Contacts discrets entre Israël et le Pakistan

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

En raison de rumeurs persistantes, Sayed Zulfikar Bukhar (notre photo), assistant spécial du Premier ministre pakistanais Imran Khan jusqu’en mai, a nié avoir secrètement visité Israël en novembre 2020 pour rencontrer de hauts responsables du gouvernement. Le journal Israël Hayom avait alors publié cette information d’origine pakistanaise, précisant que cette visite aurait été effectuée à la suite «de fortes pressions des Émirats arabes unis». Bukhar, qui a démissionné le 17 mai, appartient au parti au pouvoir et était un homme d’affaires multimillionnaire avant de se lancer en politique. Il s’était envolé pour Israël depuis Islamabad via Londres et avait rencontré à Tel Aviv des responsables du ministère des Affaires étrangères ainsi que l’ancien directeur du Mossad, Yossi Cohen, pour transmettre des messages du Premier ministre Imran Khan et du chef de l’armée pakistanaise. Israël et le Pakistan, qui détient l’arme nucléaire, n’entretiennent pas de relations diplomatiques.

Bien que le gouvernement ait déclaré l’information fausse, il existait de fortes présomptions selon lesquelles les engagements diplomatiques s’étaient poursuivis entre le Pakistan et Israël jusqu’en 2021. En effet, les deux pays ont participé à des exercices militaires en mer Noire entre le 28 juin et le 10 juillet, coorganisés par les marines américaine et ukrainienne. La marine pakistanaise avait participé à l’exercice naval «Sea Breeze 2021 (SB21)» en tant qu’observateur avec 32 pays, dont Israël.

L’année écoulée a vu une restructuration de la situation politique au Moyen-Orient avec la normalisation des relations diplomatiques entre Israël d’une part et les Émirats arabes unis et le Bahreïn d’autre part. Mais les relations entre Israël et le Pakistan restaient un sujet tabou bien qu’une normalisation restait d’actualité. Imran Khan avait expliqué pourquoi le Pakistan ne pouvait pas reconnaître Israël : «La situation au Cachemire est exactement la même qu’en Palestine. Si nous reconnaissons la prise de contrôle par Israël des territoires palestiniens, nous devons également reconnaître ce que l’Inde a fait au Cachemire, nous perdons donc complètement notre réputation morale».

Il est établi que le Pakistan entretient depuis longtemps des relations secrètes avec Israël. L’ancien président pakistanais, le général Muhammad Zia-ul-Haq, avait qualifié le Pakistan et Israël de jumeaux idéologiques. Il avait ouvert un canal détourné entre le Mossad et l’Inter-Services Intelligence (ISI), deux agences qui ont coopéré dans les années 1980 contre les Soviétiques en Afghanistan. En juillet 2003, le président Pervez Musharraf avait appelé à une délibération nationale sur les perspectives d’ouverture de relations diplomatiques avec Israël, suggérant que l’engagement bilatéral pourrait servir de contrepoids à l’Inde. Deux ans plus tard, avec l’aide de la Turquie, les ministres des Affaires étrangères des deux États ont organisé ce que Tel-Aviv a qualifié d’«énorme percée» à Istanbul. Wikileaks avait révélé en 2010 que l’ISI avait contacté des responsables israéliens pour éviter des attaques potentielles contre des cibles israéliennes à la suite des attentats de Bombay en 2008. En octobre 2018, alors qu’un nouveau gouvernement pakistanais se mettait en place, un avion d’affaires israélien était resté au sol à Islamabad pendant près de 10 heures. Mais cela a été démenti.

Après le rapprochement du Golfe avec Israël, le Pakistan avait subi de fortes pressions pour qu’il fasse de même, de la part de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. D’ailleurs les Émirats avaient cherché à forcer la main du Pakistan en refusant de délivrer des visas de travail aux Pakistanais. Maulana Ajmal Qadri, ancien leader du Jamiat Ulema-e-Islam, a confirmé que l’ancien Premier ministre Nawaz Sharif l’avait envoyé en Israël, dans le «cadre d’un voyage d’études», pour s’entretenir avec des responsables de Tel Aviv, des hauts responsables du ministère israélien des Affaires étrangères et des membres du cabinet lors de sa visite. Selon lui : «En fait, les affaires commerciales ont été le plus discutées parce que les textiles et les marques pakistanaises sont très populaires parmi les Israéliens».

Le Cachemire est l’un des points d’achoppement qui empêchent la normalisation. Le Pakistan fait un parallèle entre le conflit palestinien et les abus indiens contre les cachemiriens. Il ne peut pas condamner l’Inde tout en se liant d’amitié avec Israël. Lors des escalades de la violence à Gaza, le Pakistan a été parmi les premiers à soutenir les appels à un cessez-le-feu. Le ministre des Affaires étrangères Shah Mehmood Qureshi avait salué le cessez-le-feu, le décrivant comme «le pouvoir d’une action collective et unifiée ; c’est l’effort de chaque personne et de chaque nation, ensemble pour une juste cause». Mais les dirigeants pakistanais persistent à affirmer qu’une normalisation avec Israël ne pourra intervenir qu’une fois la paix établie avec les Palestiniens.

Il faut noter par ailleurs que le Pakistan est très proche géographiquement de l’Iran et que, pour cela, il est très attaché à de bonnes relations avec lui. D’ailleurs le ministre pakistanais des Affaires étrangères s’était rendu à Téhéran cette année pour discuter du renforcement des marchés transfrontaliers avec en toile de fond, le corridor Chine-Pakistan qui fait partie de l’initiative chinois de la Ceinture et la Route (BRI). Les liens forts d’Israël avec l’Inde constituent un frein à toute normalisation avec le Pakistan.

Enfin les dirigeants pakistanais ne peuvent négliger la manifestations négatives de la population contre l’accord d’Abraham. Le parti islamiste pakistanais, Jamiat Ulema-e-Islam-Fazl (JUI-F), parti islamiste de droite à la tête de l’opposition politique du pays, a organisé une marche d’un million de personnes à Karachi pour s’opposer à la perspective d’une normalisation israélo-pakistanaise.

Pour l’instant la politique diplomatique a changé de constante au Pakistan. La géopolitique est devenue le pivot de la politique étrangère mettant l’accent sur l’intégration régionale et le développement durable. La normalisation avec Israël attendra mais rien n’empêchera des relations secrètes, voire discrètes, avec un pays islamiste qui détient la bombe nucléaire sans inquiéter outre mesure le monde occidental. Cela pourrait pousser son voisin l’Iran à moins d’agressivité.

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