Comment Haïti sauva des Juifs

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Louis-Philippe Dalembert raconte un pan méconnu de la Seconde Guerre mondiale dans un roman captivant, « Avant que les ombres s’effacent ».

PAR VALÉRIE MARIN LA MESLÉE – www.lepoint.fr

Sait-on qu’Haïti, en 1939, adopte un décret-loi octroyant la naturalisation haïtienne immédiate à tous les Juifs désireux de l’obtenir ? Ce pan méconnu de l’histoire inspire à l’écrivain haïtien Louis-Philippe Dalembert son nouveau roman, formidablement enlevé, intitulé Avant que les ombres s’effacent. Son talent allège le poids des tragédies du XXe siècle qu’il parcourt, de la Pologne où naît son héros, jusqu’à Port-au-Prince où il vit ses derniers jours. Médecin juif polonais, né à Lodz en 1913, Ruben Schwarzberg, émigré en Allemagne, devient par les hasards de la vie un citoyen haïtien en 1941. Il ne quittera plus l’île de Toussaint Louverture, ce havre improbable où il a construit sa vie après un parcours tumultueux qu’il relate, une nuit durant, à sa petite cousine, venue avec une ONG israélienne porter secours à la ville détruite par le séisme en 2010.

Buchenwald, Cuba, Paris

De Berlin, où les persécutions obligent toute la famille du jeune homme à fuir, les uns aux États-Unis, les autres en Palestine, Ruben, miraculeusement réchappé de Buchenwald avec son oncle, passe par Cuba et arrive à Paris. La diaspora haïtienne lui tend les bras, c’est peu dire, qu’il s’agisse d’une belle femme mûre, d’un célèbre poète, Roussan Camille, qui œuvre, au sein de la Délégation, à lui accorder la nationalité haïtienne, ou encore de la poétesse Ida Faubert qui l’héberge. Au milieu des frayeurs, Ruben a compris que vivre passe par la débrouillardise, la jouissance de l’instant et la confiance en certains justes.

Solidarité humaine

Cette traversée épique et délicieusement rocambolesque de la Seconde Guerre mondiale est portée à partir d’un épisode documenté, par l’imagination du romancier qui conjugue son érudition, son expérience du nomadisme et du croisement des cultures. Il narre cette aventure avec tendresse, humour, et réussit aussi bien à installer les ambiances (de l’immeuble familial à Berlin au Bal nègre, sans oublier les soirées poétiques) qu’à incarner ses personnages dans une langue charnue, tonique et bondissante. Livre d’hier et d’aujourd’hui, Avant que les ombres s’effacent est un voyage littéraire formidablement constructif où la solidarité humaine défie et défait les murs…

Itinérance créole

En marche sur la terre en est un autre, en poésie cette fois, puisque c’est le titre du dernier recueil de poèmes de Dalembert, qui y poursuit son itinérance créole (il était invité au festival de Deauville « Livres et musiques » sur le thème des Littératures créoles) le regard ouvert sur un monde métissé, à partir du petit pays natal, « un grain de sable sur la carte du monde, longtemps je l’ai confondu au tracé de la terre ». Et le cœur plein de son « enfance haïtienne » : dans un ouvrage collectif qui porte ce titre et réunit de très belles plumes haïtiennes, il a extrait un souvenir au prisme du cinéma qui faisait les beaux jours de son quartier populaire, à Port-au-Prince : comme tous les adolescents, le jeune Louis-Philippe, particulièrement cinéphile, se demande bien pourquoi, mais pourquoi donc, il leur a été interdit d’assister à la projection du Dernier tango à Paris ! Un récit adorable, et du monde entier, lui aussi.

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