Belgique : quand la justice acquitte consciemment un antisémite

Belgique : quand la justice acquitte consciemment un antisémite

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Un fonctionnaire européen acquitté d’incitation à la haine pour des propos antisémites

L’homme avait insulté et frappé au visage, à l’aide d’une plaque à l’effigie de Mussolini, une autre fonctionnaire européenne, la traitant de « sale Juive ».

Illustration : la pyramide de la justice belge

Ce 10 décembre, la cour d’appel de Bruxelles a acquitté un fonctionnaire européen de la prévention d’incitation à la haine, tout en maintenant la condamnation pour coups et blessures à caractère antisémite. En première instance, la victime et Unia, qui s’était constitué partie civile, avaient eu gain de cause sur toutes les préventions, le prévenu ayant été reconnu coupable de propos antisémites. Un arrêt qui fait réagir la Ligue belge contre l’antisémitisme, son président Joël Rubinfeld estime que « la loi contre le racisme serait vidée de toute portée » et exprime sa profonde préoccupation dans une carte blanche (lire par ailleurs).

Les faits remontent au mois de juillet 2015, peu avant minuit, sur la terrasse d’un café du quartier européen. La victime, une fonctionnaire européenne, interpelle un homme brandissant une plaque en métal portant la mention « Mussolini ». Elle lui signifie que « Mussolini était un dictateur ». Une discussion s’engage et l’homme, également fonctionnaire européen, traite son interlocutrice de « sale Juive » et profère des menaces comme « vous auriez tous dû être tués ».

Avec sa plaque, il frappe la victime à la tête, et tente de l’étrangler. Le lendemain, la victime dépose plainte. Elle présente aussi un certificat médical attestant un trauma crânien, une commotion cérébrale et des douleurs sur la partie droite de la tête. Elle se verra prescrire des antalgiques, un suivi psychologique et neurologique.

« Faits extrêmement graves »

Le tribunal de première instance de Bruxelles avait condamné en 2018 le fonctionnaire européen pour incitation à la haine à une peine probatoire de trois ans, durant laquelle il devait suivre une thérapie contre sa dépendance à l’alcool et une formation à la tolérance et à la lutte contre l’antisémitisme. Le juge s’était appuyé non seulement sur les propos du prévenu, mais aussi sur son attitude et son comportement, des gestes « montrant que le prévenu a très largement dépassé le stade de l’expression d’une opinion ».

En appel, la cour estime que les faits sont « extrêmement graves », révélant que le prévenu peut être, dans certaines circonstances, « haineux et hostile à l’égard d’une personne en raison de sa conviction religieuse ». Mais elle conclut qu’ils ne constituent pas « un encouragement, une exhortation ou une instigation de quiconque à quoi que ce soit ».

Jogchum Vrielink, professeur de droit à l’Université Saint-Louis, estime que les deux interprétations sont défendables. « Celle de la cour d’appel est peut-être formellement plus proche de ce que la Cour constitutionnelle exige, tandis que le tribunal a une interprétation plus contextuelle. Cela reflète la tension entre la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle, qui semble avoir une interprétation moins large. Même si on observe cette tendance dans d’autres types d’incriminations, elle est relativement prononcée pour l’incitation à la haine. Il faudra du temps pour voir ce qui fera autorité. »

115 signalements en 2020

Patrick Charlier, directeur d’Unia, se réjouit néanmoins que « le caractère antisémite des propos soit reconnu par la cour, qui reconnaît également que l’alcool n’est pas une excuse. C’est dommage que la cour d’appel estime que le dol spécial n’est pas suffisamment établi, d’autant que les faits se sont produits en public ». Unia n’introduira pas de pourvoi en cassation, estimant que le fonctionnaire a déjà subi des conséquences de son comportement, entre autres des sanctions professionnelles.

« L’espace francophone est influencé par la jurisprudence française de provocation à la haine raciale, où le seuil est plus bas pour ce genre de fait. Ce qui entraîne une banalisation de ce genre de condamnation », analyse Patrick Charlier. « Brice Hortefeux, Eric Zemmour ou Patrick Sébastien continuent à être actifs dans l’espace médiatique. En Belgique, une condamnation est plus stigmatisée car le degré de gravité sociale est plus élevé. » Pour autant, une clarification législative n’est peut-être pas la solution selon Jogchum Vrielink. « Le nouveau texte de loi passera après devant la Cour constitutionnelle, qui considère son interprétation la seule valable face à la liberté d’expression. »

Durant l’année 2020, le nombre d’incidents signalés auprès d’Unia a atteint un total de 115 faits d’antisémitisme et/ou négationnisme. Soit une augmentation de 45,5 % par rapport à 2019 et de 56 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. 70,4 % des faits rapportés à Unia étaient relatifs à des discours haineux, bien souvent sur les réseaux sociaux. Ces chiffres ne démontrent pas une progression constante, mais bien des pics en fonction de certaines actualités, comme l’utilisation d’iconographies nazies lors de manifestations, signale Patrick Charlier.

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Reflexions : Quand la justice acquitte consciemment un antisémite.

Quand la justice acquitte consciemment un antisémite, cela indique plusieurs choses :

  • L’éducation n’est pas une réelle arme efficace contre l’antisémitisme, parce que l’antisémitisme n’est pas un racisme, mais une haine métaphysique et viscérale, contre le peuple juif porteur d’une morale fondée sur l’existence d’un D’ ayant fait le choix d’Israël. Le peuple allemand, l’un des plus éduqués d’Europe a commis à ce titre, le pire crime contre l’humanité.
  • L’éducation chrétienne et musulmane a été, et reste un des vecteurs importants de cette haine.
  • Le monde laïc, hérite de ces cultures sans les comprendre, et son refus du fait religieux, au nom de la laïcité, ne lui permet pas d’avoir les clefs du problème.

L’incompréhension de l’antisémitisme engendre soit sa négation, soit sa banalisation.

Nous sommes alors devant une impasse, celle d’un monde qui se prétend savant pour comprendre les choses, mais qui s’interdit de comprendre les rhétoriques religieuses qui justement sous-tendent cette haine, qui lui échappent, bien qu’il en hérite.

D’autres paramètres s’agrègent à cela, en fonction de chaque cas particulier, et une volonté de nier le niveau de haine de sa propre société.

Il y a un autre problème, qui porte sur la relation de la loi et la morale, comme dans l’affaire Sarah Halimi. Que veut dire jugé en droit seul sans référence à la morale ? Cela devient une justice immorale puisqu’elle est hors champ.

Certains voir la majorité des nazis, ont expliqué, avoir obéis à la loi, du lieu et de l’époque. La justice les a pourtant condamnés pour crime contre l’humanité, un crime* qui n’existait pas à l’époque des faits, parce qu’il y avait eu une violation tellement manifeste de la morale humaine, que l’application du seul droit était insupportable humainement, moralement, déontologiquement et légalement.

Alors quand on vient nous dire que la Cour a jugé en droit, c’est qu’elle s’autorise à enfreindre la morale. Dès lors c’est « justice » injuste aux yeux de la morale. C’est ce qui se passe ici aussi.

*Un crime contre l’humanité est une incrimination créée en 1945 dans le statut du tribunal militaire de Nuremberg, établi par la Charte de Londres (art. 6, c).

Il désigne une « violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux ». La notion de crime contre l’humanité est une catégorie complexe de crimes punis au niveau international et national par un ensemble de textes qui regroupent plusieurs incriminations.

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Lettre ouverte d’un Juif à la justice de son pays

Chère justice de mon pays,

Je veux croire encore en toi sans quoi je ne prendrais pas la peine de t’écrire. Je suis très inquiet à la lecture d’un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 10 décembre 2021, et je voudrais te le dire, avec respect mais sans concession.

« Sale Juif ! Vous les Juifs auriez dû tous être tués ».

Selon cet arrêt, la loi permet que l’on tienne publiquement ces propos car ceux-ci, même tenus en public, n’inciteraient pas à la haine. Je sais, cela paraît incroyable. Mais c’est vrai[1].

La cour d’appel devait juger d’une agression contre une dame commise le 16 juillet 2015 par un certain S. G., haut fonctionnaire européen. S. G., ivre lors d’une soirée dans un bar, avait violemment frappé la victime et tenté de l’attraper par le cou, tout en la traitant de « sale Juive » et en lui disant « vous auriez (vous les Juifs) tous dû être tués ».

La cour d’appel reconnaît que l’agression a bien eu lieu, et condamne S.G. pour l’avoir commise. Elle reconnaît aussi que ces propos ont été tenus et décide en conséquence que l’un des mobiles de l’agression est la « prétendue conviction religieuse de la victime », à savoir, son appartenance supposée à la communauté juive.

En revanche, selon la cour, les propos tenus par S.G. « ne constituent pas un encouragement, une exhortation ou une instigation de quiconque et ne constituent dès lors pas une incitation » à la haine ou à la violence. Il est donc acquitté de ce fait.

L’arrêt a ainsi une portée de principe : on aurait le droit en Belgique de dire publiquement à quelqu’un « sale Juif » et de regretter que les Juifs n’aient pas « tous » été exterminés, sans que cela constitue une infraction à la loi pénale. Et cela au motif, tout à fait incompréhensible, qu’en regrettant que tous les Juifs n’aient pas tous été exterminés, on n’inciterait pas à la haine contre les Juifs.

A suivre une telle décision, la loi contre le racisme serait vidée de toute portée. Seule serait encore réprimée l’incitation directe et explicite à exterminer les Juifs (ou toute autre minorité) : « Vous devez tuer les Juifs ». Toute autre formulation à peine moins explicite, telle que « les Juifs ne méritent pas de vivre », « Hitler aurait dû finir le travail », serait permise par la loi car elle ne comporterait pas d’incitation.

Chère justice de mon pays, tu permettras que le Juif que je suis te fasse part de sa profonde préoccupation.

En Belgique, et plus généralement en Europe, l’antisémitisme tue. Et le passage à l’acte est causé par l’incitation à la haine. Tout le monde sait cela, et toutes les études le montrent. La loi belge est censée nous protéger, nous les Juifs comme toutes les autres minorités, de l’incitation à la haine ou à la violence dont nous sommes régulièrement les victimes.

Hélas, de bonnes lois ne suffisent pas à la justice. Il y faut aussi des juges pleinement conscients de leur rôle dans ce combat. La protection donnée par la loi est-elle vraiment effective ? J’y croyais fermement, sans quoi je ne me serais pas lancé dans un combat, notamment judiciaire, contre l’antisémitisme. Voici quelques expériences qui m’ont amené à douter de mes convictions.

– Il y a quelques années, il fut décidé par la cour d’appel de Bruxelles que les Juifs ne disposent pas d’un intérêt personnel à se plaindre de l’incitation à la haine antisémite ; ils ne seraient donc pas plus concernés que les autres par l’antisémitisme[2].

– Lorsqu’un cafetier publie « Juifs interdits, chiens autorisés » sur la vitrine de son café, cela ne justifie pas de poursuites pénales. Une médiation est proposée par le parquet de Liège, comme si un moyen terme pouvait être trouvé entre les Juifs et les antisémites[3].

– Lorsque je dépose plainte parce qu’un individu me harcèle en me traitant de « yup », pour « youpin », et me dit aimer les fours, les nazis et le négationniste Faurisson, le parquet de Bruxelles classe sans suite[4].

– Aucune suite judiciaire non plus, jusqu’à présent, contre les manifestants islamistes qui, à Bruxelles, scandent régulièrement « Khaybar, khaybar, Ya ya’ud, jaysh Muhammad sawfa ya’ud », ce qui est, en Arabe, une incitation au meurtre des Juifs[5].

– Pas de suite judiciaire non plus lorsqu’un échevin est traité publiquement de « sale Juif » lors d’une manifestation à Verviers[6].

– Pas de poursuites judiciaires non plus suite à la plainte déposée contre Me Jean-Marie Dermagne, avocat, ancien bâtonnier, qui évoque sur internet les « sempiternelles organisations (qui dictent au monde entier le bien et le mal) de défense des adeptes de la religion juive », qui qualifie globalement les Israéliens, sans aucune autre précision, d’« assassins », de « nouveaux nazis », de « vrais maîtres du monde », qui écrit que « les médias [sont la] propriété à 75 % du lobby pro-israélien » et qui publie un montage conspirationniste à propos de la banque Rothschild[7].

Chère justice de mon pays, oui tu es chère à mon cœur car tu es la seule institution à désigner aussi une vertu. Celle-ci est au centre de l’éthique juive selon la tradition. Or je ne te reconnais plus. Es-tu encore juste ? Je voudrais continuer à croire en toi. Je voudrais que tu sois à mes côtés contre la haine. Cesse d’être indifférente. Ressaisis-toi. Vois la haine pour ce qu’elle est, poursuis-la, et condamne-la.

Joël Rubinfeld

Président de la Ligue belge contre l’antisémitisme

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