Un « habeas corpus » républicain pour l’islam de France

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TRIBUNE. Le recteur de la Mosquée de Paris s’insurge contre les intellectuels, les médias et les politiques qui nourrissent la peur et l’islamophobie.

Ne serait-il pas nécessaire de se pencher sur l’islam, avec les précautions, mais aussi les exigences de l’histoire ? C’est l’une des premières questions que soulève, dans sa leçon inaugurale, en 1956, Jacques Berque, titulaire de la chaire d’histoire sociale de l’islam contemporain au Collège de France entre 1956 et 1981.

Aujourd’hui, et depuis des années, ces précautions d’usage auxquelles appelait Jacques Berque ne sont plus de mise. Des avis et des commentaires politiques ou intellectuels se bousculent aux portes des médias pour dire tout le mal qu’ils associent à l’islam et par voie de conséquence à tous les citoyens français de confession musulmane. Cela ne peut qu’alimenter cette haine de l’autre qui prospère grâce à un discours clairement islamophobe, prenant à partie la minorité de la population française de référence musulmane.

Les musulmans de France sont victimes d’une stigmatisation permanente dans certains médias comme dans l’ensemble de l’échiquier politique

L’extrême droite n’est pas la seule en cause  ! Depuis des années nous assistons à la banalisation d’une islamophobie décomplexée dans notre vie quotidienne et dans toutes les strates de la société. Depuis la première «  affaire du foulard  » en 1989 jusqu’au débat sur «  Islam et laïcité  » le 5 avril 2011 en passant par le débat sur l’identité nationale, la «  burqa  », le «  halal  », ou les «  prières de rue  », les musulmans de France sont victimes d’une stigmatisation permanente dans certains médias comme dans l’ensemble de l’échiquier politique, sous la plume de certains intellectuels ou politiciens. «  L’islam est un problème pour la France  », a déclaré récemment un ex-Premier ministre.

Trop c’est trop  ! Oubliant les principes de laïcité, de neutralité et liberté de conscience, loin de connaître l’islam dans son fond et dans sa pratique, ces «  bien-pensants  » alimentent régulièrement l’idée que l’islam est une religion guerrière et violente. Tout un courant d’opinion se fait jour qui encourage une certaine islamophobie dangereuse qui gangrène bien des esprits de nos quartiers et de nos villes et villages.

Des fanatiques musulmans ont fomenté et fomentent des attentats terroristes absolument intolérables provoquant ici ou là des massacres honteux que tous les religieux de l’islam, dont ceux de la Mosquée de Paris, ont fermement condamnés. Ils n’ont jamais manqué de dénoncer ces actes de barbarie tout en s’élevant contre tout ce qui, aujourd’hui, déforme, pervertit et dévoie l’enseignement du Coran. Ils s’insurgent qu’on puisse penser que la foi musulmane assujettisse les femmes et prêche la guerre sainte contre tous les non-musulmans.

Contrairement à une opinion qui se propage face aux crispations religieuses qui s’observent partout dans le monde, l’intégrisme, les violences et les massacres ne sont pas l’apanage du seul islam. Les intégrismes fleurissent dans chaque grande religion du monde. Cette vague mondiale de fanatisme touche toutes les religions, et pas que les religions…

Mais nous refusons que certains intellectuels, journalistes ou hommes politiques, forts de leur position dominante et dans un esprit d’amalgames sidérants, alimentent dans notre pays l’impression générale de beaucoup de Français qui cèdent à la peur d’un islam décrit comme intrinsèquement fanatique : musulman = terroriste, islam = islamisme, foi = fanatisme. Il est vrai que ceux qui alimentent régulièrement cette peur dans leurs tribunes soignent leurs écrits pour éviter de tomber sous le coup de la loi.

Ces débats nauséeux visent à établir et à entretenir une confusion dangereuse entre islam, insécurité, immigration, islamisme et terrorisme, tandis ne cesse de grandir dans certains milieux politiques la tentation de s’attaquer à la loi de 1905 sur la laïcité pour hiérarchiser les religions et s’ingérer dans le fonctionnement de l’une d’entre elles : l’islam ! Comme au temps des colonies.

Lire aussi « On doit organiser l’islam en France en fonction des intérêts de la France »

Il nous faut ici rester lucides et tirer les justes conclusions des leçons de l’histoire déjà ancienne de la France avec l’islam, une histoire dont la Mosquée de Paris depuis le début du XXe siècle est le symbole et la sève. Plutôt que d’alimenter une peur irraisonnée antimusulmane dans l’opinion de notre pays, n’est-il pas temps et autrement plus constructif d’ajouter nos voix et notre soutien aux musulmans de France condamnés avant même d’être jugés  ?

Nous, citoyens français de confession musulmane, demandons à nos censeurs et juges patentés la présomption d’innocence républicaine avant que d’être condamnés et voués aux gémonies.

Nous refusons d’être régulièrement pointés du doigt comme des boucs émissaires pour éviter de parler des vrais problèmes et des angoisses des Français que sont le chômage, le pouvoir d’achat ou l’écart croissant des inégalités sociales et économiques  ! Nous demandons un «  habeas corpus  » pour l’islam et les musulmans de France : un citoyen libre ne doit pas être soumis régulièrement à une doxa arbitraire ou vexatoire qui l’enferme, voire le ghettoïse en raison de son appartenance réelle ou supposée à une religion. Et avec comme seule solution, « réorganiser l’islam, voire le changer » !

Nous, citoyens français de confession musulmane, demandons à nos censeurs et juges patentés la présomption d’innocence républicaine avant que d’être condamnés et voués aux gémonies. Car en ces temps de brouillage idéologique et de recomposition politique, nous nous devons de faire preuve de la plus grande clarté et d’une plus grande lucidité républicaine. La démocratie sera toujours du côté de celles et ceux qui exigent l’égalité, la justice sociale et le respect des libertés civiles, au côté de tous nos concitoyens stigmatisés au nom de leur appartenance religieuse réelle ou supposée, ou de leur couleur.

La vie apaisée et harmonieusement intégrée des musulmans de France dans une même communauté de destin et de valeurs dépend de nous tous. Ne manquons pas ce rendez-vous de l’Histoire !

* Recteur de la Grande Mosquée de Paris

Source www.lepoint.fr

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