Arabes israéliens ou Palestiniens de 48 ?

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Par Albert NACCACHE – Temps et contre Temps

Illustration :  Restaurant Buri à Akko après sa destruction par la foule arabe israélienne, le 13 mai 2021

Cette question est essentielle à propos de leur avenir et de celui de l’État d’Israël. Le 15 mai 1948, au lendemain de la proclamation de l’État d’Israël, les armées de 5 pays arabes déclenchent la première guerre israélo-arabe qui s’achève le 7 janvier 1949 par la victoire d’Israël. Les Arabes israéliens sont ceux qui sont restés sur place ou qui sont retournés en Israël après la création de l’État juif. Ils représentent 21 % de la population d’Israël, soit environ 1.800.000 personnes.

Les émeutes de la guerre des onze jours de mai 2021

«Les émeutes généralisées déclenchées lors de l’opération «Gardien des murs» par les Arabes israéliens en soutien au Hamas – des émeutes qui ont eu lieu alors que l’organisation terroriste faisait pleuvoir des milliers de missiles sur l’État juif, qu’elle cherche à détruire – ont constitué une escalade majeure. Il s’agit d’une évolution sérieuse, dans leurs relations avec la majorité juive du pays» [1].  

A Lod, «soixante-dix ans de coexistence ont été détruits en quelques jours». À Haïfa, la coexistence pacifique est «dissoute en un instant». Akko, haut lieu de coexistence judéo-arabe est sous le choc des troubles. Le Hamas a démontré son influence en dehors de Gaza, en particulier en Israël à travers sa filiale, la section nord du Mouvement islamique, qui a joué un rôle clé dans l’incitation aux émeutiers. Pour Khaled Mechaal, «Ce n’est que le début d’une campagne du Hamas pour s’établir comme le porte-drapeau de tous les Palestiniens, y compris les citoyens arabes d’Israël». 

ESSF la revue du NPA d’Olivier Besancenot publie «Une guerre pas comme les autres», par El Haj Wissam journaliste pro-Hamas de Gaza le dimanche 23 mai 2021. «Depuis la grande grève de 1936, la Palestine n’a pas vécu une action collective de sa population aussi vaste et aussi forte que celle qui s’y déroule actuellement. …Aujourd’hui la Palestine se soulève avec toute sa population. Il n’y a plus de lieu sûr en Israël. La «claque» a secoué Israël et a été une prise de conscience traumatisante pour sa population. … Parler de retour ou de libération semble désormais une question à discuter rationnellement et non plus un rêve difficile à atteindre. C’est ainsi que les Palestiniens se sont surpris eux-mêmes…. Les habitants de toutes les villes et de tous les villages de Palestine sont sortis, de Jaffa et Haïfa au Triangle, à Al-Jalil et Al-Naqab. La ville de Lod est devenue l’icône du plus violent affrontement… Tout cela a ravivé la capacité des Palestiniens à rêver et leur pleine disposition à se relever pour poursuivre la bataille de la liberté ».

 D’où notre question ?  Arabes israéliens ou Palestiniens de 48 ?

Pour Dominique Moïsi, «pris individuellement, les citoyens arabes d’Israël se sentent Israéliens. Ils sont conscients du mélange de prospérité économique et de liberté sociale, bref de modernité, dans lequel, ils vivent. Mais collectivement, émotionnellement, ils se sentent avant tout des « Palestiniens »». [2]

Dans son article «Opération Gardien des murs : victoire tactique, défaite stratégique», le Dr Doron Matza chercheur au centre BESA écrit le 25 mai 2021 : «Le conflit à Gaza n’était plus un «round de combats» local avec Israël mais une confrontation beaucoup plus large entre deux écoles régionales. La première est l’école économico-pragmatique des «esprits», dans laquelle Israël a pris la tête aux côtés des États riches conscients des risques de la région. Cette école adopte une politique de promotion d’un agenda économique et soutient les accords d’Abraham, ainsi que le phénomène Mansour Abbas. La seconde est l’école des «cœurs» du «camp de la résistance», qui épouse la politique identitaire basée sur des visions utopiques qui donnent la priorité à l’avenir sur le présent. Les cœurs ont maintenant le dessus. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les esprits et tous ceux du Moyen-Orient qui aiment la vie. Certaines parties de la communauté arabe d’Israël ont appuyé sur le bouton de l’autodestruction».

De nombreux palestiniens penchent pour l’école des «cœurs»

De nombreux arabes d’Israël et en particulier les jeunes, ne se considèrent pas comme des Israéliens mais comme des Palestiniens de 48 et l’expriment au travers d’activités militantes et culturelles (littérature, cinéma, musique…). Le journal As-Safir Al-Arabi a publié des témoignages de militants qui se trouvent essentiellement à Haïfa. Comme Soheir Assad, avocate, ou Lama Shhady, architecte urbaniste. Tamer Nafar chanteur et fondateur du groupe de rap DAM fait de l’art engagé en Israël. Rappeur, acteur, scénariste et activiste né en 1971 à Lod, il s’exprime en anglais, arabe et hébreu. Il déclare à l’Orient-Le Jour «Cette confiance qui est revenue dans la cause palestinienne, c’est du carburant pour les années à venir».

«Un peuple uni, un seul combat», “Haïfa, Al-Quds, Gaza, Al-Lydd, Al-Ramla, Akka (Acre)”. Orient XXI d’Alain Gresh s’identifie au narratif radical palestinien en publiant un article de Majd Kayyal, écrivain et journaliste d’Haïfa, qui appelle à l’unité de tous les Palestiniens :

«Tribune Palestine. L’instant de tous les possibles. La fable de «l’exception de l’intérieur». Les Israéliens vont utiliser toutes les ressources possibles et monter des projets afin de créer une classe politique et sociale «haut de gamme», afin de renforcer la croyance en une citoyenneté israélienne des Palestiniens vivant sur le territoire de 1948. Ils essaieront de transformer l’esprit de la révolution du peuple et l’appartenance inébranlable à la Palestine, à Jérusalem et à Al-Aqsa ; ils essaieront d’en faire une histoire des Palestiniens en Israël et reviendront nous parler de «l’exception de l’intérieur». Sortir de la cage. Notre responsabilité existentielle est de bâtir et consolider l’idée de l’unité de la Palestine, de considérer la citoyenneté israélienne comme une cage, une prison qui nous empêche de nous retrouver en nombre, de nous connaître mutuellement, de bouger, de nous organiser ensemble, de fonder une réelle force politique qui puisse formuler et penser sa vie, ses aspirations, ses rêves. Nous avons la responsabilité de commencer à construire et mettre en œuvre une nouvelle vision qui redéfinisse la lutte palestinienne après des années d’enfermement dans le piège de l’État d’Oslo et les absurdités de «l’égalité à l’intérieur d’Israël». Nous devons imposer un nouveau discours, une nouvelle narration. Nous devons rejeter cette «vie en cage» et faire en sorte que ceux qui souhaitent diviser les Palestiniens aient honte de leurs choix».

Mais le statut d’Arabe Israélien semble convenir à beaucoup avec des réussites dans l’économie, la santé, le high tech, les universités. Lucy Aharish est une journaliste arabe israélienne et présentatrice télévisée. bien connue en Israël pour sa promotion de la coexistence et de la tolérance. Yoav Zitoun (Yediot Aharonot 3/1/2021) note un record absolu de volontaires arabes musulmans chrétiens et druzes dans l’armée israélienne.

Des manifestations conjointes juives et arabes ont appelé à la coexistence et à la paix. Parmi les programmes œuvrant dans cet objectif, citons l’initiative Tech2Peace, qui combine technologie et formation entrepreneuriale ou Amal-Tikva, qui rassemble experts sur le terrain, organisations, philanthropes et activistes désireux de soutenir la construction de la paix israélo-palestinienne.

En réalité, les arabes israéliens refusent de sortir de la cage

C’est ce que nous explique Khaled Abu Toameh :« Pourquoi les Arabes Israéliens ne souhaitent-ils pas devenir « Palestiniens » ? Pourquoi les 250.000 Arabes israéliens du Triangle sont-ils fermement opposés à l’idée d’être rattachés à un État palestinien ? Nombre de citoyens arabes d’Israël sont parfaitement au courant que les Palestiniens qui vivent sous la férule de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie et à la botte du Hamas à Gaza souffrent de violations quotidiennes des droits de l’homme. Les citoyens arabes d’Israël ont besoin de nouveaux dirigeants qui favorisent la coexistence entre Arabes et Juifs et rompent avec une rhétorique et des attitudes anti-israéliennes ».

C’est aussi l’avis de Daniel Levy, directeur de recherche émérite au CERI. «Il y a, dans la société arabe, de manière générale, une volonté que les représentants politiques défendent mieux leurs conditions de vie dans les localités, en se penchant sur les questions économiques, de santé, de scolarité et de sécurité. C’est un fait.  On observe un cas particulier avec Ra’am et son leader Mansour Abbas car cette formation a une stratégie de plus grande intégration dans la vie politique ». [3]  Le problème- de taille – est que le Ra’am est un parti islamiste. A suivre de très près !

Cependant Mansour Abbas est vilipendé par les amis du Hamas. Younis Rami le décrit comme le «nouveau «bon Arabe» au gouvernement »  [4]. Ramzy Baroud s’interroge : «Israël a-t-il trouvé son harki ? Mansour Abbas a franchi son Rubicon et – en s’alliant avec des criminels et racistes notoires – s’est transformé en paria de la cause palestinienne – Il finira dans les poubelles de l’histoire». [5]

Une prochaine guerre aura-t-elle lieu ?

Une force de défense civile devrait être constituée pour annihiler les actions du Hamas et du Hezbollah en vue d’élargir leur influence parmi les citoyens arabes d’Israël.  On ne peut exclure une attaque conjointe du Hezbollah et du Hamas avec des tentatives d’incursions au sol en Galilée et dans le Néguev. C’est le rêve de Nasrallah ! Si ce rêve ne se réalise pas, les Palestiniens de 48 auront-ils le bon goût de quitter leur cage dorée et « les absurdités de l’égalité à l’intérieur d’Israël».

[1] Dr. Yechiel Shabiy BESA Bar-Ilan University. Paper No. 2.055, 28 mai 2021

[2] Les Échos – publié le 14/05/2021

[3] Par Ines Gil, Samy Cohen- Les clés du Moyen-Orient 31/05/2021

 [4] Europe solidaire le jeudi 10 juin 2021.   

 [5] Chronique de Palestine 9 juin 2021

 

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