« Erdogan est-il un nouvel Hitler ? » (Giesbert – Le Point)

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Il y a quelque chose d’obscène à comparer à Hitler le moindre tyranneau étranger ou politicien français et à assimiler au nazisme les déclarations déplaisantes ou xénophobes. Tels sont les effets de la banalisation du mal, pont aux ânes de la nouvelle doxa.

Dans un débat, le meilleur moyen de faire taire un contradicteur est de hurler au fascisme, au nazisme. La tendance n’a cessé de se développer, ces dernières décennies, au point qu’a été promulguée la loi de Godwin, du nom de son farceur d’inventeur, qui a décrété que plus une discussion dure, plus grande est la probabilité que surgissent des comparaisons avec Hitler ou les nazis.

S’il ne faut pas abuser des comparaisons, reconnaissons que sont innombrables les rapprochements possibles entre le Führer et Recep Tayyip Erdogan, le dictateur élu de Turquie, le moindre n’étant pas qu’ils apparaissent tous deux comme des produits avariés de la démocratie. Ce sont les urnes qui ont porté Hitler au pouvoir en 1933. Fort de sa majorité au Parlement, il put ensuite avoir recours à l’Acte générateur qui lui donna les pleins pouvoirs jusqu’à la chute du IIIe Reich, en 1945.

Hitler l’a fait, Erdogan marche sur ses pas. L’an dernier, le numéro un turc a remporté (à 51 % seulement) la majorité à un référendum constitutionnel, ce qui lui permettra de disposer, dès 2019, de nouvelles prérogatives dans le cadre de l’hyperprésidentialisation du régime. Sans aucun contre-pouvoir, le président pourra gouverner par décret, décider seul de l’état d’urgence, nommer les hauts fonctionnaires, tout en restant à la tête de l’AKP, son parti islamo-conservateur.

Défendant ce type de régime « présidentiel », Erdogan déclarait la veille du Nouvel An 2016 : « Il y a actuellement des exemples dans le monde et des exemples dans l’Histoire. Vous en aurez l’exemple dans l’Allemagne nazie. » Apparemment, sa langue avait fourché et son surmoi, craqué. Le palais présidentiel s’était fendu peu après d’un communiqué condamnant le nazisme mais, quelques mois plus tard, le chef de l’Etat avait fait une rechute en affirmant, chattemite : « Moi, je n’approuve pas ce qu’a fait Hitler, et je n’approuve pas non plus ce qu’a fait Israël. Quand il est question de la mort d’autant de gens, il est déplacé de se demander qui est le plus barbare. »

L’idéologie génocidaire du président turc se déploie sans vergogne dans son négationnisme sur l’extermination des Arméniens, perpétrée en 1915 par l’Etat turc, avec la bénédiction des autorités musulmanes (1 million et demi de morts). Encore une similitude avec l’hitlérisme : Erdogan approuve les politiques de liquidation ethnique. Selon la version officielle turque, qui ne tient pas debout, ce prétendu génocide aurait été, en réalité, une guerre civile, provoquée par la minorité arménienne, qui aurait fait à l’époque quelques centaines de milliers de victimes dans les deux camps. Sornettes !

Après les Arméniens, voici venu le tour des Kurdes de Syrie, qui furent les meilleurs alliés contre Daech. Erdogan qui les qualifie contre l’évidence de « terroristes », promet de « détruire un par un tous leurs nids » en continuant de traiter leurs cousins de Turquie comme des Untermenschen, corvéables à merci, assassinés à l’insu de leur plein gré par la police. Comme les nazis, le président turc procède aussi à des autodafés, mais sans feu : la théorie de Darwin sur l’évolution n’est plus enseignée en Turquie et 139 141 livres, signés Spinoza ou Camus notamment, ont été retirés des bibliothèques du pays pour être pilonnés.

Comme le Führer, Erdogan, nostalgique de l’Empire ottoman, a des rêves de grandeur, voire d’expansionnisme cultuel et culturel. C’est ce que montrent sa bougeotte diplomatique et les incursions de son parti en Allemagne, en Bosnie ou encore en France. Comme le raconte Alexandre del Valle dans un livre passionnant et détaillé, « La stratégie de l’intimidation » (1), c’est un de ses fidèles, Ahmet Ogras, homme-orchestre de la nébuleuse erdoganienne en Europe, qui préside le Conseil français du culte musulman, désormais arrimé à des positions islamo-conservatrices.

Il ne tient qu’à nous de faire redescendre Erdogan sur terre. Certes, sa formidable ascension repose sur une impressionnante croissance économique (+ 7,4 % en 2017). Mais elle est aussi le fruit de nos lâchetés munichoises. Tous les dirigeants occidentaux, y compris les plus tartarins ou les plus dynamiques, cèdent à ses chantages. Trump, Macron, même combat, pardon, même prudence, mêmes reculades. « Les choses ne sont jamais si douloureuses et si difficiles d’elles-mêmes, disait Montaigne, mais notre faiblesse et lâcheté les font telles. »

Source www.alexandredelvalle.com

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