Comment l’idée de « l’anéantissement de la race juive en Europe » est née

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Il y a 75 ans, le 27 janvier 1945, l’Armée rouge libérait les 7 000 prisonniers du camp d’Auschwitz, en Pologne, le plus grand camp de concentration et d’extermination du Troisième Reich. Retour sur la genèse de la « solution finale », décidée à la conférence de Wansee le 9 décembre 1941.

Berlin, 20 janvier 1942. Quinze hauts dignitaires nazis sont rassemblés villa Marlier, au bord du lac de Wannsee. La réunion, initialement prévue le 9 décembre 1941, a été décalée après l’attaque contre la base américaine de Pearl Habor, le 7 décembre. L’invitation émane du chef des services de sécurité allemands, Reinhard Heydrich. Elle est adressée aux responsables de plusieurs ministères (Intérieur, Justice, Propagande, Plan, Territoire de l’Est), ainsi qu’au chef de la Gestapo, Heinrich Müller. Il s’agit de planifier la « solution finale de la question juive ».

Du peuple déicide au Juif accapareur

La question juive » ? Depuis le Moyen-Age, les Juifs sont qualifiés de peuple déicide, au motif que leurs ancêtres ont livré Jésus à Ponce Pilate, qui l’a fait crucifier. Au XIXe siècle, la théorie sur la prétendue inégalité des races, portée entre autres par le comte Arthur de Gobineau, renforce l’antisémitisme. L’anticapitalisme naissant fera le reste : le Juif, c’est l’usurier, l’accapareur. Dans une Allemagne très conservatrice, où la société traditionnelle peine à s’adapter à la révolution industrielle, les Juifs deviennent les boucs émissaires des difficultés économiques.

Le terreau de la doctrine raciste d’Adolf Hitler est là. « Recueillant le double héritage du XIXe siècle, celui du Juif naturellement corrupteur de la pureté raciale et celui du Juif profiteur économique et destructeur de la culture germanique, [Hitler] voit en lui le principe de tout mal. Alors qu’un peuple se définit à ses yeux par l’espace vital’ qu’il a su conquérir, les Juifs sont un ‘non-peuple’, puisqu’ils ne possèdent pas d’espace propre » , résument Pierre Milza et Serge Berstein (1).

Arbeit macht frei, « le travail rend libre », l’ignoble inscription sur le portail d’entrée du camp d’Auschwitz. | FRANCK DUBRAY / OUEST FRANCE

La « Nuit de cristal »

Arrivé au pouvoir le 30 janvier 1933, le nouveau chancelier du Reich met en pratique ses idées. En avril, les juifs sont exclus de la fonction publique. En 1935, les lois de Nuremberg définissent qui est juif en fonction de ses ascendants. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, dite  « la Nuit de cristal » , des magasins juifs et des synagogues sont incendiés en Allemagne. Trente mille Juifs sont déportés dans des camps à Dachau, Buchenwald et Sachsenhausen. En janvier 1939, alors que les bruits de bottes font craindre un embrasement, Hitler prophétise qu’une nouvelle guerre mondiale aurait pour conséquence « l’anéantissement de la race juive en Europe ».

Dès l’invasion de la Pologne, en septembre 1939, les nazis clôturent des quartiers entiers à Varsovie, Lodz, Cracovie, Minsk… Les populations juives y sont parquées dans des ghettos, sur le modèle de ce que la république de Venise a inventé… en 1516. Dès cette époque, la garde prétorienne du régime, la Schutzstaffel (SS) se livre à des massacres. Après l’invasion de l’Union soviétique, à l’été 1941, ils se systématisent : les Juifs sont réduits à la famine, fusillés en masse. Mais ces tueries sont mal vécues par les soldats. Le 15 août 1941, le chef de la SS Heinrich Himmler manque, lui-même, de s’évanouir lors d’une exécution d’une centaine de Juifs par une unité mobile (Einsatzgruppe) à Minsk.

Des camions de gazage au Zyklon B

Un million de Juifs sont déjà morts. Mais cela ne suffit pas. Des premiers camions de gazage sont expérimentés en Union soviétique. Les SS perfectionnent ainsi une technique utilisée dès 1940 en Allemagne contre des malades mentaux, des vieillards et des malades incurables. En Pologne, les victimes sont directement amenées sur les lieux d’extermination. Un camp de détention est créé près de Cracovie, à Auschwitz. A partir de l’été 1941, on y teste sur des prisonniers soviétiques et des malades le zyklon-B, un gaz qui servait à désinfecter le camp. Le 5 novembre, Hitler déclare à Himmler : Nous pouvons vivre sans les Juifs.

Libération du camp d’Auschwitz par l’Arlée rouge le 27 janvier 1945. | ARCHIVES OUEST FRANCE

Huit millions de morts

Oui, mais comment ? Heydrich a eu un moment l’idée de déporter 4 millions de Juifs à Madagascar. La guerre, dit-il aux dignitaires réunis à Wannsee, a rendu ce projet impossible. Il faudra donc les déporter vers l’Est. La réunion dure une heure et demie. En bon bureaucrate, le chef de la section juive de la Gestapo, Adolf Eichmann, en dresse le procès-verbal, effroyable. Il répertorie le nombre de Juifs à déporter par pays : 200 en Albanie, 160 000 dans les Pays-Bas, 5 millions en URSS… Au total, 11 millions de personnes.

Dans la foulée, six camps d’extermination seront créés : Auschwitz-Birkenau, Belzec, Chelmno, Majdanek (ou Maïdanek), Sobibor et Treblinka. Huit millions de personnes y trouveront la mort, avant leur libération en 1945 : 6 millions de juifs, 2 millions de résistants, tsiganes, homosexuels…

(1) Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme. André Versaille éditeur.

Source www.ouest-france.fr

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