L’image écornée de Soleimani, chef des Gardiens de la révolution

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Illustration : Zarif et d’autres pleurent la mort de Soleimani

Qassem Soleimani, général iranien commandant la Force Al-Quds du corps des Gardiens de la révolution islamique, était une icône intouchable car il représentait la force iranienne à l’étranger et le promoteur de l’expansion iranienne au Moyen-Orient. On savait qu’il était le bras droit du Guide suprême et son mauvais génie mais on ignorait que sa position était contestée dans certains milieux iraniens. Habituellement, les noms d’oiseaux échangés en coulisses, lors d’âpres échanges, restent entre les quatre murs de la salle de réunion mais les choses ont changé.

En effet, une cassette vient d’être divulguée où le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Jawad Zarif, se montre très critique à l’égard de Soleimani et surtout à l’égard des Gardiens de la révolution. Les querelles internes et les intrigues sont mises à nu de manière ouvertement négative.

La bande audio de trois heures prouve qu’il n’y a pas unanimité au sein des dirigeants iraniens et que la lutte pour le pouvoir est plus intense que prévue. Certaines des révélations confirment ce que de nombreux Iraniens soupçonnent depuis le début mais le plus surprenant est qu’elles viennent d’un diplomate expérimenté, normalement très prudent et modéré par rapport aux normes iraniennes. Dans cet enregistrement, le ministre des Affaires étrangères se plaint ouvertement de l’interférence des Gardiens sur les décisions du gouvernement quand ils ne les annulent pas. Il révèle que Soleimani exigeait des prises de positions particulières lors de réunions avec le ministre russe des Affaires étrangères. Le général avait suivi à la lettre les désidératas russes en emmenant l’Iran dans la guerre en Syrie parce que Vladimir Poutine voulait que les forces iraniennes sur le terrain complètent la campagne aérienne russe à l’appui du gouvernement syrien.

Par ces propos, Zarif prouve qu’il ne doit pas regretter l’élimination de Soleimani par les États-Unis en janvier 2020. Il a violemment contesté son attitude : «Le général a sapé la politique iranienne à de nombreuses étapes, en travaillant avec la Russie pour saboter l’accord nucléaire entre l’Iran et les puissances mondiales et en adoptant des politiques face à la longue guerre syrienne qui a porté atteinte aux intérêts de l’Iran».

Zarif s’entretenait avec un grand économiste, Saeed Leylaz, son ami, mais sa conversation enregistrée n’avait pas vocation à être diffusée immédiatement, à fortiori à l’étranger. S’il a, au début de l’entretien, fait l’éloge du général pour son comportement face aux invasions américaines de l’Afghanistan et de l’Irak, il a affirmé que certaines des actions de Soleimani ont endommagé le pays, à l’instar de ses mesures contre l’accord nucléaire conclu par l’Iran en 2015 avec les pays occidentaux. Zarif a révélé que la Russie ne voulait pas que l’accord aboutisse et qu’elle avait mis tout son poids en créant des d’obstacles pour éviter que l’Iran normalise ses relations avec l’Occident. À cette fin, le général Soleimani s’est rendu en Russie pour démolir l’accord sur le nucléaire.

Zarif a aussi abordé d’autres questions militaires. Il a critiqué Soleimani pour avoir autorisé des avions de combat russes à survoler l’Iran pour bombarder la Syrie et pour avoir déplacé du matériel et du personnel militaires en Syrie sur la compagnie aérienne civile iranienne appartenant à l’État, à l’insu du gouvernement. Zarif n’avait pas accepté le déploiement des forces terrestres iraniennes en Syrie. Il se plaint aussi que les Gardiens de la révolution l’aient mis à l’écart à de nombreuses reprises. Il évoque en particulier les premières heures du 8 janvier 2020, lorsque l’Iran a attaqué une base militaire irakienne abritant les forces américaines avec plus d’une douzaine de missiles balistiques en représailles au meurtre de Qasem Soleimani. Il a affirmé qu’il n’a découvert l’attaque que deux heures après qu’elle ne se soit produite.

Certes le témoignage de Zarif exprime ses réflexions personnelles mais le ministre veut dès à présent dédouaner son administration dont le mandat s’achève après les nouvelles élections. De là à penser que la divulgation de cette cassette n’était pas fortuite, il n’y a qu’un pas.

Il y a cependant un bémol à ces critiques car les décisions stratégiques ne sont pas prises par les Gardiens de la révolution mais plutôt par le Conseil suprême de la sécurité nationale, dirigé par le président, et dont les membres sont les chefs des autorités, les ministres des affaires étrangères, des affaires intérieures et du renseignement, le chef de cabinet et le chef de l’organisation chargée de la planification et de la budgétisation. Les décisions soumises à l’approbation du chef sont pour la plupart faites par consensus.

Il est clair que l’enregistrement mettra Zarif dans une situation compliquée avec les extrémistes et le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les questions gouvernementales et qui contrôle les Gardiens de la révolution, la force de sécurité la plus puissante du pays. Un suicide politique ou une volonté de contrer le régime actuel ?

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