Lettre ouverte au Président de la République

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Lettre ouverte au Président de la République, par Haïm Berkovits

Monsieur le Président,

Le 23 janvier 2020, par votre présence en Israël pour la première fois comme président de la république française, vous vous joindrez à une importante délégation de chefs d’Etat pour célébrer le soixante-quinzième anniversaire de la libération des camps de concentration et par là-même la victoire des Alliés contre le monstre nazi qui a assassiné six millions de Juifs parce que nés juifs. Dans cette odieuse et criminelle machine de guerre pour exterminer, que certains états d’alors ont parfois encouragé, par leurs combats communs ou par leur collaboration, aucun être humain ne méritait d’y mourir dans la déchéance, dans l’abandon, dans l’indifférence et le silence : les Juifs, qui ont payé le plus lourd et le plus atroce tribut, sont morts dans des conditions industrielles d’horreur et de déni de la personne humaine jamais égalées, malgré des siècles passés de guerres meurtrières.

Comme israélien et petit-fils de victime de la Shoah, mort à Auschwitz, je vous souhaite la bienvenue en Israël. Lorsque vous serez debout dans la salle des commémorations de Yad Vashem, vous vous souviendrez que des millions d’êtres humains ont été assassinés pour le seul crime d’être né juif. Ma famille, l’ensemble du peuple juif et moi-même porterons à jamais le deuil de ce crime d’une ampleur effroyable commis contre l’humanité, nous n’oublierons jamais, nous ne pardonnerons jamais. Je prie pour que la Kedoucha du lieu, la sainteté, vous transporte et vous imprègne.

D’origine française, fils et petit-fils de français juifs, qui avaient choisi la France, patrie des droits de l’homme, et au regard de l’actualité des dernières années en France, vous me pardonnerez de m’interroger aussi sur le bien-fondé de votre présence en Israël, tellement les valeurs de la France accusent le coup. A l’heure du terrorisme islamiste impuni pour des raisons de déséquilibre psychiatrique, à l’heure des menaces graves qui pèsent sur les français en général et sur les Juifs en particulier les faisant quitter massivement la France, à l’heure où, des décennies après l’horreur absolue, des slogans «Mort aux Juifs», «Israël assassin» et «Israël apartheid» se font à nouveau entendre dans les rues des grandes villes de France, à l’heure du Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël, illégal mais si actif, à l’heure où les morts juifs sont troublés dans leur repos éternel, à l’heure où il faut réclamer justice pour Sarah Halimi, devenue malgré elle un symbole de la dérive judiciaire, assassinée et défenestrée par un musulman sous l’emprise de psychotropes, à l’heure de la libération de la parole antisémite, à l’heure où un ancien grand patron de l’industrie automobile mondiale, réfugié au Liban, demande pardon au peuple libanais pour avoir mis le pied sur le sol israélien, à l’heure où un ancien premier ministre français a osé déclarer qu’Israël est une menace pour la paix du monde, je vous souhaite de trouver en Israël, devant la nudité des plaques commémoratives des nombreux camps de la mort, l’inspiration, la foi et aussi le courage pour redresser le destin en berne de la France, pour réaffirmer ses valeurs judéo-chrétiennes, pour redire combien Israël, comme religion et civilisation, est un bienfait pour l’humanité comme porteur d’un message universel inchangé depuis la nuit des temps et pour éloigner l’obscurantisme au pays des Lumières. Que la force d’Israël vous apporte la grâce et le courage, la joie et la sérénité, le discernement et l’esprit de justice si chers aux Juifs.

Je n’oublie pas Ilan Halimi, Muriel Knoll, Myriam Monsonégo, Yonathan, Gabriel et Arié Sandler, toutes les victimes juives tombées au nom de la détestation d’Israël et de leur judéité, et toutes celles au nom d’un islam violent, dévoyé et honni qui n’a pas sa place en France. Cinq ans auparavant, en février 2015, votre prédécesseur Francois Hollande, affirmait, en réponse à un appel aux Juifs de quitter la France, que «la place des Juifs de France était en France », permettez-moi de vous demander si, au vu de l’aggravation vertigineuse de la criminalité antisémite, vous-même, pensez sincèrement que la place des Juifs est encore en France et que faites-vous pour conserver cette présence juive presque bi-millénaire, ce patrimoine humain considérable ? La justice française ne remplit plus sa mission, les journaux et les magazines, tous à l’unisson, se font le relais de propos nauséabonds, se demandant même, tel « Le Point » ou le « Journal du Dimanche » s’il y a trop de Juifs en France, où en sont les valeurs morales de la France ? Je saurais répondre si la place des Juifs est encore en France, les enthousiasmes et les certitudes d’hier vacillent, en revanche, leur place est assurément en Israël, à Jérusalem.

Face aux forces obscures, au déni général de justice et de vérité historique, de plus en plus d’intellectuels français de tous bords manifestent leur désapprobation et leur inquiétude grandissante face à la mutation inquiétante de la France, à la dérive morale dans laquelle elle se perd, il serait temps de regarder vers ces lumières qui s’allument, d’écouter cette sagesse, de reconnaître les fautes commises avant que la situation ne devienne irréversible. «Heureux comme un Juif en France» fut une maxime des «Trente Glorieuses» qui n’a plus de valeur à ce jour, hélas !

Monsieur le Président, l’heure est grave en France et en Europe qui, de concert et non contentes de fermer les yeux et se taire sur l’innommable, en viennent même à nier les liens qui unissent le peuple juif à Jérusalem, sa capitale une, éternelle et indivisible, c’est un comble auquel les Juifs ne se résoudront jamais et une blessure qui ne manquera pas de les faire douter un peu plus du lien qui peut encore les unir à la France. N’est-il pas écrit dans les textes qu’une nation qui chasse ou ne sait pas garder ses Juifs est une nation appelée à tomber où à disparaître, je vous demande, Monsieur le président, de regarder l’Histoire du monde, les exemples ne manquent pas.

En 1927, après l’affaire Dreyfus et avant les lois de Vichy, Edmond Fleg l’une des grandes figures du judaïsme français, se demandait, en même temps qu’il l’affirmait, pourquoi il était Juif, lui qui s’est échiné toute sa vie, dans un désir d’assimilation de démonstration d’amour envers la France, de vouloir confondre la Tora et la déclaration des Droits de l’homme, dans un même contenu substantiel, que dirait-il de cette situation française de 2020 où se déclarer Juif est une prise de risque énorme, comme si la lumière franco-juive s’éteignait inexorablement ?

Depuis le début de l’exil, après la destruction du Second Temple en passant par la renaissance de l’Etat d’Israël en 1948 et jusqu’à nos jours, des dizaines de générations ont inlassablement répété chaque année, lors de la Pâque juive, « l’an prochain à Jérusalem », laissant Napoléon 1er admiratif devant une telle constance. Jamais les Juifs n’ont oublié Jérusalem, au coeur de leur foi, au point de se tourner vers le Temple pour adresser leurs prières quotidiennes, Jérusalem et les Juifs sont éternellement et indéniablement liés.

Malgré un héritage encore douloureux et parfois pesant, une plaie mal refermée du fait d’un gouvernement passé qui a offert librement ses concitoyens juifs à ses bourreaux nazis et qui fait encore débat, je ne doute pas de votre volonté de réparer, de représenter une France qui assume fièrement sa devise « Liberté, égalité, fraternité », de la faire rayonner dans le monde, débarrassée des scories colonialistes, et je ne peux que m’en réjouir. D’aucuns ont dit que s’attaquer à un Juif, c’est s’attaquer à la France et à la République, le Juif, le peuple Juif, dont Léon Tolstoï écrivit qu’il est le symbole de l’éternité, celui que personne n’a jamais réussi à détruire, ni les bains de sang, ni les tortures, ni le feu, ni l’épée de l’inquisition n’ont pu l’annihiler, celui qui a conservé pendant si longtemps le message prophétique et qui l’a transmis à toute l’humanité, un tel peuple ne pourra jamais disparaître, le Juif est éternel, il est la manifestation de l’éternité. Les Juifs sont aujourd’hui le seul peuple issu de la plus haute antiquité qui a su et voulu, malgré les aléas de l’Histoire, garder la même religion, la même langue et la même Terre, celle qui fut promise à Abraham et à toute sa descendance. Une société sans religion est un vaisseau sans boussole, rappelez-vous Monsieur le Président cette parole sage de Napoléon 1er et redonnez à la France sa grandeur judéo-chrétienne, je vous en conjure.

Au-delà du respect que je dois à la France, à votre personne et à votre fonction, je saisis cependant l’opportunité de votre voyage à Jérusalem pour formuler le vœu que la politique étrangère française à l’égard d’Israël s’engage plus, s’améliore et lève enfin d’inacceptables ambiguïtés qui trahissent une attitude peu claire, tant dans les mots la France se prétend amie, d’une amitié froide et retenue, tant dans ses actions, diplomatiques et culturelles, elle affiche un parti pris qui ne laisse planer aucun doute sur ses arrière-pensées. Tous les faits, même dans son organisation diplomatique qui fait abusivement une division politique et géographique de Jérusalem, le prouvent et avec quel zèle la France ne manque-t-elle jamais une occasion de délégitimer Israël dans ses droits, ses intentions pacifistes, voire ses frontières ? Les actions du Quai d’Orsay, connu pour être originellement antisémite, pro-arabe puis anti-israélien, le vote récent à l’Unesco qui tendrait à prouver que les Juifs n’ont aucun lien, religieux ou historique avec Jérusalem, la désinvolture avec laquelle l’épineux dossier du Tombeau des Rois est traité, sont des preuves assez accablantes.

Relativement à ce que je vous exposais plus haut, il me tient à cœur de vous évoquer le dossier du «Tombeau des Rois». Cela fait près de vingt ans que j’étudie ce site qui constitue un fabuleux patrimoine juif à haute valeur patrimoniale religieuse, architecturale et archéologique. Mes recherches ont été très nombreuses et fructueuses, aucun détail ne m’a échappé, je ne souhaite que partager ces connaissances. Depuis près de deux mille ans, c’est l’un des sites les sacrés du judaïsme en Terre d’Israël qui fut acheté en 1874 par une philanthrope française, Madame Berthe Bertrand née Lévi, pour lui éviter, peine perdue, la profanation et les pillages, dont les effets se trouvent aujourd’hui au Musée du Louvre, escalier Denon, salle 180. Là, se trouve, entre autres pièces exposées, le sarcophage de la reine Hélène d’Adiabène, considéré comme l’une des merveilles du monde antique, sans omettre de préciser que dans les réserves de ce même musée, sont retenus les ossements de cette reine que les Juifs vénèrent depuis près de deux mille ans.

Le Tombeau des Rois est une affaire dans laquelle se sont imbriqués une histoire de famille, un héritage mal ficelé, des dégradations et des pillages éhontés, en résumé, un stupéfiant imbroglio juridique, non résolu, qui fait que ce lieu se trouve injustement et encore dans l’escarcelle de la France. Le dossier est actuellement en justice.

Malgré un engagement de sa part à garder le lieu saint et propre et à laisser les Juifs du monde entier sans distinction le visiter et venir s’y recueillir, la France l’a fermé pendant de longues années pour des raisons officielles de sécurité. Outre que le droit de propriété de la France sur ce site est aujourd’hui formellement, et à raison, contesté, je n’insisterai jamais assez pour dire à quel point la France n’a pas respecté les vœux de Madame Berthe Bertrand née Lévi en se livrant à des fouilles sans concertation avec les autorités religieuses israéliennes et en limitant drastiquement les visites aux Juifs, les obligeant à réclamer des autorisations consulaires, humiliantes, convenez-en, qui ne viennent qu’au compte-gouttes, voire jamais. Cela fait des années et des années que la situation perdure, la France s’autorisant la libre utilisation de sa «propriété», gardée avec zèle, pour des festivals de musique arabe et pour des fouilles jamais réellement interrompues. Ces activités contribuent à dénaturer gravement la destination naturelle du lieu, c’est-à-dire le pèlerinage, la prière juive et aussi la préservation historique d’un site d’une exceptionnelle richesse, que les hautes compétences israéliennes en matière d’archéologie peuvent prendre en charge.

Vous ne sauriez ignorer que le décalage entre les – belles – paroles diplomatiques d’Etat à Etat et les actions concrètes sur le terrain est absolument abyssal, voire choquant, cela depuis avant 1948, période à laquelle déjà, la France, prudente, négocia son vote à l’ONU en faveur de la création de l’Etat d’Israël, fait qu’elle n’a jamais réellement admis, et en contrepartie d’avantages fiscaux, à la condition que les accords de Mytilène précédemment signés entre elle et l’empire ottoman fussent maintenus, aboutissant aux accords complémentaires dits de « Chauvel-Fischer ». La communication gouvernementale française, jusqu’au au sein du Sénat, pour répondre au sénateur Gilbert Roger, qui se réfère à des textes d’accords anciens et caduques, entre des entités politiques et même des pays qui n’existent plus ou qui n’existaient pas encore est symptomatique d’une méconnaissance de l’Histoire. Vous ne sauriez aussi ignorer les activités du Consulat Général de France à Jérusalem dont le tissu associatif, universitaire et religieux dominicain, en matière archéologique, représente un véritable activisme politique, niant les vérités historiques et la réalité de l’implantation du Tombeau des Rois à Jérusalem.

Combien de temps encore, les Juifs, conscients de leur extraordinaire patrimoine religieux, spirituel et archéologique, supporteront-ils de voir ce site inaccessible à leurs prières et à leurs visites, soumises à des demandes circonstanciées, payantes depuis peu, et portant sur les grilles d’entrée l’inscription « Tombeau des Rois, République Française » ? C’est autant inique qu’illogique.

Dans des situations inverses, imaginons celle d’un vieux cimetière bi-millénaire chrétien en France possédé par des Israéliens qui se livreraient à des fouilles non concertées, organiseraient des événements contraires à la décence et au respect dû au morts ou fermeraient le lieu au prières chrétiennes, quelle serait l’attitude des autorités administratives, policières et religieuses françaises ? Je n’ai aucun doute sur leur sévérité, leurs exigences et leur zèle à vouloir se réapproprier le lieu au plus vite ; ou celle d’un vieux cimetière musulman en terre musulmane possédé par la France dans les mêmes conditions que celles du Tombeau des Rois ? Cela ne pourrait exister, car jamais les autorités musulmanes n’accepteraient une telle situation, et si tel était le cas, les français seraient expropriés sans conditions, en priant de garder leurs vies sauves pour avoir osé profaner des tombes anciennes et sacrées….

Récemment, un message du Consulat Général de France sur sa page Facebook et sur son site Internet, dans une traduction littérale de l’appellation du site en arabe, Qbour el Moulouk est devenu le «Tombeau des Sultans». Cette situation me rappelle les propos d’Albert Camus qui jugeait «que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde et ne pas les nommer, c’est nier les choses » : le choix d’utiliser le terme « tombeau des sultans » résulte d’une volonté délibérée de réécrire l’Histoire, comme un refus obsessionnel de reconnaître le retour du peuple juif sur sa terre. Lors de publications officielles ou évocations du site par un homme politique ou une organisation gouvernementale, faire abstraction de façon répétitive et systématique de sa nature juive et sacrée est une volonté délibérée de réécrire l’Histoire, et si, pour des raisons de diplomatie et d’emplacement géographique, dans la partie est de Jérusalem, la France se refuse de reconnaître le caractère juif de cette nécropole, cela constitue une faute politique, en contravention à la loi dite de Jérusalem, l’une des lois fondamentales d’Israël adoptée le 30 juillet 1980 à la Knesset proclamant son unité et son indivisibilité.

Monsieur le Président, l’Histoire a un sens, telle une roue qui tourne et selon ce principe, j’aimerais que la France, bien consciente de ne pas avoir la réelle propriété comme elle aime pourtant à le rappeler, jusqu’ici indifférente à nos demandes de justice et à nos requêtes religieuses, se rende compte de l’incongruité et de l’iniquité de la situation et se résolve enfin à rendre en toute bonne foi, sans conditions, honorablement et avec bienveillance ce site juif bi-millénaire qu’elle n’a aucune raison de confisquer. Lors de votre prochain séjour à Jérusalem, vous pouvez faire ce geste de grandeur et de justice, tendre la main au judaïsme si malmené en France.

Je vous souhaite un séjour plein de découvertes, en toute sécurité, dans notre merveilleux pays et vous prie de recevoir, Monsieur le Président, l’expression de ma considération respectueuse.

Haïm Berkovits

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