Israël face au réalisme en politique internationale

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Par José GARSON – Bennilouche

Illustration : Le diplomate iranien Reza Saffinia arrive chez Chaim Weizmann à Rehovot le jour de Yom Ha’atzmaut 1950

Dans une maxime devenue célèbre, le stratège militaire Clausewitz affirma en son temps que «la guerre ne constitue que la continuation de la politique par d’autre moyens».  Deux siècles plus tard, Israël semble croire, au contraire, que la politique ne constitue que la continuation de la guerre par d’autres moyens. C’est une erreur. C’est la politique qui gagne les guerres, pas l’inverse. Israël l’a vu en 1967 et en 1973.

Prenez le dossier iranien. Faire agir de façon répétée -et même spectaculaire- les services secrets suffira-t-il à arrêter l’Iran ? Évidemment non ; on le voit aujourd’hui au niveau d’enrichissement où sont arrivés les Iraniens. Implorer Biden au sujet du JCPOA aura-t-il un effet quelconque sur l’attitude de ce pays ? Évidemment non : Biden sera parti dans deux ans. Faute d’une véritable politique étrangère qui prend le problème en main de façon diplomatique et globale, Israël s’est enfermé dans un cul-de-sac politique dont il aura du mal à sortir.

Car il est clair maintenant qu’une attaque militaire contre l’Iran, souvent brandie comme solution de dernier recours, ne pourra jamais avoir lieu. Ou sera arrêtée immédiatement après son déclanchement, laissant Israël perdant sur toute la ligne. L’Iran le sait. Et la raison en est simple : la politique étrangère que l’Iran mène depuis trois ans lui garantit d’être protégé -soit par la Chine, soit par la Russie et plus probablement par les deux à la fois- contre toute attaque. Présente en Syrie, la Russie peut, par un télégramme diplomatique de deux lignes tuer dans l’œuf toute velléité israélienne d’agir militairement.

Il est vrai que, pendant qu’Israël passe son temps à comparer les sondages électoraux et à réfléchir à qui succèdera à qui au gouvernement, l’Iran a su conclure un traité de 40 ans avec la Chine, courtiser activement la Russie et agir sur le plan international auprès des BRICS en posant sa propre candidature à l’entrée dans ce club. Avec une politique étrangère intelligente et hyperactive, l’Iran s’est ainsi construit le système de protection politique le plus solide qui soit. Israël, pendant ce temps, s’est empêtré dans l’affaire ukrainienne et a réussi à se mettre la Russie à dos -la seule chose qui n’aurait jamais dû être faite.

Par ailleurs, croire que les États-Unis «protègeront» Israël et lui permettront d’agir relève du pur phantasme. D’abord parce que le soutien à Israël est en chute vertigineuse dans ce pays. Ensuite, parce que les États-Unis ne se battront pour personne -comme on le voit en Ukraine. Enfin, parce que la vraie menace dissuasive pour Israël se situe à 100km de sa capitale, auprès des forces russes qui, dès qu’elles le décideront, imposeront à Israël le tempo de leur choix -et se moqueront de ce que pensent ou veulent les Américains. Israël ne doit pas oublier de tirer toutes les leçons du 24 février dernier.

La visite de Biden en Israël, dans ce contexte, prête à sourire. Israël est l’un des rares pays au monde où on croit encore en l’Amérique…. Rappelons qu’en Arabie Saoudite et dans le Golfe, les dirigeants politiques ont plusieurs fois refusé de prendre au téléphone le Président américain. Le dirigeant saoudien que Biden va rencontrer est, d’ailleurs, au mieux avec la Russie sur tous les plans, y compris celui du pétrole. Clairement, tout le monde voit le déclin international de l’Amérique s’annoncer -sauf les dirigeants israéliens qui, tout sens de souveraineté oublié, en arrivent à faire de l’Amérique le juge de paix de l’origine d’une balle qui aurait tué une journaliste…

En fin de compte Israël doit reconnaitre que, faute d’une quelconque politique étrangère qui lui aurait créé, sinon des alliés, du moins des complices, il est désormais complètement seul face à l’Iran. Et ses options dans ce dossier sont limitées. Continuer, comme maintenant, à courtiser l’Amérique et chercher à se positionner fièrement comme défenseur des pays du Golfe a-t-il un sens ? On ne sacrifiera pas Petah Tikva pour Manama. L’Amérique pousse Israël dans une direction qu’elle ne suit pas, tant il est vrai qu’elle a elle-même commencé des négociations secrètes avec l’Iran.

Il reste une seconde option, celle du réalisme diplomatique : la négociation avec l’Iran, sur le mode des négociations nucléaires qui eurent lieu jadis entre les États-Unis et l’URSS. L’Iran a ses ambitions, certes. Mais c’est un pays millénaire avec lequel le monde juif a un grand passé. Et il faudra l’accepter : pour longue et difficile qu’elle puisse être, seule une telle négociation peut désormais sortir Israël de la situation où il s’est mis en négligeant sa politique étrangère pendant des années. Suggérons que cette négociation gagnera à être confiée à un médiateur : la Russie -qui a aussi en secret ses propres craintes face à un Iran nucléaire à ses frontières et au Liban. Mais on devra, bien sûr, d’abord réparer les dommages diplomatiques créés avec ce pays pendant la guerre en Ukraine. Des tâches probablement sans intérêt face aux derniers résultats des sondages….

 1 commentaire:

bliahphilippe a dit…

L’auteur de cet article fait preuve de réalisme indiscutable mais partiellement… Sans doute a-t-il raison sur les errements de la diplomatie israélienne plaçant tous ses œufs dans le panier américain.

Encore que la question se pose de pouvoir en sortir sans trop de dégâts.

Israël dans des limites du possible a tenté d’élargir sa marge de manœuvre par des relations avec l’Inde dans le domaine des armements, a tenté de coopérer avec la Chine sous le regard malveillant de son tuteur américain lui faisant obstacle sous la menace.
S’agissant de l’Iran il me semble que la conclusion de cet article relève de l’illusion contraire au réalisme sur lequel devrait s’appuyer tout enseignant en géopolitique.
Jusqu’à quel point n’y a-t-il pas confusion entre désir et réalité ?

Imaginer en l’état négocier avec les mollah iraniens dont l’obsession constante est l’éradication d’Israël au nom d’une idéologie religieuse féodale à laquelle ils ne renonceront jamais revient à tenter un tour de table avec Hitler pour lui demander d’extirper le nazisme de son régime.

Si la guerre a ses limites concernant l’Iran qui a su résister à un conflit ayant provoqué des centaines de milliers de morts avec l’Irak tout autant qu’aux sanctions américaines, il apparait bien présomptueux de la part du petit Israël d’obtenir par la diplomatie quelques avantages d’une négociation laquelle même conclue très hypothétiquement ne sera jamais mise en œuvre durablement.

Les leçons de l’Histoire ne servent pas.

Surtout lorsqu’on réalise combien les Occidentaux ont du mal à se faire respecter confrontés à la duplicité iranienne!

Les pays arabes du Golfe semblent être plus lucides sur ce point que les Occidentaux en retrait économique et militaire face aux nouvelles puissances hégémoniques.

 

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