«Nous devons faire face à un terrorisme endogène, extrêmement diffus, difficile à anticiper»

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Après l’attentat mené vendredi dans l’Aude, le président du Centre d’analyse du terrorisme Jean-Charles Brisard rappelle que la menace terroriste est toujours aussi actuelle malgré l’avancée de la coalition contre Daech.


Jean-Charles Brisard est président du Centre d’analyse du terrorisme (CAT).


FIGAROVOX.- Que sait-on du profil de Redouane Lakdim, qui a tiré sur des CRS avant de prendre en otage des civils en se retranchant dans un supermarché?

Jean-Charles BRISARD.- Le profil de ce jihadiste est assez classique, et ressemble à celui de nombreux autres terroristes coupables d’actes similaires sur notre sol depuis 2014. Il s’agit d’un individu qui aurait, selon les premiers éléments dont nous disposons, agi seul, et qui était connu des services de renseignement: il était fiché au FSPRT, le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.

Il avait en outre été condamné à de la prison, notamment pour port d’armes. Pour autant, le renseignement ne s’attendait pas à ce qu’il passe à l’acte.

Que dire aussi du mode opératoire, et en particulier du fait que des forces de l’ordre aient été une nouvelle fois prises pour cibles?

Les forces de l’ordre constituent 67 % des personnes visées par des actes de violence terroristes sur notre sol.

Là encore, nous sommes frappés par la ressemblance avec d’autres faits similaires qui ont pu se produire dans un passé récent. En réalité, on observe un certain mimétisme dans le mode opératoire de l’assaillant, qui s’est certainement inspiré de ce que d’autres jihadistes ont pu commettre avant lui. Les forces de l’ordre sont en effet, une nouvelle fois, prises pour cible par un islamiste radicalisé: selon une étude du Centre d’Analyse du Terrorisme, ils constituent 67 % des personnes visées par des actes de violence terroristes sur notre sol.

Enfin, l’assaillant s’est une nouvelle fois retranché pour en finir avec les forces de l’ordre, se condamnant à une mort certaine pour faire face, comme les terroristes du Bataclan avant lui. On retrouve la marque caractéristique de nombreux attentats commis au nom de Daech en France depuis 2014.

Ce nouvel attentat, qui survient alors que la France n’avait plus été touchée par le jihadisme depuis le mois d’octobre, réactive-t-il la crainte d’une menace jihadiste que l’on croyait moins sérieuse à mesure que l’offensive contre Daech connaissait des victoires sur le terrain?

À proprement parler, la menace n’avait jamais disparu ni même ne s’était atténuée. On n’observe pas de corrélation entre les défaites de l’État islamiques contre les forces de la coalition, et un éventuel ralentissement de l’activité des filières jihadistes sur notre territoire. Il faut rappeler que de nombreux attentats ont été déjoués en France par nos services de renseignement.

Mais nous devons faire face à un terrorisme endogène, extrêmement diffus, parfois très difficile à anticiper. Et même si les vecteurs de la propagande jihadiste et les prêcheurs de Daech sont de plus en plus désorganisés à mesure que la coalition s’avance vers une victoire définitive contre l’État islamique, il reste encore de très nombreux relais de cette idéologie, qui sont susceptibles de précipiter la radicalisation d’individus sur notre propre sol.

Quelle réaction attendez-vous de la part de l’exécutif, qui fait face aujourd’hui à l’acte terroriste le plus important depuis l’accession à la présidence d’Emmanuel Macron, et au treizième attentat meurtrier en France depuis 2015?

Comme je l’ai dit, l’exécutif se retrouve à affronter une menace diffuse, mais qui prouve encore à quel point elle est présente et tenace. Il est clair que nous devons poursuivre l’amélioration de nos outils de prévention de la radicalisation. Pour cela, nous devons aller à rebours d’une culture de la centralisation, qui a consisté depuis les années 80 à confier la majeure partie des responsabilités à l’État en matière de lutte contre le terrorisme. Il faut au contraire donner aux communes, et avec elles à de nombreux acteurs locaux: associatifs, sociaux, etc. les moyens de connaître et de prévenir le passage à l’acte de personnes radicalisées. L’idée serait d’établir un maillage territorial fort de nombreux relais locaux, qui serait plus efficace pour détecter une menace dont je rappelle qu’elle est extraordinairement dispersée, prête à frapper en n’importe quel endroit du territoire, y compris sur une petite commune rurale comme à Trèbes, dans l’Aude, ce matin.

Il faut établir un maillage territorial de vigilance et de prévention de la radicalisation.

En 2016, vous écriviez dans les colonnes de FigaroVox que la lutte contre le jihadisme n’exige pas tant de créer des lois d’exception que d’appliquer celles qui constituent déjà notre arsenal législatif. Diriez-vous encore la même chose aujourd’hui?

Oui, car je pense que nous pouvons encore aller plus loin dans notre application de la loi. Nous avons déjà de nombreuses dispositions qui nous permettent de lutter contre la radicalisation. Mais il faut du temps, par exemple pour que les juridictions utilisent les outils qui sont à leur portée pour prévenir le passage à l’acte des «revenants», ces jihadistes français partis en Syrie ou en Irak combattre et se former auprès des islamistes. La moyenne aujourd’hui des peines prononcées contre ces «revenants» est de seulement 7 ans de prison ; quant aux peines effectivement appliquées, elle n’est que de 4 ans! C’est effrayant, quand on imagine que ces jihadistes français seront remis en liberté et donc susceptibles de passer à l’acte en 2022.

Justement, les prisons ne sont-elles pas l’un des facteurs aujourd’hui du problème de la radicalisation? On y entre pour des faits de droit commun, et on en ressort parfois terroriste…

En effet, et il faut le dire, les prisons sont trop souvent des incubateurs de la radicalisation.

On constate que les moyens mis en œuvre par l’État sont loin de suffire, aujourd’hui encore, pour faire face à un phénomène de radicalisation de masse dans les établissements pénitentiaires. La mise en place en avril dernier d’un bureau central du renseignement pénitentiaire est une première avancée, mais ce renseignement est aujourd’hui largement sous-doté et nécessite des moyens humains et financiers bien plus importants pour mener à bien sa mission, qui est de prévenir la contagion de l’idéologie des jihadistes en milieu carcéral.

Source www.lefigaro.fr

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