Autopsie d’une petite molécule d’antisémitisme contemporain

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Cela dure cinq minutes, c’est un tout petit événement, mais il en dit beaucoup sur les recettes de l’antisémitisme d’aujourd’hui.

Le Crif et le Consistoire ont salué la déclaration américaine du 6 décembre reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël ,et demandé publiquement au président français de lui emboîter le pas.

Ces deux associations ont l’habitude d’exprimer tant bien que mal les opinions des Juifs français influents attachés à la tradition. Avec cette déclaration publique, elles se sont opposées frontalement à l’un des piliers de la politique extérieure française, l’alignement sur la communication palestinienne, censée exprimer la sensibilité de la rue arabe dans le monde. Elles viennent donc de violer ainsi un code majeur de la sphère politico-médiatique, très fermée, où elles disposent d’un strapontin. Elles doivent donc être remises à leur place.

Les Juifs sont à l’origine des guerres

Audrey Crespo-Mara va lui poser à Alain Finkielkraut six questions relativement à la reconnaissance de Jérusalem.  La première : « Estimez-vous que le fait que Jérusalem soit reconnue comme capitale d’Israël mérite une guerre? » La seconde est dans la lignée. Le message subliminal de Mme Crespo-Mara, celui qui va réellement formater le cerveau et l’émotivité du téléspectateur, c’est une antienne de l’antisémitisme: l’association juif-guerre, l’équation Juif=guerre. Les Juifs apportent la guerre était on le sait l’une des pierres angulaires de la propagande nazie, mais l’idée est aussi au centre du fameux thème diplomatique français de la « centralité » du conflit israélo-palestinien. « Centralité » veut dire que la paix au Moyen-Orient et la paix mondiale sont mises en grave péril par « l’intransigeance israélienne ». Juif=guerre.  L’invité de Audrey C-M bafouillera une réponse où il soulignera le risque « d’embrasement » lié à la décision de Trump, validant par là le lien entre la demande des deux associations juives et le péril d’un conflit militaire.

La troisième question, anodine, « est-ce que [le Crif] ne sort pas de ses prérogatives religieuses … en France », ne fera que rappeler, outre une certaine indigence de l’interrogatrice, que le code de la parole publique a été violé par le Crif  et que c’est inacceptable.

Les Juifs sont responsables de la montée de l’antisémitisme

Les trois dernières questions se résument en une seule, reprise avec ténacité: « Le Crif ne fait-il pas monter encore l’antisémitisme en France ? ». Message subliminal : « Ce sont les Juifs qui sont à l’origine de l’antisémitisme, l’antisémitisme est de leur faute, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes ». C’est une seconde antienne immémoriale, énoncée naguère par de Gaulle dans son style unique lors de sa célèbre conférence de 1967, parlant « du flot, tantôt montant, tantôt descendant, des malveillances qu’ils [les Juifs] provoquaient, qu’ils suscitaient plus exactement, dans certains pays à certaines époques… » Il venait justement de dire le « peuple dominateur » venait de « changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis 19 siècles : ‘ L’an prochain à Jérusalem’ « .

Quelle observation peut-on faire à l’issue de ce minuscule épisode?

Les promoteurs du « nouvel antisémitisme », ici le personnel aux manettes de l’État français, comme les vrais acteurs toutes les manipulations politiques, tiennent absolument à se dissimuler, à disposer des écrans pour qu’on ne voie pas leur main. Ils mettent donc en avant des naïfs qui feront le travail pour leur compte. Par exemple, qui était mieux placé pour ce job qu’un Juif éminent comme Alain Finkielkraut?  Il a d’ailleurs donné toute satisfaction. Audrey Crespo-Mara aurait pu inviter Dieudonné à la place. Elle aurait obtenu des réponses comparables sur le fond, avec un style différent. Mais cela n’aurait pas « marché, » cela aurait tourné à la catastrophe, alors qu’une opération politico-idéologique, cela doit « marcher ».

C’est ainsi que des dizaines de milliers de téléspectateurs, peut-être plus, ont intégré un peu plus dans leur subconscient que les Juifs et la guerre cela va de pair, et qu’ils méritent bien l’antisémitisme qu’ils suscitent. C’est loin d’être à la seule « diversité » qui faut en faire porter le chapeau.

Jean-Pierre Bensimon

(1) voir https://www.lci.fr/replay/l-entretien-d-audrey-replay-du-dimanche-10-decembre-2017-2072965.html, ou le script des questions qui nous intéressent dans l’interview  https://fim13.blogspot.fr/2017/12/script-des-deux-interventions-dalain.html

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