Forcée à déménager. Témoignage de Lydia Zekri

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Lydia Zekri est arrivée à Toulouse d’Algérie, il y a plus de 50 ans et ce qu’elle a vécu, il y a quelques mois, a été pour elle un choc auquel elle ne s’attendait pas. Confrontée à la violence verbale de ses voisins musulmans, elle a été contrainte de déménager, de peur de voir cette violence s’aggraver voire devenir physique.
Elle témoigne pour LPH.

Le P’tit Hebdo: Depuis que vous avez débarquée d’Algérie, comment était votre vie en France?

Lydia Zekri: Je dirais que j’ai eu une vie tout à fait normale. Aussi bien dans mes études que dans ma vie professionnelle, je n’ai jamais eu aucun problème. Il y avait bien quelques piques, de temps à autre, mais rien de suffisamment grave pour être souligné. Je n’ai jamais caché que j’étais juive, sans pour autant l’étaler et j’ai vécu en toute tranquillité. Cette insouciance a disparu aujourd’hui.

Lph: Quand avez-vous senti que l’atmosphère changeait?

L.Z.: J’ai vécu plusieurs années avec mes enfants dans une résidence HLM, qui est devenue petit à petit ce qui répond aujourd’hui, à la définition de ”quartier”. Néanmoins, j’ai toujours entretenu des relations très courtoises avec mes voisins, y compris les musulmans. Nous nous saluions quand nous nous croisions et il m’arrivait parfois d’apporter certains de mes plats ou de mes gâteaux à mes voisins de palier, musulmans. Il m’est même arrivée de prendre en vacances un de nos petits voisins, ami de mon fils, ses parents n’ayant pas les moyens de lui en payer.

Le premier signal inquiétant a été au lendemain de l’attentat d’Ozar Hatorah. J’ai fait face à un silence assourdissant de la part de mes voisins, sur ce qu’il venait de se passer. Pas un mot de désapprobation face au massacre ou de soutien envers la communauté juive.

Puis, il y a près de 3 ans, lorsque mes enfants ont pris leur indépendance, j’ai, du jour au lendemain, été ostracisée. Plus personne ne me disait bonjour, on m’ignorait. Le climat est devenu pesant, mais comme je ne suis pas du genre à chercher les histoires, je faisais avec.

Lph: Comment s’est passé le basculement entre mise à l’écart et agression?

L.Z.: Tout a commencé avec une bête histoire d’étiquette sur les boites aux lettres. Mon voisin de palier est sorti un soir de son appartement en hurlant que quelqu’un lui avait arraché l’étiquette de sa boite aux lettres. Deux jours plus tard, c’est la mienne qui disparaissait. Craignant que ce ne soit une mesure de rétorsion, j’ai été en toute courtoisie taper à la porte de ce voisin pour lui raconter et lui assurer que je n’étais pas à l’origine de cet acte de vandalisme sur sa boite aux lettres. Soudain, son épouse vient sur le palier et commence à m’insulter violemment. Je n’en revenais pas. A ce stade, les insultes n’étaient pas antisémites, mais très irrespectueuses. Je suis repartie chez moi. L’homme est venu taper à ma porte pour me dire que ce n’était pas lui, non plus, qui avait arraché l’étiquette de ma boite aux lettres, quand sa femme est arrivée et a recommencé à m’insulter. A ce moment, lui aussi s’y est mis et m’a crié au visage: ”Sale israélienne”, ”Retourne en Israël”, ”Tueur d’enfants palestiniens”. Et pas qu’une fois! J’ai refermé la porte de ma maison et je l’entendais encore vociférer.

Lph: Comment avez-vous réagi?

L.Z.: J’étais pétrifiée. Des voisins que je connaissais depuis si longtemps ! Jamais je n’aurais pensé qu’ils pourraient se comporter ainsi envers moi. J’étais sonnée, non pas parce que j’avais peur mais parce que je n’en revenais pas. Je me suis aussi sentie frustrée parce que je n’ai pas réagi, je n’ai pas réussi à leur rétorquer quoi que ce soit.

Lph: Avez-vous tout de suite décidé de déménager?

L.Z.: Mon fils est venu me chercher et m’a emmenée chez lui. Il ne voulait plus que je remette les pieds dans mon appartement. C’était une bonne décision, parce que le degré de violence était tel que le prochain stade aurait été l’attaque physique. Après coup, j’ai recollé les pièces du puzzle, et j’ai compris que l’ostracisation dont j’étais victime n’était qu’une étape. L’histoire de la boite aux lettres n’était peut-être qu’un prétexte. Mon fils m’a hébergée pendant plusieurs mois dans son appartement de 35 m². Pour moi, l’urgence était de retrouver un appartement aussi éloigné que possible de mon quartier d’origine. Cela n’a pas été simple, parce que pour obtenir un logement social, le processus est long. J’ai été beaucoup aidée et soutenue par la communauté de Toulouse.

Lph: Avez-vous déposé plainte?

L.Z.: J’ai déposé deux plaintes: l’une pour l’agression dont j’ai été victime et l’autre pour celle dont mes enfants ont été victimes quand ils sont venus prendre mes affaires. Les voisins les ont menacés et insultés. Nous avons dû faire le déménagement en catimini, aux heures où le voisin dormait. Cela a été très long et difficile.

Lph: Vos agresseurs ont-ils été interrogés?

L.Z.: J’ai déposé plainte en juillet dernier et depuis je n’ai aucune nouvelle. J’ai tenté à plusieurs reprises de savoir où cela en était, mais je n’ai aucun renseignement.

Lph: Avez-vous pensé à faire votre alya?

L.Z.: Dans l’immédiat, il fallait que je trouve un autre logement rapidement. Israël, c’est ma terre, c’est mon pays, mais la France aussi est mon pays. Je ne voudrais pas être obligée de la quitter. Pour l’heure, je n’écarte pas l’option de l’alya, mais je suis française. Si je pars, je veux prendre ma décision en toute liberté. Il est frustrant d’être mis dehors à grands coups de pied et c’est ce qui est entrain de se produire: beaucoup de Français juifs sont mis hors de chez eux.

Lph: Les réactions des autorités publiques face aux actes antisémites de ces dernières semaines vous paraissent-elles satisfaisantes?

L.Z.: Non. Les agresseurs agissent en toute impunité parce qu’aucun acte fort n’est pris, parce que la loi n’est pas appliquée. Les manifestations, les discours ne me redonnent pas espoir. Je ne le retrouverai que lorsque des actes forts seront mis en œuvre et surtout que cela se fasse rapidement. Il me semble qu’élargir la notion d’antisémitisme à celle d’antisionisme va dans la bonne direction. Mais cela ne suffira pas. Un cap a été franchi. Si des décisions fortes ne sont pas prises, nous pourrions assister à un départ massif des Juifs de France. L’avenir, D’ seul le connait, mais pour le moment, je ne le vois pas beau. J’espère de tout mon cœur me tromper.

Propos recueillis par Guitel Ben-Ishay – lphinfo.com

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