Jean-Louis Thiériot : «Corbyn a sciemment rendu hommage à des terroristes palestiniens»

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FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le quotidien The Daily Mail a publié des photos montrant le leader travailliste Jeremy Corbyn, en 2014, à un dépôt de gerbe en hommage à plusieurs des terroristes palestiniens qui ont tué 11 athlètes israéliens à Munich en 1972. Fin connaisseur de la Grande-Bretagne, Jean-Louis Thiériot analyse ces révélations.


Historien, essayiste et avocat, Jean-Louis Thiériot est l’auteur d’une biographie de Margaret Thatcher, «Margaret Thatcher: de l’épicerie à la Chambre des Lords» (Fallois, 2007), prix Joseph du Teil de l’Académie des sciences morales et politiques et prix de la biographie historique. Il est par ailleurs député de Seine-et-Marne (LR).


FIGAROVOX.- Jeremy Corbyn a reconnu la véracité des photos publiées par The Daily Mail qui le montrent, en 2014 en Tunisie, au dépôt d’une gerbe à la mémoire de plusieurs des terroristes palestiniens ayant tué 11 athlètes israéliens à Munich en 1972. Corbyn précise toutefois que, s’il était présent, il «ne pense pas» qu’il «participait à proprement parler». Que vous inspirent ces révélations?

Jean-Louis THIERIOT.- Ces faits sont d’une extrême gravité. L’attentat de Munich survenu pendant les Jeux Olympiques, les 5 et 6 septembre 1972, a été d’une singulière barbarie. Des membres de l’organisation terroriste palestinienne «Septembre noir» avaient pris en otage neuf membres de la délégation israélienne dans le village olympique après en avoir assassiné deux. Ils les ont ensuite froidement abattus lors d’une intervention maladroite de la police ouest-allemande. En tout, l’attentat a fait douze morts, les athlètes et un policier allemand. En 2012, le Spiegel avait révélé que le commando palestinien aurait bénéficié du soutien logistique de groupuscules de l’extrême droite allemande, dans la tradition des liens entretenus par le grand Mufti de Jérusalem avec Adolf Hitler. Venant à Tunis avec une couronne de fleurs, devant un monument spécifiquement dédié aux terroristes de «Septembre noir», ayant accompagné les prières prononcées par les dignitaires musulmans présents, Corbyn ne peut prétendre «n’avoir pas pensé (…) qu’il participait à proprement parler». Ce n’est pas sérieux. Au nom de son soutien à la cause palestinienne, le leader d’un grand parti de gouvernement a sciemment rendu hommage à des terroristes et à des assassins. Dans le contexte sécuritaire que l’on connaît en Europe, c’est très préoccupant et particulièrement choquant.

Par le passé, le chef de l’opposition travailliste avait déjà été mis en cause sur ce sujet et accusé de complaisance envers le terrorisme palestinien. Par ailleurs, il est connu pour sa critique extrêmement virulente d’Israël. Qu’en penser?

L’entourage de Jeremy Corbin n’est pas moins sulfureux.

Hélas, Corbyn n’en est pas à son coup d’essai. À trop flirter avec la prétendue distinction antisionisme/ antisémitisme, la ligne rouge a plusieurs fois été franchie. Jusqu’à la récente affaire, Jeremy Corbin, l’a fait au moins quatre fois. Toujours au nom de l’antisionisme, il a noué des liens étroits avec le Hamas et le Hezbollah qui est, il faut le rappeler, une organisation terroriste qui continue à tirer des roquettes sur les populations civiles d’Israël. Dans les années 1990, invoquant la liberté d’expression, il s’était opposé à la destruction d’une fresque murale représentant un «Juif au nez crochu» jouant avec le monde au Monopoly. L’image rappelait les terribles clichés des années Trente et les illustrations du Juif Süss, diffusées à satiété sous le IIIe Reich. Il serait intervenu auprès d’HSBC pour empêcher la clôture des comptes de la mosquée de Finsbury Park (dans le Grand Londres, NDLR), haut lieu des prêches enflammés des Frères musulmans, finalement fermée pour apologie du terrorisme. Enfin, il a refusé que le Labour signe la Charte pour la Mémoire de la Shoah, qu’ont signée la plupart des gouvernements européens et des partis de gouvernement, au motif que ladite charte interdit de comparer le comportement d’Israël aux exactions nazis…

L’entourage de Jeremy Corbin n’est pas moins sulfureux. En 2016, la députée travailliste Naz Shah avait proposé de transférer Israël aux États-Unis. Quant à Ken Livingston, ancien maire travailliste de Londres, surnommé «Ken Le Rouge», il avait déclaré en 2016 «qu’Hitler était sioniste…». Même si ces deux personnalités ont été sanctionnées – mollement, Ken Livingston a été suspendu, pas exclu -, il existe clairement au sein du Labour une forme de résurgence du vieil antisémitisme repeint aux couleurs de l’antisionisme et de l’anticapitalisme. Les tensions y sont vives. Certains parlementaires, comme Lucian Berger appellent publiquement Jeremy Corbin à s’excuser, voire à démissionner.

La complaisance de Corbyn envers ce qu’on appelle «l’islamo-gauchisme» a-t-elle joué un rôle lors des primaires ouvertes qui ont permis son élection à la tête du Labour en 2015? Quelles forces soutiennent, dans la gauche britannique, ce type de discours?

Les soutiens de Corbyn se recrutent essentiellement dans des réseaux activistes, des associations communautaires et des ONG propalestiniennes.

Le rôle de «l’islamo-gauchisme» dans les élections de 2015 a été assez marginal. La victoire de Jeremy Corbin a été assise sur la promesse de rompre avec le social-libéralisme des années Blair et Brown. C’est le virage à gauche sur les questions économiques et sociales – nationalisation, fin des politiques d’austérité – qui a permis le succès de Corbyn avec 59% des voix des électeurs travaillistes. Aujourd’hui une partie des dirigeants travaillistes prennent leur distance. Trois syndicats importants, qui figurent parmi les importants bailleurs de fonds du parti – une singularité britannique -, ont publiquement menacé de suspendre leur participation financière. Les soutiens de Corbyn se recrutent essentiellement dans des réseaux activistes, des associations communautaires et des ONG pro-palestiniennes. Il est difficile de dire aujourd’hui comment réagit la base du parti.

Les positions du Labour marquent-elles une rupture? Y a-t-il une tradition antisémite importante dans la culture politique britannique?

C’est en effet une rupture. Si le Royaume-Uni a connu l’antisémitisme universellement répandu dans la vieille Europe – qu’on songe au personnage du Juif Shylock dans le Marchand de Venise de Shakespeare -, il a aussi été le premier pays européen à avoir un premier ministre d’ascendance juive, dès le XIXe siècle, et non des moindres: Disraeli, favori de la Reine Victoria. C’est la déclaration Balfour de 1917 qui a permis le développement d’un «foyer de peuplement juif en Palestine». Dans l’entre-deux-guerres, Mosley, fondateur de la British Union of Fascist a remporté assez peu de succès. Il existe certes une tradition pro-arabe au Foreign Office, enracinée dans le souvenir des mandats britanniques au Levant, des deuils subis, par exemple lors de l’attentat de l’hôtel King David de Jérusalem en 1946 qui fit 91 morts, ou de la tradition impériale. Mais jusqu’à l’arrivée de Corbyn, les grands partis en étaient à peu près exempts – à l’exception peut-être de l’UKIP-. Margaret Thatcher était même un fervent soutien de l’État d’Israël. C’était habileté électorale. Sa circonscription de Finchley comptait la plus grande communauté juive du pays. Mais pas seulement. Thatcher était très admirative du courage et du patriotisme d’Israël et, dans sa jeunesse avant-guerre, avait contribué à sauver une jeune Juive de Vienne Edith Mulhauber pour laquelle elle avait participé aux quêtes du Rotary. Pour elle, l’antisémitisme était un mal concret, inscrit dans la chair des hommes.

Cette affaire est-elle susceptible d’affecter la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon, qui soutiennent Corbyn?

Depuis longtemps la France Insoumise flirte dangereusement avec «l’islamo-gauchisme». En mobilisant la rhétorique de l’antisionisme et de l’anticapitalisme militant, elle est toujours à la limite de tomber dans les clichés les plus éculés de l’antisémitisme anticapitaliste.

Jean-Luc Mélenchon est invité au congrès du Labour à la rentrée. Sa décision sera intéressante à observer. S’il s’y rend, il cautionnera de fait, les dérives de Corbyn.

Le CRIF s’était d’ailleurs opposé à la présence de Jean-Luc Mélenchon – comme à celle de Marine Le Pen – à la marche blanche en l’honneur de Mireille Knoll, victime d’un meurtre antisémite. Jean-Luc Mélenchon est invité au congrès du Labour à la rentrée. Sa décision sera intéressante à observer. S’il s’y rend, il cautionnera de fait, les dérives de Monsieur Corbyn.

Un autre sujet, non dépourvu de lien avec le précédent, s’impose aujourd’hui: une voiture a percuté, le 14 août au matin, des barrières de sécurité près du parlement britannique à Londres. Deux personnes au moins ont été blessées. Le conducteur, arrêté, est soupçonné «d’actes terroristes». Où en est le danger terroriste en Grande-Bretagne?

Il est toujours très élevé. Cinq attentats ont eu lieu en 2017. Heureusement, aucun n’a été commis en 2018, mais douze tentatives ont été stoppées. Le gouvernement a annoncé en juin qu’il ne prévoyait pas de baisser le niveau d’évaluation de la menace avant au moins deux ans. Les événements du 14 août à Westminster, si le caractère terroriste se confirme, prouvent qu’une épée de Damoclès pend toujours sur l’Europe. La complaisance de Jeremy Corbyn vis-à-vis des terroristes n’en est que plus grave.

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