Les ratés de la diplomatie palestinienne

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Par Dana Ben Chimon – Source : Forum pour une réflexion Régionale

Qu’est-il arrivé au diplomate palestinien n° 1 ?

L’accord Israël – Émirats Arabes Unis constitue pour les Palestiniens un revers politico-diplomatique sans précèdent. Comment Mahmoud Abbas, maître en diplomatie, qui a réussi, au niveau diplomatique, des réalisations impressionnantes pour son peuple, a-t-il pu subir un tel revers ? Pourra-t-il, un jour s’en remettre et ramener la question palestinienne à l’ordre du jour de la communauté internationale ?

Au cours de la dernière décennie, la mise en œuvre, par président palestinien, de la « diplomatie de conflit », a permis aux Palestiniens de rejoindre nombre d’organisations et de signer des dizaines d’accords et de conventions internationales. Ce fut le tournant, qui non seulement marqua un nouveau chapitre de l’histoire politique palestinienne, mais avait confirmé aux dirigeants palestiniens que la politique initiée était, de leur point de vue, juste et devait être poursuivie.

L’appétit venant en mangeant, Abbas a continué avec détermination le « blitz diplomatique ». Par conséquent, il a lancé une campagne internationale afin de faire reconnaître l’Autorité palestinienne comme membre à part entière de l’ONU. Parallèlement il a dirigé ses efforts vers le Tribunal International de La Haye, afin que celui-ci reconnaisse la recevabilité de la mise en accusation de hauts responsables israéliens, pour de prétendus « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ».

Le président de l’Autorité palestinienne était persuadé que l’offensive diplomatique tous azimuts serait le meilleur moyen de pression sur Israël, afin de l’obliger à des concessions et le forcer à retourner à la table des négociations, aux conditions palestiniennes. Le résultat de cette politique agressive s’est avéré exactement contraire. Plus Abbas augmentait les pressions diplomatiques et plus Israël durcissait les siennes vis-à-vis des Palestiniens. En même temps, la diplomatie israélienne lançait sa propre campagne vers les pays arabes, afin de tisser des liens secrets, en mettant l’accent sur la déconnexion de la « question palestinienne » par rapport à des avantages économiques, scientifiques et sécuritaires consentis par les Israéliens.

En 2019 arrive le « Deal du Siècle » du président Trump. Et c’est là que les Palestiniens, prisonniers de conceptions politiques et diplomatiques du XXe siècle, font l’erreur fondamentale de croire que les États arabes ne briseraient jamais la « sacro-sainte solidarité avec le peuple palestinien ». Ne comprenant pas du tout le nouveau Moyen Orient, les palestiniens font du forcing auprès des États arabes, afin que ceux-ci rejettent le plan Trump. Trop tard. Le rapprochement israélo arabe est trop engagé, pour que l’exigence palestinienne ait la moindre chance d’être prise en compte par ces derniers

La non-compréhension de la nouvelle donne régionale a entraîné Abbas à privilégier ses relations avec les Européens et, par conséquent, à moins s’investir dans les relations avec les pays arabes. Il a considéré que les Arabes le suivront, comme par le passé, quelle que soit sa politique vis-à-vis d’Israël. Quoi qu’il en soit, l’annonce de l’accord entre Israël et les Émirats arabes unis a été une gifle douloureuse pour les dirigeants palestiniens.

La sidération provoquée par les accords, a poussé les hauts fonctionnaires de Ramallah et en premier lieu Abbas, à une réaction, à chaud, irréfléchie et violente. L’accord avec Israël a été qualifié de trahison et de coup de couteau dans le dos. Cette réaction a scandalisé de larges pans de l’opinion publique arabe et a provoqué un sentiment de dégoût et a exacerbé la crise naissante au sein du monde arabe.

Mahmoud Abbas a abandonné la diplomate et a choisi d’attaquer les Émirats publiquement de front. Il aurait dû adopter un ton concilient, évaluer la situation « à froid » et s’efforcer de mobiliser les autres pays arabes à ses côtés. Malheureusement pour lui, il a opté pour une politique du « tout ou rien », ce qui a eu pour résultat une « bronca » au sein de la direction de l’OLP et a fragilisé plus encore sa position au sein de l’Autorité palestinienne

Au cours de la dernière décennie, les relations entre Palestiniens et le reste du monde arabe étaient éclipsées par la revendication nationale palestinienne. Les coopérations économiques, civiles, sociales, scientifiques, culturelles et autres étaient pratiquement inexistantes. La perception des dirigeants palestiniens n’a pas changé et s’est avérée inadaptée à la nouvelle réalité du Moyen-Orient. Pire, les quelques Palestiniens qui essayaient de faire avancer la société palestinienne vers le modernisme, au détriment de la « grande cause nationale », ont été écartés des instances dirigeantes et accusés d’abandon de l’idéal légitime national. Cet entêtement aveugle a créé la stagnation économique, le chômage et la pauvreté dans la plus grande partie de la société palestinienne.

Cependant, à Ramallah, on feint de croire que tout n’est pas perdu. Abbas a déjà prouvé qu’il savait se sortir de situations autrement plus périlleuses. À la mi-août, il a accueilli le ministre britannique des Affaires étrangères à Ramallah. Consécutivement à cette visite, des informations ont émergé, selon lesquelles les Palestiniens chercheraient un mécanisme qui leur permettrait de reprendre les négociations. Abbas, pour sa part, a exprimé à plusieurs reprises, qu’il serait d’accord de participer à une négociation, où les Américains ne seraient pas des parrains exclusifs. En matière de négociations, ces dernières années, les dirigeants palestiniens ont été dans le refus, alors que l’une des manières de se remettre du coup qu’ils ont subi, serait de proposer un contre-plan au plan de Trump, en mettant une initiative palestinienne sur la table.

Si Abbas ne s’était-il pas enfermé dans sa position de refus, il aurait peut-être pu trouver auprès de certains pays arabes, une volonté d’inclure dans la négociation de la normalisation Israël – pays arabes, des demandes raisonnables des palestiniens. Mais contenu de l’entêtement d’Abbas, ces mêmes pays n’accepteront pas de mettre en péril leurs relations avec les États-Unis. Il est douteux que le président palestinien réussisse à influencer le Maroc, Oman, le Soudan, l’Arabie saoudite et le reste des États du Golfe, à reconsidérer, dans le sens des palestiniens, leurs négociations de normalisation. Ou peut-être se produira le contraire, à savoir que ce sont ces États arabes qui essaieront de persuader Abbas d’accepter la partie économique du « deal du siècle » et d’ouvrir des voies de communication discrètes, afin de conclure avec les Américains des accords qui feront avancer la paix dans la région.

Des décisions difficiles attendent les dirigeants palestiniens. À Ramallah, ils devront réévaluer leur politique face aux nouvelles réalités régionales. La « diplomatie du conflit » a bien fonctionné pour Abbas et a donné des résultats impressionnants, notamment à l’ONU. À ce moment clé, Abbas choisira-t-il de construire une politique nouvelle, rompant avec « l’idéologisme » toxique pour les palestiniens ? Dans quelle mesure les développements récents le pousseront-ils à changer son logiciel d’analyse du présent ?

Les Palestiniens paient cher la négligence, par leurs dirigeants, de relations avec les États arabes, ainsi que le manque de flexibilité face aux changements géostratégiques du Moyen-Orient. Pour Abbas, en règle générale, l’idéologie prime sur le pragmatisme, mais il a déjà montré qu’il pouvait aller au-delà de l’idéologie. Cependant, l’échec diplomatique est cinglant et retentissant, et il n’est pas certain qu’Abbas puisse rattraper le train en marche.

Édouard GrisMABATIM.INFO

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