “Je suis au courant des démolitions de maisons, des arrestations, des checkpoints, mais de viols ? Je connais les données publiées par le COGAT [Coordinateur des activités du gouvernement dans les Territoires] et je suis de nombreuses sources palestiniennes, mais je n’ai jamais entendu parler d’un seul cas de ce genre. D’où tenez-vous de telles bêtises ?” Ils parlent ensuite de Gaza comme de l’endroit le plus densément peuplé du monde. Sur quoi je leur suggère d’aller jeter un coup d’œil sur Google maps pour y voir le nombre de terrains vagues qui s’y trouvent. Nous encourageons vraiment les gens à ne pas nous croire sur parole et à aller s’informer par eux-mêmes. »

« Les gens étaient fascinés de me trouver là, moi, un Arabe israélien. Ma présence a eu un impact très fort. Le BDS, lui, se contente de photos et de slogans à l’emporte-pièce pour alimenter sa propagande. De notre côté, nous avons parfois passé près de 45 minutes à répondre aux questions des étudiants. » Pour appuyer ses dires, Yahya Mahemed nous montre une vidéo dans laquelle ses interlocuteurs le remercient d’avoir pris du temps pour discuter avec eux, et de les avoir encouragés à penser par eux-mêmes. Ils disent se sentir floués par le BDS et avoir changé d’opinion à propos d’Israël. Quelle est la solution face à la haine et à la propagande selon Yahya Mahemad ? « Nous n’offrons pas de solutions magiques, nous nous efforçons d’informer et d’éduquer. Notre but n’est pas d‘endoctriner, le BDS fait cela très bien. Nous encourageons au contraire les gens à cultiver leur esprit critique par rapport à ce qu’ils entendent. »

Nous avons récemment appris que des journalistes arabes s’étaient procuré la vidéo que Yahya Mahemed avait faite avec StandWithUs. Ils se sont chargés de la diffuser au plus grand nombre, en affirmant que le jeune homme était payé par le gouvernement, et en proférant d’autres inepties du même genre et des incitations à la haine. La police a rapidement contacté Yahya, lui conseillant de porter plainte et de quitter Umm el-Fahm pour un moment, le temps que l’enquête soit menée. S’il admet avoir vécu une période assez stressante, le jeune homme, désormais installé à Jérusalem, demeure fidèle à ses convictions, et espère que l’orage finira par passer.

2 Commentaires

  1. David Ben Gourion disait, semble-t-il, qu’il voulait faire d’Israël « un Etat normal, avec ses putes et ses assassins » «  Si j’étais un leader arabe, je ne signerais jamais un accord avec Israël. C’est normal ; nous avons pris leur pays. Il est vrai que D’ nous l’a promise, mais comment cela pourrait-il les concerner ? Notre D’ n’est pas le leur  » (David Ben-Gourion le 1er Premier Ministre israélien, cité par Nahum Goldmann dans «  le Paradoxe Juif  », page 121.

    «  Ne nous cachons pas la vérité…. Politiquement nous sommes les agresseurs et ils se défendent. Ce pays est le leur, parce qu’ils y habitent, alors que nous venons nous y installer et de leur point de vue nous voulons les chasser de leur propre pays. Derrière le terrorisme (des Arabes) il y a un mouvement qui bien que primitif n’est pas dénué d’idéalisme et d’auto-sacrifice » (David Ben-Gourion, cité en page 91 du Triangle Fatidique de Chomsky qui est paru le livre de Simha Flapan « Le Sionisme et les Palestiniens » en page 141-2, citant un discours de 1938).

    «  Nous devons tout faire pour nous assurer qu’ils (les Palestiniens) ne reviendront jamais  » (David Ben-Gourion, dans son journal, 18 Juillet 1948, cité dans le livre de Michael Bar Zohar : « Ben-Gourion : « Le prophète armé », Prentice-Hall, 1967, p. 157).

    «  Nous devrions nous préparer à lancer l’offensive. Notre but est d’écraser le Liban, la Transjordanie (Jordanie) et la Syrie. Le point faible c’est le Liban, car le régime musulman y est artificiel et il nous sera facile de le miner.
    Nous y établirons un Etat chrétien, puis nous écraserons la légion arabe, nous éliminerons la Transjordanie (Jordanie) ; la Syrie tombera entre nos mains. Nous bombardons alors et avancerons pour prendre Port-Saïd, Alexandrie et le Sinaï » (David Ben-Gourion, mai 1948, au Chef d’Etat-Major. De Ben-Gourion, une biographie, par Michael Ben-Zohar, Delacorte, New York 1978).

    • Oui, toute Nation, dans les années 50, pensait et agissait de la sorte. C’est du reste exactement ce que disent encore nos ennemis tout autour de nous. Alors, que devons-nous faire ? Nous laisser exterminer ? Rester passifs ?
      Que disent les rabbanim ? C’est une grande question, que nous ne pouvons pas développer ici, en une réponse à un courrier, mais plongés que nous sommes dans une dynamique lancée par des gens qui n’ont certainement pas consulté les autorités rabbiniques suprêmes, nous n’avons pas d’autre voie devant nous que de nous défendre. Attaquer ?
      Cela s’impose parfois. Nous lancer dans une guerre offensive, afin de conquérir du pays ? Avouons que cela ne s’est en fait jamais passé ainsi depuis le départ de l’ère moderne : à chaque fois cela a été de la défense qui a été entreprise par Israël, et non point de l’impérialisme, même si Ben Gourion a carressé une telle option.

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