La FAQ sur la ‘Alya

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Sur l’auteur et l’ouvrage « Les Sept Yéchouot, de Perle Friedheim »:

Rien ne semblait destiner Perle, née dans une famille ashkénaze traditionnaliste, à devenir femme d’Avrekh et mère de famille nombreuse en Israël. Mais la Providence va s’en mêler à chaque tournant…
De l’élève timide et (trop ?) disciplinée en banlieue sensible aux bancs du Séminaire, et du mal-être de l’adolescente romanesque à la vie de mère survoltée, Perle nous entraîne à sa suite sur un parcours authentique jalonné de surprises vers la Émouna, avec en filigrane, une réflexion teintée d’humour et de poésie sur la notion de Tafkid et celle, si populaire, de Yéchoua.

La FAQ sur la Alya

J’ai tenté d’interviewer plusieurs personnes sur leur expérience personnelle, sachant que chaque vécu est différent, en fonction des Midot, de l’âge, de la formation, du niveau en hébreu, de l’assertivité et de l’adaptabilité du Olé ou de la Ola. Mais aucune n’était assez disponible pour répondre à une bonne vingtaine de questions pièges sur la A comme Alya, B comme bon, C comme choix ; alors je me suis rabattue sur la seule de ma connaissance qui n’est jamais débordée et a même du temps à revendre. Je vous laisse deviner son identité…

Comment avez-vous vécu votre Alya ?
Comme dit Maman, « ce que j’ai aimé mon Alya, je la referais bien plusieurs fois ! » L’idée est tentante, si ça pouvait nous éviter certaines erreurs (rires). Pour ma part, l’idée de la Alya ne m’effleurait pas dans ma jeunesse, et j’ai même refusé à plusieurs reprises un Chiddoukh parce que le Ba’hour voulait vivre en Israël ! (sic) La peur de l’inconnu… Et finalement, contrairement à ces personnes qui ne rêvent que d’Israël et sont toujours en France, je suis partie avant même d’en rêver. Baroukh Hachem, plus de dix ans après avoir sauté le pas, je ne regrette pas. Je voudrais souligner deux points importants sur l’Alya : d’une part, le fait qu’elle doit représenter, comme son nom l’indique, un tremplin. La deuxième remarque, plus terre à terre, est que toute votre vie, vous aurez le titre de olé ‘Hadach, « nouvel immigrant ». Mais alors quand est-ce qu’on devient un vétéran ? allez-vous me demander. Je n’ai pas encore la réponse, et dans le fond, c’est tant mieux : l’Alya, c’est un processus, une marche constante vers l’avant. Je souhaite à tous ceux qui le peuvent d’entrer dans cette dynamique.

Et au niveau Boulot, comment votre intégration s’est-elle passée ?
Comme (presque) tout le monde, j’ai commencé dans le télémarketing, pour un organisme de Tsédaka pas très connu. Nous sommes donc la énième association qui appelle M. et Mme… Vous imaginez l’accueil. Pourtant, à mes débuts, j’appelle une Mme B., très sympathique et concernée, elle m’invite à lui envoyer la brochure, elle fera quelque chose. Je prends note. Plusieurs autres personnes me réservent un accueil chaleureux, l’une d’entre elles envoie 1000 euros… la chance du débutant. Par la suite, c’est moins évident et les plus sympathiques ne sont pas forcément les plus généreux. Certains me soupçonnent de mentir lorsque je leur dis que j’appelle d’Israël, d’autres s’énervent contre le harcèlement téléphonique dont ils se sentent victimes, d’autres vous demandent de les rappeler un autre jour, à une heure où ils savent qu’ils ne répondront pas… Bref, les joies de la téléphonie pour ceux qui connaissent. Heureusement, je me suis fait une ou deux amies, qui aimeraient bien me voir lors d’un passage en Israël, et je pense toujours à Mamie Claire, une veuve Tsadéket qui donne à tous les organismes de Tsédaka le peu d’argent qu’elle a… Elle a même parlé de moi à sa petite-fille S., qui travaille à l’ambassade. Je me souviens de l’angoisse qui m’a étreinte un jour où la vieille dame ne répondait pas. J’ai su par la suite qu’elle avait été hospitalisée et je me souviens encore de la joie qui a transparu dans sa voix quand elle a reconnu la mienne – une joie réellement partagée… Je suis sûre que la Tsédaka l’a sauvée. À l’époque, je travaillais principalement le soir, couchant Yaffa à 18 h 30, pour faciliter la tâche à la baby-sitter. Mais cette dernière ne me l’a pas facilitée le jour où elle a envoyé à sa place sa sœur qui s’est endormie, d’un sommeil très profond, sur notre canapé, après avoir consciencieusement verrouillé, en plus de la serrure, le loquet de sécurité. Un voisin a dû entrer par la fenêtre… La baby-sitter remplaçante a eu la peur de sa vie, et moi j’ai fini par jeter l’éponge – le télémarketing, même pour de la Tsédaka, ce n’était pas pour moi…
Dans ce pays, il existe un bon nombre de possibilités d’emploi sans qualification, ni diplômes, ni don particulier : celui qui tamponne les tickets de caisse à la sortie du magasin, inédit, accompagnateur ou conducteur de Hassa’a (transport scolaire)… Il y a aussi les formations qu’on fait davantage pour leur côté formateur que pour les débouchés – et je vous parle en connaissance de cause.
Mais je crois que dans tous les cas, avec ou sans diplôme équivalent ou israélien, on sent bien dans cette Terre spéciale qu’on dépend de Hachem… Et combien avons-nous tous besoin de son aide ?

Quelles sont vos Chansons préférées ?
Je ne peux pas dire que je sois une spécialiste de musique israélienne, mais ce que j’aime ici, ce sont les musiques des attentes téléphoniques quand vous appelez des bureaux officiels… Ça vous facilite les Douze Travaux d’Astérix. Bien sûr, il y a les musiques classiques, comme en France, mais il y a aussi des jingles exclusifs, comme celui du Bitoua’h Léoumi, plus ou moins l’équivalent de la sécurité sociale. Je vous mime la scène : vous appelez pour savoir pourquoi vous n’avez toujours pas touché le congé de maternité deux mois après avoir accouché. Prête au combat, vous passez en revue dans votre esprit quelques répliques cinglantes que vous avez apprises à l’Oulpan, mais vous avez du mal à vous concentrer dessus, parce que pendant les 37 minutes 45 d’attente, on vous passe en boucle le nouveau jingle : « Baréguaim ha’hachouvim chel ha’haim, Bitoua’h Léoumi letsidkha – dans les moments clés de la vie, le Bitoua’h Léoumi est à tes côtés »… C’est tellement beau, poétique, et si vrai… Le temps que le téléconseiller vous réponde, vous vous surprenez à chanter en chœur « dans les moments clés de la vie… », et votre fille Rou’hama, qui traîne dans les parages, se joint à la chorale. Quand on vous répond enfin, vous ne vous souvenez plus pourquoi vous avez appelé, mais une chose est claire : « Le Bitoua’h Léoumi est à tes côtés… » Par contre, quand on appelle le Mass Hakhnassa, équivalent du fisc (j’ai rêvé ou surpris des frissons chez les lecteurs ?), ça reste sobre. Mais s’ils veulent, je peux aussi leur composer un jingle : « Mass Hakhnassa, on va te faire ta peau » – qu’est-ce que vous en pensez ?

Faut-il avoir toujours sur soi un Dictionnaire ?
Ce n’est pas obligatoire, mais conseillé, notamment pour comprendre ce qu’on vous dit en accéléré, sans faire répéter votre interlocuteur vingt fois d’affilée – on sait par expérience que ça ne sert à rien. Dans ce cas, mieux vaut l’enregistrer et chercher ensuite dans votre lexique. Pour vous faire comprendre également, vous pourrez difficilement faire l’impasse sur votre dictionnaire, papier ou en ligne – du moins lorsque vous vous préparez pour votre prochaine audience à la Koupat ‘Holim, au Misrad Hapnim (ministère de l’Intérieur) ou au Bitoua’h Léoumi – pour éviter que vos traductions mot à mot ne soient accueillies par des froncements de sourcils et des hochements de tête peu convaincus.

L’Éducation est-elle plus facile en Israël ?
Ça, c’est un cliché erroné. Croire qu’à partir du moment où nous sommes sur « notre » Terre, entre nous, il n’y a plus à se soucier du devenir de nos enfants est la plus grosse erreur que des parents puissent faire. Une erreur qui peut coûter très cher. Et c’est pourquoi il ne faut pas hésiter à demander conseil à des spécialistes en orientation scolaire, qui connaissent la spécificité des Olim français.
Par la force des choses, et c’est justement celle de notre peuple, natalité et enfance ont ici une place nettement plus dominante qu’ailleurs. L’éducation spécialisée est extrêmement développée, avec une imitation volontaire du système américain, comme dans beaucoup d’autres domaines. Mais parfois, on aboutit à des paradoxes, avec une diagnostication à outrance, qui fait qu’un pourcentage énorme d’enfants d’une même classe peuvent être considérés comme AD(H)D (souffrant de troubles de la concentration avec ou sans hyperactivité) – on aime bien ce genre de sigles-étiquettes. Et il faut donc parvenir à garder un certain recul.
Laisser les enfants avec leurs problèmes tels quels n’est pas une solution, certes, mais l’hypertraitement non plus, et on ne voudrait pas en arriver à une société où chaque personne aurait besoin de son psy, sans parler des psys en chef, destinés à traiter les psys…
Effectivement, m’a concédé un jour une psy, il faudrait davantage voir la globalité de l’enfant, plutôt que d’examiner chaque détail à la loupe grossissante.

Concernant les relations avec les Enseignants, il y aurait encore beaucoup à dire… Ce sera peut-être pour une prochaine interview.

Le mythe du Freyer (un pigeon) – le risque de se faire avoir est-il réel ?
Contre cette peur, parfois obsessionnelle, d’être un Freyer, auquel les Israéliens consacrent maintes émissions télé où sont astucieusement mesurées l’efficacité de tel ou tel déodorant ou la longueur réelle d’un rouleau de papier-toilette, il y a la culture de la ‘Hessed.
Bien sûr, il ne faut pas perdre son esprit critique pour ne pas se faire escroquer. Mais faut-il pour autant passer son temps à se battre ? Alors, doit-on refuser de se laisser marcher sur les pieds ou marcher sur ceux des autres ?
Ni l’un ni l’autre. Le mot d’ordre, ici : être A-SSER-TIF (capacité à s’exprimer et à défendre ses droits tout en respectant la sensibilité et les droits des autres). Affirmez-vous, ni agressif, ni ramolli – un juste milieu qui n’est pas toujours facile à trouver.

Comment Gérer son emploi du temps ?
Les journées commencent tôt, et se terminent tôt, pour les adultes, mais aussi pour les enfants. Et avec des demi-journées d’école, il faut les occuper l’après-midi, soit dans le cadre d’une garderie régulière, soit avec des activités extrascolaires ponctuelles, qui laissent une grande place à l’artistique – ateliers-théâtre, pâtisserie, chant et danse, coiffure, décoration, etc. –, et le reste du temps jouer entre frères et sœurs ou avec les voisins, faire des commissions pour la Maman…
Il y a toujours un moment pour la sacro-sainte sieste, une spécialité locale qui, bien sûr, n’est pas à la portée de tout le monde, mais beaucoup de mères et de pères de famille s’y essaient avec succès, et un panneau l’indique clairement dans les Guinot (squares publics) : il est interdit de faire du vacarme entre 14 h et 16 h. C’est vrai que quand on se couche tard et qu’on se lève tôt, la journée est longue et il faut tenir le coup…

Qu’est-ce que la Guina ?
C’est le square public ou jardin de l’immeuble, du quartier, ou de la ville, le rendez-vous de toutes les mères du coin – mais il y a parfois aussi quelques pères noyés au milieu de la masse : ce sont ceux dont les femmes viennent d’accoucher ou ont des horaires de travail impossibles, comme les infirmières.
J’ai l’impression que parfois, les mères n’y prennent pas moins de bon temps que leurs enfants – elles ont d’importants sujets à débattre, comme l’envolée des prix de telle marque de couches, les alternatives, leur viabilité, les passages ou éventuels redoublements du Gan que vous prévoyez pour les plus jeunes (cette notion n’existe pas au-delà de l’école maternelle, sinon, on envisage les cours particuliers ou l’éducation spécialisée).
Et si vous ne vous sentez pas spécialement à l’aise avec vos voisines, vous donnez rendez-vous à vos copines – et à leurs enfants – ou bien allez dans la Guina d’un autre quartier, histoire de voir d’autres paysages et de vous sentir incognito.

Qu’est-ce qui est le plus Impressionnant chez les Israéliens ?
Oubliez la pusillanimité, la frilosité française. Et bienvenus au pays du courage, de la gentillesse, de la solidarité : « Est-ce que je peux te serrer dans mes bras ? » me demande timidement Esther, une sage-femme après un accouchement. Où voit-on des choses pareilles ? Les missiles tombent sur le nord du pays, tout le Sud devient une vaste auberge de jeunesse. Le Sud est en danger, le Nord lui ouvre les bras. Depuis Avraham Avinou, où a-t-on vu cela ?

Et qu’est-ce qui, chez vous, les impressionne le plus ?
Mon accent, jugé belge ou russe, selon le degré de spécialisation en linguistique de mon interlocuteur.

Existe-t-il une Jovialité à l’israélienne ?
Et encore comment ! À croire que ce mot a été inventé pour eux… Ici, on vous appelle par votre prénom, même si vous n’avez pas gardé les vaches ensemble. Ma Nichma ? Ma Chlomkha ? Ma ‘Hadach ? Ma ha’ïnyanim ? Ma koré ? Ma ata mesaper ? (liste non exhaustive) Ce genre d’amorces de conversation peut s’enchaîner pendant 5 bonnes minutes… pour parfois s’arrêter là. Je vais bien, merci. Mais vous risquez parfois d’être déçu si vous préférez les vrais échanges.
Cependant, de manière générale, vous sentez un intérêt réel, une compassion sincère. Ici, personne n’est indifférent au sort de son frère – et vous vous entendrez d’ailleurs appeler « A’hi » (« mon frère-pote ») de temps à autre. Vous vous sentez loin de la froideur, de l’indifférence et de la grisaille parisienne.

Combien de Kilomètres faut-il parcourir pour partir en vacances ?
C’est seulement une question de mètres : vous pouvez improviser une soirée-barbecue sur votre terrasse, jouer au ping-pong sur la table de votre salon, organiser des rallyes « automobiles » dans le couloir – mais pour ma part, je reste réticente à l’idée de faire Tarzan dans la jungle à partir du lit superposé…
Les idées originales valent plus que les bons plans : une Maman m’a confié qu’elle faisait des journées à thème, par exemple le thème Ben Hazmanim – les congés. Le premier jour, des activités et petits cadeaux à 1 shekel autour de la première lettre, et donc des bouot sabon (bulles de savon), du barad (glace pilée sucrée), et le reste à l’avenant… Il y a des brochures entières d’idées sympa pour parents fauchés qui passent leurs vacances à la maison, des travaux manuels de construction pour quelques clopinettes, etc.
Le budget-vacances n’est pas toujours très élevé, mais l’avantage énorme que nous avons ici est la taille du pays, avec la possibilité de retour à la base-case départ tous les soirs, avec des sorties en journée, dans des parcs gratuits – l’avantage des enfants pas trop gâtés, c’est qu’il n’est pas nécessaire de payer tous les jours pizza & parc d’attractions (je vous rassure, nos enfants ont déjà été dans des parcs d’attractions, et ils se sont bien amusés). Mais ce n’est pas leur seul kiff : une fois, je les ai emmenés au Canyon de Ramot pour l’escalator – dans notre village d’irréductibles ‘Harédim, il n’y en a pas. Pour leur faire plaisir, nous faisons aussi parfois un tour en ascenseur de verre, l’équivalent de la grande roue, mais gratuit… Évidemment, en grandissant, il faut trouver un peu plus élaboré, mais de manière générale, quand on vient de la cambrousse et qu’on a des parents fauchés comme les blés, on apprécie davantage les plaisirs simples.
Il y a aussi un principe génial ici : la keitana ovéret (centre aéré itinérant) entre gens de confiance – voisins ou famille. Vous achetez une série de casquettes identiques, prenez une ribambelle d’enfants de tous les âges, vous démenez pendant une journée pour leur organiser des activités sympathiques, principalement en plein air, sachant que vous êtes ensuite en vacances pendant une semaine, puisque les jours suivants, c’est aux voisines ou à vos proches de prendre leur relais, avec vos enfants et les leurs.
Et pour ceux qui ont à tout prix besoin de dépaysement, il y a les échanges d’appartement, qui marchent très bien, avec des Gma’h ou des agences qui font le relais entre les personnes intéressées – vous échangez pour quelques jours votre appart à Ofakim contre un autre à Jérusalem, et le tout gratuitement… avantageux, non ?

Que signifie le mot « Lo » ?
Ceux qui ont fait de l’Oulpan vont sûrement bondir – qu’est-ce que c’est que cette question ?! Je vais en étonner plus d’un (à part les Vatikim, les « anciens »), mais contrairement à ce que l’on vous apprend en cours d’hébreu moderne, c’est une notion subtile et polysémique, qui peut varier de « peut-être ben que oui » à « peut-être ben que non ». Et l’éventail est très large…
Ce n’est pas parce qu’on vous a dit « non » qu’il n’y a plus rien à faire ; ce n’est pas parce qu’on ne vous a pas donné gain de cause que tout est perdu. Le « non » dans ce pays est un concept polymorphe, variable tant en fonction de l’émetteur que du récepteur. Un non peut cacher un oui, un Lo peut être un Ken déguisé…

Qu’est-ce qui vous Manque le plus de la France ?
Permettez-moi de vous dire d’abord ce qui ne me manque pas : le métro aux heures de pointe, les graffitis et les gens à l’allure inquiétante qu’on croise à tous les coins de rue…

Mais alors, rien ne vous manque ?!
Si, une ou deux choses : les croissants non sucrés et non gluants, l’emmental et le canard laqué (avec une bonne Hachga’ha) dans les mariages… somme toute pas grand-chose…

Quelle qualité est-elle Nécessaire pour s’en sortir sur les routes ?
En quittant la France, vous ne laisserez pas derrière vous les embouteillages, et une bonne dose de patience est donc nécessaire. Bien sûr, le volant n’est pas un cerf-volant ni un joystick, mais vous devez faire preuve de souplesse pour vous adapter aux autres conducteurs, à une autre manière de conduire.
Gardez toujours en tête le dicton « Al tihyé tsodek, tihyé ‘hakham – ne cherche pas à avoir raison, mais à être sage », et laissez passer sereinement les gens pressés d’arriver au cimetière Lo Alénou, même s’ils vous « complimentent » en hurlant : « Et Monsieur a étudié à la fac ?! »

L’Ordre et l’Organisation sont-ils différents en Israël ?
L’ordre est établi a posteriori, la hiérarchie, souple et adaptable : vous pouvez être moins bien payés que vos subalternes, ou plus qualifiés que vos supérieurs ! Souvent, d’abord, on agit, et ensuite on réfléchit sur le tas (une sorte d’écho du « Naassé Vénichma ») : il y a tellement à faire, à construire, à mettre en place, qu’il serait dommage de perdre son temps avec d’interminables comités de planification (qui existent toutefois). L’avantage de cette Chita  est qu’on se hasarde et réussit souvent des réalisations audacieuses qu’à trop réfléchir, on n’aurait pas tentées, et que l’on peut avoir rendez-vous dans un ministère pendant ses heures de fermeture (sic) !

Est-il possible de mieux se Préparer à la Alya ?
Une bonne préparation, à mon sens, passe, en plus des conseillers professionnels, par un contact suivi avec des gens qui vous ressemblent un minimum et sont passés par là avant vous. Si vous voulez un petit conseil de ma part pour l’optimisation des rendez-vous médicaux, je recommande d’acheter un petit sablier alors que vous êtes encore en France et de vous entraîner à résumer votre dossier médical en 3 minutes 33 (5’’55 pour les Tunisiens), ce qui correspond, dans le meilleur des cas, au temps imparti par la Koupat ‘Holim aux médecins qu’elle emploie – et on ne peut pas toujours passer chez un Français. Il faut être d’autant plus concis que tout ce que vous dites peut être retenu contre vous et est consciencieusement tapé par le médecin – qui, quand il n’est pas un pur produit des universités israéliennes, américaines ou françaises, ne sait taper que d’un doigt. Donc soyez brefs et entraînez-vous, dès le sablier retourné, à résumer vos symptômes + depuis quand + votre historique médical, sans remonter jusqu’à votre grande tante par alliance – lancez juste en anglais le nom du problème chronique dont j’espère que ni vous ni vos parents ne souffrez. Si vous avez déjà souffert de symptômes semblables dans le passé, il peut également être utile, pendant les dix dernières secondes, d’évoquer le ou les traitements suivis à l’époque avec succès. Sinon, gardez patiemment le silence pour laisser le praticien terminer d’entrer ces données fondamentales sur son ordinateur en le regardant d’un air inspiré et entendu de spécialiste qui consulte un confrère – mais attention, n’en faites pas trop quand même : il ou elle n’est pas obligé de savoir que vous avez été recalé en première année de médecine. (rires)

Parlez-nous du choix d’un Quartier ?
Il est déterminant. C’est ici qu’on a découvert ce qu’était un véritable Chabbath et comment les gens peuvent sereinement laisser leur ‘Hanoukia en argent dans la rue pendant une semaine – réfléchissez bien, si vous avez prévu votre Alya, aux avantages des quartiers religieux, et aux opportunités d’avancement spirituel qu’ils offrent, même si c’est au prix de sacrifices (porter des collants tout l’été, etc.). Surtout qu’il y a, Baroukh Hachem, une grande variété de quartiers religieux, avec différentes nuances. Personne ne vous demande d’aller vous installer à Méa Chéarim, pas même les autochtones.

En Israël, la vie est-elle plus Rapide ?
Nous avons déjà parlé de la rapidité sur les routes, et tout le monde s’entend à le dire : en Terre Sainte, la vie va à cent à l’heure, sans doute parce que, quelque part, on est conscient qu’il ne reste que très peu de temps jusqu’à la venue du Machia’h…

Le Showarma fait-il partie à part entière de la culture israélienne ?
Oui, au même titre que Pita, Falafel, salade cuite (Chakchouka), ‘Houmous, Te’hina, Borekas, même si à l’origine ce sont des spécialités importées d’autres pays du bassin méditerranéen. Vous allez (devoir) changer d’habitudes culinaires : œufs et salade le matin, goûter ‘Halavi léger en guise de repas du soir. Pour beaucoup, c’est l’adaptation la plus difficile, sans oublier les cruels dilemmes dans les mariages : schnitzel ou cuisse de poulet ? Et si on prenait plutôt un bon steak ?…
Le roquefort, le parmesan, l’emmental, oubliez ! Les fromages sont différents, et adoptez plutôt le cottage, le fromage qui s’est révolté il y a quelque temps contre une injuste envolée des prix – c’était avant la « révolte des tentes », de ceux qui n’ont pas de quoi se payer un cottage.
À propos, même au supermarché, on vous propose l’achat à crédit. Attention ! Les banques sont très cool, mais il faut pouvoir rembourser. Alors, méfiez-vous des pubs qui vous promettent de transformer votre moins en plus… avant de retomber dans un découvert encore plus carabiné et d’avoir l’impression d’être un minus.

Qu’est-ce que la Tipchat ‘Halav  ?
Pour toute Maman consciencieuse, elle est incontournable. C’est là que vous allez faire vacciner votre Baby – premier rendez-vous un mois après la naissance. On vous y donne aussi plein de conseils (généralement) utiles et intéressants, mais pas toujours rassurants. Bébé est examiné sous tous les angles par une consciencieuse infirmière, spécialiste en vaccination, soins et développement du nourrisson de 1 à 24 mois : est-ce qu’il la suit bien du regard ? Est-ce que sa langue lui permet une bonne succion ? Et cetera, et cetera. Pour celles qui s’ennuient, les infirmières peuvent vous offrir une quinzaine de dépliants sur ce que toute jeune Maman doit savoir : que faire en cas de… ? Que faut-il éviter à tout prix ? On vous interroge aussi sur votre état d’esprit post-partum : « Est-ce que vous vous sentez déprimée ? » « Et vous, votre travail ne vous déprime pas ? » vous retenez-vous de demander à la charmante infirconseillère. À partir de l’âge d’un mois – je parle de Bébé, vous l’aurez compris –, on vous propose également un dépistage et/ou une prise en charge précoce de tout soupçon d’éventuel demi-problème qui surgirait dans les vingt prochaines années – mais j’ai découvert une info à divulguer : les rendez-vous avec le neurologue spécialiste en développement infantile ne sont pas obligatoires, et vous pouvez donc vous contenter de répondre au questionnaire rapide de l’infirmière qui note tout sur son ordinateur : est-ce que Bébé sourit déjà ? Hésitante, vous répondez : « Presque. » Est-ce qu’il fait ses premières vocalises ? Cette fois, vous n’hésitez pas : « Bien sûr, il arrive même à jouer du piano avec les pieds ! » Bli ayin hara… Bien sûr, il ne faut pas mentir, mais qui a dit qu’une mère était obligée de tout se rappeler avec la précision de l’ordinateur de l’infirmière ? Un dernier conseil : ne RÉVÉLEZ surtout PAS, quoi qu’il arrive, que vous utilisez de l’eau minérale NON STÉRILISÉE pour la préparation des biberons. Je vous aurais prévenus. La Tipchat ‘Halav n’admet pas un tel crime de lèse-Bébé…

L’Urbanisme est-il différent ?
Comme dans beaucoup d’autres domaines, une certaine souplesse est de mise, contrairement à ce que l’on connaît en France. Les constructions poussent vite, les agrandissements aussi, et il n’est pas possible de tout contrôler. En général, tant que vous ne construisez pas de studio dans le jardin de votre voisin, tout se passe bien – sinon, vous risquez un œil au beurre noir. Évidemment, il y a des différences selon les municipalités, mais de manière générale, il n’y a pas d’obsession de l’uniformité, et les barreaux que les gens fixent à leurs fenêtres sont différents à chaque étage de la prison… Si vous voulez mettre une armoire sur votre balcon, personne ne va chipoter sur sa couleur… Les ravalements semblent peu pratiqués – demandez aux gens de Méa Chéarim, dont les maisons tiennent quand même sur pied (mais tout laisse à penser qu’ils ont recours à des formules kabbalistiques secrètes). Par contre, les rénovateurs d’intérieur ploient sous des quantités de travail impressionnantes. En bref, disons que l’urbanisme est vivant et évolutif, comme beaucoup d’autres domaines de la vie ici.

Comment se passent les Votes en Israël ?
Très bien, mais les périodes électorales sont un peu trop « chaudes » à notre goût ; parfois, c’est même la canicule, si vous voyez ce que je veux dire. La politique, comme dans tous les pays, fascine, passionne, réveille les passions, peut-être avec plus de force ici – au lieu d’être supporter du PSG ou de l’OM, on affiche fièrement sa couleur politique. Il y a bien sûr les incontournables jingles, repris avec joie par les enfants, les tracts qu’ils collectionnent comme d’autres collectionnent les timbres – tant qu’ils ne transforment pas votre appartement en QG de tel ou tel parti et n’affichent pas de banderole géante à votre balcon, vous fermez les yeux.
Pour le vote en soi, la première fois, vous êtes un peu surpris, on dirait un jeu d’enfant. Au lieu des isoloirs, un simple paravent, personne ne dit : « a voté » ni ne vous demande de signer, mais dans le fond, quelle différence cela fait-il ?

Comment vivez-vous le Week-end en Israël ?
On n’a pas le dimanche de libre, mais comme dirait rabbi Jacob, notre Chabbath, et pas seulement celui de la semaine prochaine, vaut bien deux dimanches ! Alors oui, il faut s’habituer à ne plus vivre au rythme et à la sauce des fêtes non-juives – et des ponts qui vont avec. Donc, au niveau boulot, ça fait beaucoup moins de jours chômés, et il va vous falloir coûte que coûte vous y habituer et renoncer au dimanche famille-sorties-réorganisation de la maison avant la nouvelle semaine. Là, vous vous réorganisez quand la semaine a déjà démarré, et quand vous avez plus ou moins terminé, dans le meilleur des cas, c’est déjà le Chabbath suivant. Le secret pour se faire à ce rythme : vivre son Chabbath avec deux fois plus d’intensité, pas seulement sur le plan de la récupération physique, mais au niveau du ressourcement spirituel et familial.
Car le Chabbath ici, c’est une vraie découverte, et les fêtes aussi, surtout lorsque vous êtes dans un quartier où les voitures ne circulent pas. Et vous chômez donc à l’unisson avec vos frères. Du coup, malheureusement, vous arrêtez de dire « Chabbath Chalom » à chaque coreligionnaire que vous croisez…

Avez-vous ressenti de la Xénophobie ?
Au contraire, je constate souvent chez les autochtones une fascination pour ‘Houts Laarets – la Diaspora. Si vous voulez faire votre intéressant devant des Israéliens, vous leur parlez du plan du métro parisien et de la fréquence de ses lignes (quels beaux souvenirs… j’ai la nausée rien que d’y penser), de la neige, des paysages de carte postale dans les Alpes, du canard laqué… bref, de tout ce qu’il n’y a pas ici. Et parfois, plus encore qu’eux s’étonnent de votre Alya (même s’ils ont entendu parler de l’antisémitisme, pour l’avoir malheureusement vécu de l’intérieur), ce complexe d’infériorité vous surprend… En ‘Houl (Diaspora), on n’a ni le Kotel, ni les tombes des Amoraïm, ni le Golan, ni la Galilée…
En fait, ce pays est un vaste melting-pot, et même si tous ne l’avouent pas d’emblée, vous aurez du mal à trouver des gens dont les ascendants y sont implantés depuis plus de 2 générations – et si c’est le cas, ils ne manqueront pas de vous en informer fièrement, par des phrases du genre « Ana’hnou Yérouchalmim Midoré Dorot » (descendants, comme certains hommes politiques, des fameux élèves du Gaon de Vilna, mais en général, ils ne descendent pas si bas).
Le sabra (ou Tsabra), nous expliquait la prof d’Oulpan, ce cactus, piquant à l’extérieur, qui contient un lait si doux à l’intérieur, est la parfaite image de cet Israélien de souche, qui paraît parfois rude, du fait du stress ambiant, mais est au fond si bon, si compatissant.*

Avez-vous connu des Yéchouot en Israël ?
Bien sûr, la septième et toutes les autres, mais impossible en fait de les recenser. Déjà depuis l’époque d’Avraham Avinou, le premier Olé ‘Hadach de l’Histoire, c’est par excellence la terre des Yéchouot, du tout-possible. Tous les jours, des naissances, tous les jours, la manne qui tombe du Ciel, on sent qu’on est plus proche de Hachem, et même ce qui paraît négatif s’avère positif. Je vais me contenter, pour ma part, de vous en raconter une qui est à mes yeux essentielle. À notre arrivée en Israël, une amie me parle d’une série de cours d’une grande Rabbanith, qu’elle me conseille chaleureusement… et puis ça peut m’aider à progresser en hébreu. Me voilà donc assise parmi une bonne cinquantaine d’Israéliennes à écouter cette Tsadéket nous parler de sujets fondamentaux pour nous, les femmes. Exaltant. J’ouvre grand mes oreilles et prends des notes – en français. Je m’aperçois rapidement qu’il vaut la peine que j’arrive tôt à mon cours hebdomadaire pour avoir une place au premier rang et ne perdre aucun mot de la fameuse conférencière. C’est ainsi qu’au bout de quelques séances, une fois arrivée, j’ouvre mon cahier et dégaine mon stylo quand une dame assise à mon côté s’écrie, émerveillée : « Quoi ! Vous faites la traduction instantanée en français ! » (dit en langue de Molière) Et ladite dame de m’expliquer que la Rabbanith, qu’elle connaît de près, lui a justement demandé de trouver quelqu’un pour traduire ses cours en français. Sans le savoir ni même le vouloir, j’entre dans ma septième Yéchoua – le début d’une carrière dans l’écriture et la traduction. Hésitante, j’accepte l’offre de cette personne et demande à mes parents de me passer leur vieux traitement de texte (sorte de machine à écrire électronique, avec un écran de la même taille que celui d’une calculatrice). C’est ainsi que je tape mes premières traductions, que j’imprime et lui apporte au fur et à mesure chez elle. Elle se dit très satisfaite du travail, mais ces cours n’ont jamais été publiés, car jugés inadaptés au public français… Qu’à cela ne tienne, il y a un début à tout… Et une fois ce projet terminé, la Rabbanith a déménagé, tandis que de mon côté, d’autres surprises et Yéchouot m’attendaient…

Quelle est la sortie que vous conseilleriez le plus à nos lecteurs ?
Le Zoo biblique de Jérusalem.
J’en étais sûre !…
Même moi qui n’aime pas les animaux en suis sortie émerveillée ! Les étangs pleins de poissons et le lac avec son pont et ses flamants roses, un petit parfum de paradis… Cela dit, cela ne rivalisera jamais avec un « tête à tête » avec le Créateur tandis que le soleil se couche sur l’esplanade du Kotel !

Merci beaucoup d’avoir pris le temps d’éclairer nos lanternes ; nous vous souhaitons beaucoup de Hatsla’ha…
Merci, je souhaite aussi à tous vos lecteurs beaucoup de Hatsla’ha et de Yéchouot dans notre beau pays !

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