Les fantômes juifs de Mélenchon

0
3537

Chaque semaine jusqu’à la présidentielle, le Docteur Askolovitch se saisit d’un détail (lapsus, petite phrase, scène cathartique) pour décrypter la psyché du candidat et, par extension, la nôtre.  

Ce fut un moment de malaise, jeudi soir, dans une émission où Jean-Luc Mélenchon promenait sa conquête. Soudain, des fantômes vinrent le hanter. Ils étaient juifs. L’émission politique n’avait pas prévu cela.

La conversation était venue sur la Russie, sujet piégeux… « Est-ce que les droits de l’homme, c’est important pour vous? » , demandait David Pujadas, le présentateur, avant d’évoquer la mort de Boris Nemtsov, ancien ministre de Boris Eltsine devenu opposant à Vladimir Poutine, assassiné le 27 février 2015 devant les murs du Kremlin. À l’époque, Mélenchon, dans sa guerre sans cesse renouvelée contre les médias, leur reprochant d’attribuer la mort de l’opposant au président russe, avait tonné, dans son blog, contre le décédé, un « illustrissime inconnu » et un « un voyou politique ordinaire, le principal artisan des privatisations de la période 1991-1993 qui furent, en fait, un véritable pillage » – bref, un ennemi. Mélenchon, demandait Pujadas, se moquait-il du sort des opposants russes?

Il se fâcha.

Les droits de l’homme, il ne connait que ça, Mélenchon ! Sa tradition politique, la République jacobine, les avait inventés ! Il avait demandé la libération de militants de Greenpeace qui avaient attaqué une plateforme pétrolière russe ! Et puis, il embraya, et piétina le cadavre de Nemtsov. Ce fut une défaite.

Mélenchon :  « Le personnage dont vous me parlez avec tant de mansuétude, savez vous qu’il était un odieux antisémite ? »

Pujadas : « Boris Nemtsov, lui-même d’ascendance juive, aurait été antisémite? Je crois que vous confondez avec monsieur Navalny. »

Mélenchon: « C’est possible ; oui, peut-être vous avez raison. »

Il est rare que les politiques concèdent, singulièrement celui-là. Il avait donc confondu Nemtsov, paix à son âme, avec un autre opposant, ultra-nationaliste, Navalny, celui-là xénophobe – contre les caucasiens – et réputé, aussi, anti-juif. Les confusions arrivent. Nemtsov et Navalny, de fait, étaient alliés contre le Kremlin, mais n’étaient pas semblables. Mélenchon, dans sa passion, avait glissé. Si l’on a quelque mémoire, affleurait un étrange passé. Mélenchon était poreux à de si vieilles histoires qu’on se racontait à gauche pour se consoler du goulag. La grande Union soviétique de Staline, en dépit de ses camps, avait vaincu le nazisme et mis fin à la Shoah, et tous les totalitarismes ne se valaient pas, à l’aune du massacre des Juifs, au moins… On a, dans les batailles contemporaines, des rémanences de ce dilemme, quand, à gauche, d’aucuns préfèrent, à tout prendre, l’impérialisme russe au nationalisme ukrainien, allié à l’extrême droite et au passé compliqué d’allié du nazisme. La logique s’imposait dans la dialectique. Si Nemtsov, « caricaturalement acquis aux ennemis de la Russie » disait Mélenchon il y a deux ans, n’était pas antisémite, il aurait dû l’être. Ainsi la logique stalinienne capte-t-elle un homme qui fut trotskiste. Presque malgré lui.

Mais ce n’est pas tout. Les fantômes, quand ils s’en mêlent, sont infiniment plus blessants. Que l’antisémitisme, catégorie stigmatisante, soit venu dans l’argumentaire de Mélenchon, témoignait d’autre chose. Un malaise et une blessure personnelle, sans doute à vif, ce jeudi 23 février 2017. La veille au soir, le dîner du CRIF – le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, avait marqué l’annuelle rencontre du judaïsme organisé et de la politique française. Mélenchon en avait été exclu, comme Marine Le Pen. « Ils véhiculent la haine », avait tranché, censeur à la Salomon, le président du CRIF, Francis Khalifat : Le Pen, la haine contre l’étranger, Mélenchon, la haine contre Israël. Le Parti de Gauche, soutenant la cause palestinienne et pouvant appuyer le boycott de l’État juif, était aussi indésirable que le Front National.

Mélenchon n’avait pas feint de s’en moquer. Il était blessé et insulté : « Me comparer au parti d’extrême droite dont l’histoire européenne est mêlée aux pires atrocités commises contre les Juifs est une faute morale et politique », avait-il réagi. Cela flottait encore, dans son orgueil et sa tristesse, quand Pujadas avait porté le fer sur les droits de l’homme. Traité par des Juifs comme un antisémite, Mélenchon avait traité d’antisémite un mort qui ne l’était pas. Ayant subi l’injustice, il la reportait sur un autre. Ainsi, les enfants battus, quand ils deviennent adultes…

De toutes les polémiques qui entourent Mélenchon, celle sur la question juive est la plus ignoble. Elle ne date pas d’aujourd’hui. Elle fut suggérée, méchamment, par des socialistes, quand il était encore au PS, pour l’amoindrir ; c’était au temps où il se séparait, dans des querelles fratricides, de son allié Julien Dray, socialiste fervent et juif assumé. C’était laid. Ça exista. Elle revint, quand, ayant quitté le PS, il prit contre son ancien parti des positions radicales et radicalement anti-capitalistes. Il existe, dans les lectures politiques, une stigmatisation de la haine de l’argent, qui serait, par glissement, antisémite. En 2013, dans le congrès du Parti de gauche, Mélenchon avait fustigé Pierre Moscovici, ministre des Finances, lui reprochant de ne pas s’opposer aux politiques de rigueur européennes ; Moscovici, avait-il dit, avait eu « un comportement irresponsable: un comportement de quelqu’un qui ne pense plus en Français, qui pense dans la langue de la finance internationale. » La charge sur l’antisémitisme avait été immédiate : Moscovici, de parents juifs, rappelant ses origines, Mélenchon affirmant qu’il ignorait tout de sa religion…

Tout reste. Tout s’accumule. Tout s’additionne, quand un homme souffre, ne l’a jamais dit, et commet un faux pas. La bourde sur Nemtsov venait de loin. Mélenchon n’est pas antisémite. Il ne l’a jamais été. Il est celui à qui l’on oppose cette infamie. Comment y résister?

On n’a pas remarqué, concentrés sur sa bourde, ce qu’il avait dit juste avant de commettre son faux-pas. Il évoquait, Mélenchon, ses combats passés, et prenait Pujadas de haut. Il disait : « Quand vous étiez à l’école, je faisais des pétitions pour libérer Nathan Sharanski des camps du goulag. J’ai fait des pétitions pour Daniel et Siniavski ! » Les fantômes nous entouraient. Louli Daniel et Andreï Siniavski étaient deux dissidents soviétiques qui critiquaient le régime au péril de leur existence sous un pseudonyme juif – eux ne l’étaient pas. Leur procès, dans les années soixante, avait bouleversé l’opinion mondiale, jusque dans le mouvement communiste en France. Dans les années soixante-dix, Anatoly Sharanski, lui, était, à la fois, un dissident, proche de Sakharov, et un refuznik ; un militant juif en Union soviétique, qui se battait pour le droit de ses coreligionnaires à émigrer en Israël, et déporté au goulag pour cela. Un sioniste, en somme. Il deviendrait, après sa libération – ayant changé son prénom pour celui, hébraïque, de Nathan – un homme politique israélien, proche des positions américaines : l’antithèse politique, en somme, de Jean-Luc Mélenchon !

Etait-ce un hasard, si ce nom avait surgi ? Il témoignait d’un temps simple, quand l’URSS était une prison, quand Mélenchon, trotskiste puis socialiste, était l’ennemi du totalitarisme, quand les Juifs et les combattants de la liberté étaient sous sa protection, dans la tradition des gauches, et, comment dire : ses fantômes vivaient, et c’était le monde qui avait changé autour de lui, blessé, brutal, diffamé et injuste à la fois.

LA MINUTE PSY DU DOCTEUR ASKOLOVITCH

Journaliste passé par Le Nouvel Observateur, Marianne, Europe 1, i-Télé et RTL, Claude Askolovitch est contributeur pour Slate, Vanity Fair, et l’un des intervieweurs réguliers de l’émission, « 28 minutes » sur Arte. Passionné par la politique et le football, entre autres, il n’a pas son pareil pour ausculter la société française sous le prisme de la culture populaire. En janvier 2017, il a publié « Comment se dire adieu ? » aux éditions JC Lattès.

En savoir plus sur http://www.vanityfair.fr/actualites/docteur-askolovitch/articles/dr-asko-les-fantomes-juifs-de-melenchon/50763#6YaDOLzZBEP04bFO.99

Aucun commentaire

Laisser un commentaire