Élisabeth Lévy : « En matière d’islamisation, le camp du déni se réduit de jour en jour »

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Muslims offer prayers during Eid al-Fitr at the velodrome de Champ-Fleuri in Saint-Denis de la Reunion on the French Indian Ocean island of Reunion on June 26, 2017, at the start of the Eid al-Fitr holiday marking the end of Ramadan. Muslims around the world are celebrating Eid al-Fitr which marks the end of the month of Ramadan, after the sighting of the new crescent moon. / AFP PHOTO / Richard BOUHET

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN – Élisabeth Lévy revient sur l’enquête réalisée par les journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, concernant l’islamisation de certaines parties du territoire français, et se réjouit qu’une frange de la gauche ouvre enfin les yeux sur ce phénomène.


Élisabeth Lévy est journaliste et directrice de la rédaction de Causeur. Dans son dernier numéro, le magazine consacre un dossier à l’islamisation et au livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Inch’Allah.


FIGAROVOX.- Vous consacrez la dernière une de Causeur au livre de deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, qui décrit l’islamisation de la société en Seine Saint Denis. Méritaient-ils tant d’honneur? Avez-vous réellement appris quelque chose de nouveau en lisant leur livre?

Élisabeth LÉVY.- Ne soyez pas injuste avec les jeunes confrères qui ont mené l’enquête: nous n’avons évidemment pas été surpris par le tableau d’ensemble ; mais il y a bien sûr beaucoup de détails que vous et moi ignorions, comme cette affaire de barbecue annuel de la PJ du 93 où la convivialité est peu à peu minée par des revendications religieuses. Cela dit, le sujet de notre «une» n’est pas le livre de Davet et Lhomme en tant que tel, mais le tournant qu’il marque peut-être dans la prise de conscience d’une islamisation qui menace la cohésion française. Quand nous proclamons «Le Monde découvre la lune» – en l’occurrence la lune islamiste, nous nous moquons gentiment de leur retard à l’allumage, mais en même temps nous saluons le début de la fin du déni. Cela dit, nous sommes encore un brin optimistes. Certes, beaucoup de journalistes du Monde ont découvert la lune. Avant Davet et Lhomme, le directeur du Monde des Livres Jean Birnbaum, qui publie ces jours-ci La religion des faibles, un excellent essai sur l’impuissance progressiste, s’interrogeait déjà dans son précédent livre sur les errements de la gauche, sa famille politique, face à l’islamisme.

Le Monde a une part de responsabilité dans l’aveuglement face à l’islam radical.

Dans La Communauté, paru au printemps, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, autres grandes plumes du quotidien, ont décrit la descente aux enfers de Trappes dont 67 jeunes sont partis faire le djihad. Pour autant, ils restent des francs-tireurs dans leur propre rédaction où visiblement tout le monde n’est pas encore parvenu au même degré de conscience. Depuis des années, Le Monde a contribué à jeter le soupçon sur les lanceurs d’alerte. Il a consacré des unes angoissées à la montée «des idées du Front national» (la première étant l’inquiétude face au fondamentalisme), mais a toujours trouvé mille excuses et autant de sociologues pour expliquer que nous étions les principaux responsables de la sécession d’une partie de notre jeunesse musulmane. Pire, il a tiré à boulets rouges sur Georges Bensoussan, intellectuel coupable d’avoir parlé sans détours de l’antisémitisme qui sévit dans les quartiers islamisés, et tressé, à plusieurs reprises, des couronnes à Marwan Muhammad, l’ex-président du Comité contre l’islamophobie en France, qui répand dans pas mal de cerveaux ses balivernes sur le racisme d’État français. Bref, compte tenu de l’influence qu’il exerce encore, au moins dans une partie des élites, Le Monde a une part de responsabilité dans l’aveuglement face à l’islam radical (avec France Inter, autre bastion du déni et de la culpabilisation de l’inquiétude). Si Davet et Lhomme, avec leur prestige de «tombeurs de François Hollande» (peut-être un peu excessif), contribuent à ouvrir des yeux, tant mieux!

Ils affirment dans vos colonnes que, depuis la sortie du livre, ils sont qualifiés d’ «islamophobes», de «fascistes» et même de «nazis». Avouez qu’il est assez ironique de les voir rejoindre ce club! Et ne me dites pas que vous n’avez pas eu du mal à les plaindre!

L’idéologie a empêché la gauche médiatique, culturelle et, pour l’essentiel, politique, de voir ce qu’elle voyait.

Nous ne les plaignons pas plus que nous ne voulons être plaints quand on nous attaque. Mais nous sommes solidaires. Sans la moindre réserve. Ces insultes posent un problème en soi, pas parce qu’elles affecteraient leurs cibles, mais parce qu’elles interdisent tout échange d’arguments. Bien sûr, on aurait aimé que quelques voix médiatiques «de gauche» défendent ces dernières années la liberté d’Alain Finkielkraut ou de Zemmour, mais le débat public n’est pas une cour d’école maternelle – ou ne devrait pas l’être. Ricaner sur le mode «à leur tour maintenant» ne nous avancerait guère. Même la liberté d’expression de journalistes du Monde doit être défendue… (je blague).

Derrière le courage affiché, il y a tout de même beaucoup d’hypocrisie. Gerard Davet et Fabrice Lhomme se défendent de faire toute idéologie. Les témoignages des professeurs des Territoires perdus de la République en 2002 étaient-ils plus idéologiques?

Vous êtes d’une surprenante sévérité ! Je n’ai pas entendu Davet et Lhomme se vanter de leur courage, mais oui, il y a un certain courage à aller contre les opinions dominantes de son milieu professionnel et amical, de sa famille idéologique et contre ses propres certitudes. Jean Birnbaum évoque avec une grande justesse le désarroi de l’homme de gauche. Combien en avez-vous rencontré vous-mêmes, de ces Français qui, issus d’une longue tradition d’espérance ouvrière, ont eu beaucoup de mal à admettre que l’universalisme dont ils se réclamaient n’était pas universellement désirable? La peur du racisme, y compris en soi-même, n’est pas seulement un diktat de médias qui veulent interdire le débat, elle est aussi, pour une part le fruit de notre glorieux surmoi humaniste. Il est vrai cependant que, quand nos estimés confrères affirment «Avant nous, ceux qui parlaient du phénomène étaient des idéologues», ils charrient. Comme vous le notez, les témoignages des professeurs, les innombrables enquêtes tribunes, livres, analyses parues au cours des quinze dernières années, et plus récemment les études de l’Institut Montaigne et du CNRS, n’avaient rien d’idéologique. En revanche, l’idéologie a empêché la gauche médiatique, culturelle et, pour l’essentiel, politique, de voir ce qu’elle voyait. Pas par cynisme, mais par instinct de survie intellectuelle: voir l’aurait obligé à réviser radicalement sa conception du monde et à admettre que l’ennemi principal ne venait peut-être pas, comme elle l’avait toujours clamé, de l’intérieur de nos sociétés – l’hydre capitaliste et/ou la lèpre populiste. Résultat, pendant des années, elle s’est employée à discréditer le doigt. Aujourd’hui, l’idéologie ne parvient plus à faire son office d’illusionnisme. Il devient presque impossible de ne pas voir la lune.

Peut-être, mais Davet et Lhomme refusent de faire le lien entre islamisation et djihadisme et nous ressortent l’éternelle rengaine des facteurs sociaux!

C’est le véritable point aveugle du livre. Davet et Lhomme ne voient pas le lien entre l’arbre et la forêt, comme si les djihadistes ne prospéraient pas dans un environnement particulier.

C’est le séparatisme culturel qui pourrait changer notre pays.

Cela dit, ils ont le mérite de s’intéresser à la forêt. Nombre d’observateurs commettent l’erreur symétrique et se focalisent sur les terroristes sans jamais se demander d’où ils sortent. Or, si la violence suscite un effroi légitime, c’est le séparatisme culturel qui, si nous ne parvenons pas à l’enrayer, pourrait changer notre pays – et pas pour le meilleur. Du reste, le terrorisme appelle une réponse policière et sécuritaire sur laquelle il est difficile d’avoir un avis pertinent. Le combat contre la sécession islamiste exige une mobilisation de l’État et de la société, en particulier des musulmans eux-mêmes. Quant à l’explication sociale, je n’ai pas le souvenir qu’elle soit au cœur de Inch’Allah, tout simplement parce que les deux auteurs se défendent de toute ambition explicative. Quoi qu’il en soit vous ne pouvez pas éliminer purement et simplement le social de la liste des causalités. Il est plus difficile d’échapper à l’emprise du groupe dans certains quartiers…

Le livre est-il, malgré tout, le symptôme d’une évolution plus générale du paysage médiatique sur ce sujet?

En effet, il est un marqueur d’une de ces évolutions qu’on observe en se retournant en arrière. Les attentats de 2015 ont constitué une première secousse. Depuis, le rideau n’a cessé de se déchirer. De nombreux médias, y compris Causeur et Le Figaro, ont abondamment (trop pour certains) raconté et commenté ce qui se passait. Ce qu’on appelait encore «le peuple de gauche» sous François Hollande sait depuis longtemps qu’on l’a trompé en lui promettant qu’avec de la croissance et de la gentillesse tout s’arrangerait. Aujourd’hui, la contradiction s’invite au cœur du camp du Bien.

Pensez-vous que cela soit suffisant pour ébranler les certitudes d’une certaine gauche?

Le camp du déni n’a pas complètement désarmé, mais il se réduit de jour en jour.

Le camp du déni n’a pas complètement désarmé, mais il se réduit de jour en jour. Il me semble avoir entendu parler d’islamisation sur France Culture sans les pincettes habituelles, c’est dire. Il reste une extrême gauche idéologique, proche de la mouvance indigéniste, pour qui la convergence des luttes passe par l’alliance avec les islamistes. Les pleurnicheuses universitaires comme Geoffroy de Lagasnerie qui voient le fascisme partout sauf là où il se trouve vraiment continueront à passer pour des cadors de la pensée dans quelques cercles sociologisants, autour de Normale sup’ ou de l’École des hautes études, et on continuera à se pâmer sur leurs propos indigents et leur sectarisme fanatique sur France Inter. Jean-Paul Lilienfeld raconte dans Causeur qu’il a entendu un éditeur bien sous tous rapports parler de Inch’Allah avec le mépris qui convenait à un livre «digne de Zemmour». Des comédiens et des amuseurs continueront à dénoncer l’islamophobie du populo et à défendre l’accueil inconditionnel et illimité des migrants (chez le même populo bien sûr). Mais ce festival de postures avantageuses a de moins en moins d’influence sur la société. Et son caractère ridicule saute chaque jour un peu plus aux yeux.

En leur consacrant la une, vous êtes consciente que cela ne va pas arranger leur réputation auprès de certains de leurs collègues?

J’ai beaucoup de sympathie pour Plic et Ploc (le surnom affectueux que nous donnons à Davet et Lhomme) mais ils sont adultes et leur situation au Monde les regarde. Nous, nous avons fait notre travail, qui était de discuter le leur et nous l’avons fait avec la bienveillance qu’ils méritent, car je répète qu’ils font œuvre utile. Je n’ose penser que cette bienveillance critique pourrait leur valoir des ennuis. Même au Monde, la pensée réflexe – c’est Causeur, c’est réac, c’est mal – est de moins en moins tendance, non?

Sur le plan politique, on a aussi entendu les déclarations d’Olivier Faure qui va jusqu’à évoquer une forme de «colonisation à l’envers»…

Et qui s’est bien entendu rétracté après une salve de tweets promptement baptisée «levée de boucliers». La lucidité n’avance pas de façon linéaire. S’il y a aujourd’hui un consensus très large sur l’existence d’un danger islamiste, beaucoup rechignent encore à le connecter aux changements migratoires des dernières décennies. Or, c’est bien une crise majeure de l’intégration qui voit des petits-enfants d’immigrés moins intégrés que leurs grands-parents, que nous vivons.

Finalement, il n’y a peut-être que Macron qui reste désormais sourd à cette problématique?

Si vous savez ce que pense le président sur la question, je serais ravie de l’apprendre et vos lecteurs aussi. Je constate avec tristesse et colère qu’il n’a pas prononcé publiquement le nom Charlie Hebdo depuis son arrivée au pouvoir, que son «itinérance mémorielle» ne l’a pas mené au Bataclan le 13 novembre et qu’il a pudiquement évoqué devant l’Arc de Triomphe les «manipulations des religions».

Il est bien trop tôt pour décréter qu’on ne peut rien faire contre la séduction qu’exercent des islamistes sur une partie de notre jeunesse.

Si on ajoute les projets de révision de la loi de 1905, ou ce qu’on en sait, il semble que le président assume de plus en plus son penchant multiculturel et qu’il voudrait bien, comme le Comité des Droits de l’Homme de l’Onu, en finir avec cette singularité française qu’est la laïcité pour adopter le «chacun fait ce qu’il lui plaît» du libéralisme des droits contemporain.

Que pensez-vous de la nomination au ministère de l’Intérieur de Christophe Castaner qui confond «voile catholique» et voile islamique?

Comme vous, que ce n’est pas très encourageant. Cependant, tout le monde peut changer. Peut-être que le ministre de l’Intérieur lit Le Monde. Plus sérieusement, on peut craindre qu’en haut lieu, soit on n’ait pas pris la mesure du problème, soit on croit toujours qu’il se dissoudra dans la croissance. À moins que, faute de solutions évidentes, on préfère regarder ailleurs.

La prise de conscience de Davet et Lhomme, mais aussi d’une partie de la gauche politique et médiatique arrive bien tard. Trop tard?

Trop tard, c’est mieux que pas du tout. Et non, il n’est pas trop tard. Il est bien trop tôt pour décréter qu’on ne peut rien faire contre la séduction qu’exercent des islamistes sur une partie de notre jeunesse. Le pouvoir de la raison existe, pour peu qu’on veuille en faire usage. On ne peut pas imposer durablement à une société un changement dont elle ne veut pas. «Nous vaincrons. Parce que nous sommes les plus morts», a écrit Muray. Je ne peux m’y résigner et nous sommes beaucoup (et de toutes origines, religions etc.) dans ce cas, prêts à mener un combat culturel pour défendre une certaine façon de vivre, de penser et de faire collectivité. La gauche découvre la lune? Excellente nouvelle. Nous n’allons pas perdre les dix prochaines années à ratiociner sur le mode «on vous l’avait bien dit!».

Source www.lefigaro.fr/vox

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