« C’est qui ça, Hitler ? » L’ignorance crasse des élèves, sous la responsabilité des politiciens

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Les propos antisémites des élèves sont avant tout le résultat de leur ignorance crasse. Et les politiciens sont ici les premiers responsables.

« M’sieur, ceux que j’déteste le plus, c’est les Juifs », « Arrête de faire ton Juif ». De telles paroles prononcées par les élèves étaient fréquentes dans l’école technique et professionnelle de Bruxelles où j’ai enseigné pendant quelques années. Des collègues d’autres écoles m’ont rapporté des propos similaires, par exemple : « M’dame, c’est qui ça Hitler ? Ah il a tué des Juifs ! C’est un bon, celui-là ! » Cette haine du Juif est généralement accompagnée de théories du complot délirantes : d’obscurs sionistes conspireraient pour contrôler le monde par de sordides moyens. Ces jeunes ont assimilé les vieilles histoires antisémites diffusées notamment par les nazis et qu’on retrouve aujourd’hui sur Internet. Et pourtant, ils ont passé plus de 10 000 heures sur les bancs de l’école à apprendre les « compétences critiques » du bon citoyen.

Ces propos antisémites sont avant tout le résultat de l’ignorance crasse des élèves. Et les politiciens sont ici les premiers responsables. L’idéologie dominante est que les connaissances ne servent à rien à l’école : elles sont, comme les yaourts, vite périmées ; elles sont disponibles sur Internet ; finalement elles discriminent les plus pauvres qui n’y ont pas accès dans leurs familles. Par conséquent, il est nécessaire de les remplacer par des compétences d’analyse, de recherche, de communication, de critique et de créativité, ce qu’a précisément fait le décret Missions de 1997. En lisant les programmes du primaire ou du secondaire, on sent bien ce mépris : la focale est placée sur les compétences et les connaissances ne subsistent que sous la forme de « thèmes » larges et flous que chaque professeur interprète à sa manière. Les auteurs de ces programmes postulent que les compétences n’ont rien à voir avec les connaissances : elles se développent à la suite de « situations problèmes », d’activités de « découverte » ou de projets menés par les élèves sur des sujets qui les intéressent. Or, comme l’a bien montré la psychologie cognitive, sans connaissances, pas de compétences (1). Si Einstein tombait dans des crevasses de bêtises dès qu’il s’exprimait à propos du communisme, c’est parce qu’il n’y connaissait rien. Les résultats de l’enquête Pirls (NdlR : étude portant sur la compréhension en lecture à l’école et dans la vie quotidienne) parue en 2016 ne font que confirmer cette erreur : c’est parce que les jeunes Belges francophones manquent de connaissances élémentaires en grammaire et en vocabulaire qu’ils sont les moins bons d’Europe (oui, les derniers !) dans la compétence « lecture ». Et, ironie de l’histoire, ce sont les pauvres qui pâtissent le plus de ce mépris des connaissances.

Une solide culture générale est la condition de l’esprit critique. Le jeune, ignorant des religions (souvent de sa propre religion), des guerres mondiales, de la Shoah ou encore de la colonisation n’a aucune chance de s’orienter dans la montagne d’ordures qu’est Internet. Il croira Alain Soral et ses sbires complotistes. Il croira les charlatans de tout bord qui lui parleront de religion, de nation, des immigrés, des attentats terroristes (« Mais m’sieur, c’est François Hollande qui est derrière tout ça ») ou des épidémies (« M’sieur vous trouvez ça normal vous que les épidémies, c’est toujours en Afrique… »). Si l’on veut des futurs citoyens critiques, il faut replacer les connaissances au centre des programmes d’études. Plusieurs principes doivent guider cette construction : d’économie (une sélection pertinente de connaissances) ; de rigueur (des connaissances élaborées à partir de normes scientifiques) ; d’universalisme (les mêmes connaissances pour tout le monde) ; et de progressivité. Il faudra en outre écarter les dogmes pédagogiques – la transmission de connaissances est un « bourrage » de crâne ; le seul moyen d’apprendre est de « découvrir » par soi-même ; le professeur n’est qu’un « accompagnateur »… – dont les recherches sérieuses ont depuis longtemps démontré l’imposture (2). À bon entendeur.

(1) : Voir par exemple : « Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école ! » de Daniel Willingham (2010)

(2) : Voir par exemple : « Urban Myths about Learning and Education » de Pedro De Bruyckere, Paul A. Kirschner et Casper D. Hulshof (2015)

Source www.lalibre.be

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