« J’avais peur que ça finisse comme pour Ilan Halimi »

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Agression antisémite à Créteil : « J’avais peur que ça finisse comme pour Ilan Halimi »

Photo : David-Olivier Kaminski et Patrick Klugman, avocats de Jonathan, victime avec sa compagne Laurine d’une agression antisémite en 2014 à Créteil (Eric FEFERBERG / AFP)

Agression antisémite à Créteil : « J’avais peur que ça finisse comme pour Ilan Halimi » David-Olivier Kaminski et Patrick Klugman, avocats de Jonathan, victime avec sa compagne Laurine d’une agression antisémite en 2014 à Créteil. (Eric FEFERBERG / AFP)

A la barre ce vendredi, Jonathan B. a raconté l’agression dont lui et sa fiancée ont été victimes en décembre 2014.

Par Vincent Monnier

L’Obs

A la barre ce vendredi, Jonathan B. raconte l’agression dont lui et sa fiancée de l’époque ont été victimes d’une voix égale, presque sans affect, le buste droit, les mains croisées sur son costume gris rehaussé d’un pin’s aux couleurs du drapeau français. Il y a comme un décalage entre la violence des faits, un calvaire qui a duré près d’1 heure 30, et son récit clinique. Sûrement une déformation professionnelle chez celui qui officia comme gendarme pendant quatre ans. Une façon de se protéger aussi. Car, derrière la façade, les murs sont lézardés, les cicatrices, encore à vif :

« Je ne suis pas quelqu’un qui exprime ce qu’il ressent. Ce n’est pas pour autant que je ne pleure pas, mais je le fais au fond de moi. »

Depuis ce cambriolage sur fond de préjugés antisémites commis le 1er décembre 2014 à Créteil, sa vie d’avant a volé en éclats. Le couple s’est séparé, son employeur l’a licencié. Rares sont les nuits sans cauchemars. Encore plus rares celles où il parvient à aligner plus de cinq heures de sommeil d’affilée. « La sécurité m’obsède », confie le jeune homme de confession juive, non pratiquant. Il a déménagé dans une résidence où il faut passer trois portes à digicodes avant d’arriver jusqu’à son appartement. Pas suffisant, a-t-il estimé. Il a rajouté un lecteur d’empreintes relié à une alarme, des caméras dans toutes les chambres, et vit claquemuré derrière ses protections digitales.

« Ils ont ruiné nos vies. J’espère qu’ils vont prendre conscience que ce qu’ils ont fait n’est pas juste une bêtise », lance-t-il à l’intention des quatre prévenus qui comparaissent depuis le 26 juin devant la cour d’assises de Créteil pour viol, séquestration, extorsion, violences aggravées et association de malfaiteurs : Ladje H., 23 ans, Abdou Salam K., 24 ans, Yacin K., 24 ans, Cheik-Omar S., 21 ans, des garçons de Créteil et de Bonneuil-sur-Marne, déscolarisés très jeune pour la plupart, vivant d’expédiants – Houssame H., un cinquième complice, a pris la fuite vers l’Algérie quelques jours après l’agression, il est visé par un mandat d’arrêt. Un cambriolage violent sur fond de préjugés antisémites, ce que contestent les intéressés, lesquels reconnaissent les faits de vol.

Trois hommes cagoules, gantés, armés

Aujourd’hui, Jonathan B était invité à raconter le déroulé de ce funeste lundi 1er décembre 2014. Ce jour-là, le couple s’est réveillé aux alentours de 11 heures. La veille, ils sont rentrés tard dans la nuit d’un week-end en Normandie, la région où Jonathan a exercé comme gendarme.

C’est là qu’il a rencontré Laurine C., âgée de 19 ans au moment des faits, originaire d’un petit village du bocage. A l’automne 2014, Jonathan a décroché un poste de vendeur dans un magasin du centre de Paris. Le couple a alors quitté la Normandie pour s’installer chez les parents de Jonathan à Créteil, un modeste F4 qu’ils louent dans le quartier du Lac. Le temps de trouver un appartement, Jonathan a réinvesti la chambre qui fut longtemps la sienne.

Le matin du 1er décembre, quand on sonne à la porte, le jeune homme, alors dans la salle de bain, n’a aucune méfiance : il pense qu’il s’agit du facteur venu lui livrer les commandes qu’il a passées quelques jours plus tôt sur internet en prévision des fêtes de Noël. Quand Laurine lui demande si elle peut ouvrir la porte, il acquiesce sans se poser de questions. Soudain, il entend comme un grand bruit puis sa petite amie qui crie son prénom. Il se précipite alors vers l’entrée. Trois hommes cagoulés, gantés et armés d’un fusil à canon scié et d’une arme de poing lui font face : Ladje H., Houssame H. et Abdou Salam K. (Yacin K. a joué les chauffeurs et Cheick-Omar S. a participé aux repérages). Ils sont entrés par le parking de l’immeuble. Ont repéré l’appartement grâce à la mezouza fixée sur sa porte.

Projetée au sol, Laurine tremble de tout son corps. « Elle suffoquait, elle avait du mal à respirer », se souvient Jonathan. Le chien de la jeune fille, un bichon blanc qui ressemble à Milou, ne cesse d’aboyer sur les intrus. Les cambrioleurs menacent de l’abattre si elle ne parvient pas à le calmer. Ils demandent les téléphones des deux jeunes gens, puis les installent sur le canapé du salon. « Je tente alors de rassurer Laurine. Je lui dis que ça va aller. Qu’ils vont prendre les téléphones, les tablettes et les ordinateurs et puis repartir. »

« Les Juifs ont de l’argent »

A travers les trous dans leurs cagoules, Jonathan parvient à identifier la couleur de peau noire de deux des individus. L’un d’entre eux porte des gants en latex transparents, achetés quelques minutes plus tôt dans une pharmacie voisine de l’immeuble. « Avec la sueur, ça le grattait, il tirait dessus sans cesse, on voyait sa couleur de peau. » Le troisième s’exprime avec un léger accent maghrébin et truffe ses phrases de quelques mots d’arabe. Il serait l’auteur de la plupart des propos antisémites et des incitations au viol. Il s’agirait de Houssame H. Des indications qui permettront aux policiers de remonter jusqu’aux agresseurs. D’autant qu’une quinzaine de jours avant l’agression, un soi-disant voisin avait sonné à la porte de l’appartement familial des parents de Jonathan pour demander du sucre avant de vite déguerpir. Un repérage.

Très vite, le cambriolage prend une drôle de tournure. « A plusieurs reprises, les trois hommes répètent la même phrase : ‘On n’est pas venus pour rien' », se souvient à la barre Jonathan. Ils ne sont pas venus au hasard mais mus par de sinistres préjugés antisémites. L’un des agresseurs aurait alors lancé :

« On sait que vous avez de l’argent. Les Juifs ont de l’argent. Les Juifs, ça ne met pas d’argent à la banque. »

Avant de parler à Jonathan de son père, « celui qui a un rond sur sa tête », de la voiture de ce dernier, un Mercedes noire, de son frère qu’il prend pour le patron du magasin Redskins de Créteil Soleil, une galerie commerçante de Créteil… Pas de doute : sa famille a été ciblée. « Je lui réponds que mon frère n’a que 19 ans, qu’il n’est qu’un simple vendeur. Il me dit alors d’arrêter de faire le malin », se souvient Jonathan. C’est à ce moment-là qu’un des agresseurs lui aurait mis le pistolet sur le front puis dans la bouche :

« Quand j’ai senti la froideur du métal, je me suis dit que les armes n’étaient pas factices. Je me suis dit que j’allais peut-être mourir aujourd’hui. Quand on est gendarme, on nous répète que si besoin nous devrons aller jusqu’au sacrifice ultime. Je me suis dit que ce jour était venu. »

Dans l’appartement, la tension monte. Les cambrioleurs ont beau fouiller dans tous les placards, dans toutes les pièces, même le garde à manger de la cuisine, jeter à terre des pots de sauce tomate, ils ne trouvent rien. Ils demandent alors « où sont les vieux Juifs ? », promettant d’attendre leur retour. Puis réclament à Jonathan sa carte bleue pour aller retirer de l’argent au distributeur. « Si tu nous donnes un mauvais code, on va s’occuper de vous », menacent-ils. Un des trois cambrioleurs semble plus en retrait, plus suiveur. Il pourrait s’agir de Abdou Salam K. Alors que le couple a été transporté dans la salle de bains, il tend même son téléphone à Laurine. S’attirant les foudres de ses complices qui vérifient aussitôt si aucun appel n’a été passé, ou aucun message envoyé.

« On les gaze ? »

En attendant le retour de leur comparse, les deux cambrioleurs restés dans l’appartement décident d’attacher Jonathan avec du scotch. « C’est pour t’offrir aux Palestiniens », aurait proféré l’un d’eux, probablement Houssame H.

« Ça a été comme un élément déclencheur. Ils se sont mis à arracher les mezouza des portes, à casser des tableaux représentant des rabbins, à casser des objets sans valeur », explique Jonathan B.

Ils lui mettent du rouleau adhésif sur les oreilles, la bouche, lui attachent les poignets puis les pieds, avant de le retourner face contre sol. Un des trois agresseurs, Houssame H., a sorti l’argenterie sur la table du salon. Soudain, Jonathan sent comme des petits chocs dans son dos. Le cambrioleur s’amuse à faire tomber des couteaux sur lui avant que son comparse lui demande d’arrêter : « Heureusement, ils étaient à bouts ronds. » Mais dans sa tête, Jonathan commence à paniquer :

« Des cambriolages, j’en ai vu des centaines quand j’étais gendarme. Là, j’ai compris que ce n’était plus un simple cambriolage. J’avais peur que ça finisse comme pour Ilan Halimi. »

Depuis le début des débats, les accusés, eux, nient toute dimension antisémite à leurs actes. Certains d’entre eux comparaissent cependant pour une autre tentative de vol survenue en novembre 2014 à Créteil sur un septuagénaire de confession juive repéré par la mezouza sur la chambranle de sa porte.

Quelques minutes plus tard, alors que le troisième comparse a fait son retour – il a réussi à retirer 200 euros –, les cambrioleurs décident de partir. « On les gaze ? », aurait demandé l’un des trois.

« Je me suis dit que c’était de ma faute »

Pendant le témoignage de son ancien compagnon, la jeune femme aux cheveux châtain s’est recroquevillée sur elle-même, mains sur les oreilles, comme si le récit faisait remonter à la surface des souvenirs douloureux qu’elle peine à enfouir. Elle a d’ailleurs demandé le huis clos partiel pour son audition. Son ancien compagnon raconte que leur couple n’a pas survécu à l’agression.

« Un jour, elle prenait sa douche dans notre nouvel appartement. Comme toujours, elle avait fermé le verrou de la porte de la salle de bains. Elle a cru entendre un bruit dans l’appartement et n’a pas voulu ressortir. » Il admet se sentir coupable :

« Laurine vient d’une petite ville de Normandie, presque un village. Elle avait peur de venir à Paris, de la foule, des transports en commun. Je me suis dit que c’était de ma faute parce que c’est moi qui l’ai amenée à Paris. »

Aujourd’hui, Jonathan raconte ne plus revenir très souvent à Créteil, où vivent encore ses parents. « On a été éduqué dans le vivre-ensemble. Mais tout ça s’est dégradé peu à peu. » Il raconte que lors de la manifestation qui a suivi l’agression dont il a été victime avec Laurine, des participants se sont fait insulter : « On leur a reproché de défendre les Juifs. Il y a donc des gens qui pensent que c’est normal d’agresser les Juifs en France. Je ne veux pas que dans notre pays, des citoyens aient peur de ce qu’ils sont. »

Pour David-Olivier Kaminski, l’un des avocats du couple :

« Cette affaire frappe autant par le crime odieux dont ont été victimes Laurine et Jonathan que par la haine antisémite d’aujourd’hui qui gangrène la société française. »

Vincent Monnier

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