L’intox soviéto-palestinienne

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Yasser Arafat (gauche) avec le leader roumain Nicolae Ceaucescu pendant sa visite à Bucarest en 1974. (Image source: Musée National d’Histoire Roumaine)

par Judith Bergman – Gatestone

…  La récente révélation que Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne (AP), a été un agent du KGB à Damas en 1983, a été minimisée par les médias grand public et considérée au mieux comme une « curiosité historique ». Coïncidence troublante, l’information a surgi au moment même où le président russe Vladimir Poutine tentait d’organiser une rencontre entre Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahu, premier ministre israélien. Comme il fallait s’y attendre, l’Autorité palestinienne a immédiatement allumé un contre feu. Nabil Shaath, cadre dirigeant du Fatah, a nié qu’Abbas ait jamais été un agent du KGB, affirmant que cette nouvelle « campagne de calomnies » visait à torpiller l’initiative russe ».

Loin d’être une « curiosité historique », l’information sur le passé d’Abbas ajoute une pièce à l’immense puzzle des origines du terrorisme islamique du 20eme et 21eme siècle. Ces origines ont presque toujours été masquées ou tenues dans l’ombre afin qu’un narratif officiel affleure tant bien que mal à la surface. Simultanément, toute tentative de reconstruire une histoire cachée a été systématiquement dénoncée comme relevant des « théories du complot ».

Le passé d’Abbas ne relève en rien d’une théorie du complot. Il a surgi d’un document des archives Mitrokhine du Churchill Archives Center de l’Université de Cambridge au Royaume-Uni. Vassili Mitrokhine, ancien officier supérieur du service de renseignement extérieur soviétique, a fini sa carrière, relégué aux archives du KGB. Au risque de sa vie, il a passé 12 ans à copier des documents secrets qui autrement n’auraient jamais vu le jour. En effet, malgré la disparition de l’Union soviétique, les archives du renseignement extérieur du KGB sont toujours classées confidentiel défense. Quand Mitrokhine a fait défection en 1992, les fichiers qu’il avait copiés et emmenés avec lui, ont atterri entre les mains de ses homologues britanniques. Les parties déclassifiées des archives Mitrokhine ont été portées à l’attention du public par Christopher Andrew, professeur à Cambridge, qui a cosigné avec le transfuge soviétique un livre intitulé Le KGB contre l’Ouest 1917-1991. Les archives de Mitrokhine ont permis à l’époque de mettre hors d’état de nuire de nombreux espions du KGB infiltrés en Occident et ailleurs.

Malheureusement, l’histoire complète des opérations d’influence et de désinformation du KGB reste à écrire, alors qu’elle a façonné l’histoire contemporaine la plus récente. Le KGB a mené des opérations hostiles contre l’Otan et les pays membres de l’Otan, contre la dissidence au sein du bloc soviétique, et monté de toutes pièces nombre d’événements subversifs en Amérique latine et au Moyen-Orient, dont certains résonnent encore à ce jour.

Le KGB a eu un rôle majeur dans la création des mouvements de libération latino-américains et moyen-orientaux, lesquels ont développé des méthodes d’action terroristes que l’on retrouve dans Le KGB contre l’Ouest, ainsi que dans les livres et écrits d’un autre transfuge du bloc soviétique, Ion Mihai Pacepa, qui occupait un poste clé dans le renseignement soviétique.

Jusqu’à sa défection aux Etats-Unis en 1978, Pacepa dirigeait le renseignement extérieur roumain et jouait le rôle de conseiller personnel de Nicolae Ceaucescu, secrétaire général du Parti communiste roumain. Pacepa a collaboré avec la CIA pendant plus de 10 ans et a contribué à la chute du communisme ; l’agence de renseignements américaine a estimé que la collaboration avec Pacepa avait représenté « une contribution importante et unique pour les États-Unis ».

Dans un entretien accordé en 2004 à FrontPage Magazine, Pacepa a déclaré :

« L’OLP est une création du KGB qui avait un penchant pour les mouvements « de libération ». L’armée de libération nationale de Bolivie a ainsi été créée par le KGB en 1964 avec l’aide de Ernesto « Che » Guevara … Le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine, qui a effectué de nombreux attentats à la bombe a également été créé par le KGB… En 1964, le premier Conseil de l’OLP était composé de 422 représentants palestiniens, tous triés sur le volet par le KGB. Ce Conseil a approuvé la Charte nationale palestinienne elle-même rédigée à Moscou. La Constitution palestinienne a elle aussi, vu le jour à Moscou, avec l’aide de Ahmed Choukeiry, un agent d’influence du KGB qui devint aussi le premier président de l’OLP » ….

Dans le Wall Street Journal, Pacepa a expliqué qu’Arafat aussi fut « inventé » par le KGB – ou plutôt, pour reprendre le langage de la profession, comment l’agence soviétique avait reconstruit sa « bio » :

« Ce bourgeois égyptien est devenu marxiste sous l’influence du KGB. Le service de renseignement soviétique a formé Arafat à l’école des opérations spéciales Balashikha de Moscou au milieu des années 1960 pour le préparer à devenir le futur chef de l’OLP. Pour commencer, le KGB a détruit tous les actes de naissance d’Arafat et les a remplacés par des faux : le chef de l’OLP a cessé d’être un citoyen égyptien né au Caire, pour devenir un Palestinien né à Jérusalem ».

Dans son livre A Lethal Obsession (Obsession mortelle), le regretté historien Robert. S. Wistrich a révélé qu’après la guerre des Six Jours, l’Union soviétique a mis en place une campagne intense et de longue durée pour priver Israël et le sionisme de toute légitimité dans l’opinion publique internationale. En agissant ainsi, l’Union Soviétique entendait venger son prestige de grande puissance que l’écrasante défaite militaire de ses alliés arabes face à Israël, avait sévèrement entaché :

« Après 1967, l’URSS a commencé à inonder régulièrement le monde de propagande antisioniste … Seuls les nazis, au cours des douze années où ils ont régné en maîtres, ont jamais réussi à produire un flux aussi soutenu de libelles conçus comme un outil de politique intérieure et étrangère [1] ».

Pour atteindre son objectif, l’URSS a eu recours à toute la panoplie des mots qui évoquaient le nazisme. Pour modifier la perception de la défaite arabe de 1967, des mots comme « pratiquants un génocide », « racistes », « camps de concentration » et « épuration ethnique » ont été répétés à satiété. Ils sont encore utilisés par la gauche occidentale chaque fois qu’il est question d’Israël.

Parallèlement, l’URSS a lancé une campagne internationale de désinformation dans le monde arabe. L’opération « SIG » (Sionistskiye Gosudarstva, ou « gouvernements sionistes »), lancée en 1972 par l’Union soviétique, a eu pour but de représenter les Etats-Unis comme un « fief juif financé par l’argent juif et dirigé par des politiciens juifs arrogants et hautains qui avaient pour but de soumettre l’ensemble du monde islamique ». Quelque 4.000 agents du Bloc soviétique ont été envoyés dans le monde islamique, armés de milliers d’exemplaires du Protocoles des Sages de Sion, ce faux fabriqué par la police tsariste. Selon Yuri Andropov, ancien patron du KGB :

« Le monde islamique était une boite de Pétri latente dans laquelle il nous a été possible de cultiver une souche virulente de haine de l’Amérique, une bactérie issue de la pensée marxiste-léniniste. L’antisémitisme islamique étant profondément ancré … Il a suffi de répéter nos thèmes – que les Etats-Unis et Israël étaient des « pays fascistes, impérial-sionistes » financés par des milliardaires juifs. L’islam, obsédé par l’idée que son territoire était occupé par des infidèles ne pouvait qu’être réceptif à l’idée que le Congrès américain était une marionnette entre les mains de sionistes rapaces conspirant à dominer le monde ».

Dès 1965, l’URSS a officiellement proposé à l’ONU de voter une résolution condamnant le sionisme comme une forme de colonialisme et de racisme. Bien cette première tentative ait échoué, l’ONU s’est avérée être un réceptacle extrêmement favorable au sectarisme et donc à la propagande soviétique ; en novembre 1975, la Résolution 3379 a été adoptée qui condamnait le sionisme comme « une forme de racisme et de discrimination raciale ». Il s’en est suivi une décennie de propagande soviétique en direction du tiers monde, présentant Israël comme le cheval de Troie de l’impérialisme et du racisme occidental. Cette campagne a été conçue pour soutenir la politique étrangère du gouvernement soviétique en Afrique et au Moyen – Orient. [2] Une autre tactique consistait à établir des comparaisons visuelles et verbales dans les médias soviétiques entre Israël et l’Afrique du Sud (d’où l’origine du canard « apartheid israélien »).

Le tiers-monde n’a pas été seul à gober tout cru cette propagande soviétique ; la gauche occidentale a suivi et continue, à ce jour, d’en être le relais. Calomnier quelqu’un, quel qu’il soit, et le cataloguer de raciste, est devenu la principale arme de la gauche pour disqualifier ceux auxquels elle s’oppose.

Outre l’isolement d’Israël, la tactique soviétique s’est prolongée par un vernissage de l’image de l’OLP afin de la rendre « respectable ». Selon Pacepa, cette tâche a été déléguée au dirigeant roumain Nicolae Ceausescu, qui avait réussi l’exploit improbable de faire passer la Roumanie et son impitoyable police pour un pays communiste « modéré ». Rien ne pouvait être plus éloigné de la vérité, comme l’a montré le procès intenté à Nicolae Ceausescu et à sa femme Elena, qui s’est clos par leur condamnation à mort, en 1989.

Pacepa a écrit dans le Wall Street Journal :

« En Mars 1978, j’ai fait venir secrètement Arafat à Bucarest pour l’entraîner sur la bonne façon de se comporter à Washington. Ceaucescu a dit [à Arafat] : « il suffit de prétendre – encore, et encore, et encore – que vous rompez avec le terrorisme et que vous êtes prêt à reconnaître Israël » … Ceausescu était euphorique à l’idée qu’Arafat et lui pourraient décrocher un prix Nobel de la paix avec leurs simulacres de branche d’olivier.

« … Ceaucescu ne s’est pas vu décerner le prix Nobel de la paix. Mais en 1994, Arafat a obtenu le sien – en continuant simplement de jouer à la perfection le rôle que nous lui avions assigné. Il avait transformé l’OLP terroriste en gouvernement en exil (l’Autorité palestinienne), faisant semblant de renoncer au terrorisme tout en lui permettant de se perpétuer sans relâche. Deux ans après la signature des Accords d’Oslo, le nombre d’Israéliens tués par des terroristes palestiniens avait augmenté de 73% ».

Dans son livre Horizons Rouges (Presses de la Cité), Pacepa a raconté ce qu’Arafat lui a dit au cours d’une réunion qui se tenait au siège de l’OLP à Beyrouth, à l’époque ou Ceaucescu essayait de rendre l’OLP « respectable » :

« Je suis un révolutionnaire. J’ai consacré ma vie à la cause palestinienne et à la destruction d’Israël. Je ne vais pas changer ou faire des compromis. Je n’accepte rien de ce qui peut aider à faire reconnaît Israël comme un Etat. Jamais … Mais je suis toujours prêt à faire en sorte que l’Occident croit que je veux ce que Frère Ceaucescu me demande de faire. [3]

Dans la National Review, Pacepa a expliqué comment la propagande a pavé la voie du terrorisme.

« Le général Alexandre Sakharovski qui a créé les services de renseignements de la Roumanie communiste, avant de diriger le département du renseignement étranger de la Russie soviétique, m’a souvent répété : « Dans le monde d’aujourd’hui, les armes nucléaires ont rendu la force militaire classique obsolète ; le terrorisme doit devenir notre arme principale ».

Le général soviétique ne plaisantait pas. Rien qu’en 1969, 82 détournements d’avions ont eu lieu dans le monde. Selon Pacepa, la plupart de ces détournements ont été commis par l’OLP ou des groupes affiliés, tous pris en charge par le KGB. En 1971, alors que Pacepa rencontrait Sakharovski à la Loubianka (siège du KGB), le général s’est ainsi vanté : « c’est moi qui ai inventé le détournement d’avions ». Le 11 Septembre 2001, Al-Qaïda a détourné des avions pour les utiliser comme bombes volantes.

 

Alors, où Mahmoud Abbas se situe-t-il dans ce dispositif ? En 1982, Mahmoud Abbas a étudié à Moscou à l’Institut d’études orientales de l’Académie des sciences de l’URSS. (En 1983, il est devenu un espion du KGB). C’est là, qu’il écrit sa thèse, publiée en arabe sous le titre La face cachée : les relations secrètes entre le nazisme et le mouvement sioniste. Dans ce texte, il nie l’existence des chambres à gaz dans les camps de concentration, met en doute le nombre de victimes de l’Holocauste, appelle les six millions de Juifs assassinés « un fantastique mensonge », tout en rejetant la responsabilité de l’Holocauste sur les juifs eux-mêmes. Son directeur de thèse, Evgueni Primakov, est devenu plus tard ministre des Affaires étrangères de la Russie. Longtemps après l’achèvement de sa thèse, Abbas a maintenu des liens étroits avec les dirigeants soviétiques, les militaires et les membres des services de sécurité. En janvier 1989, il est devenu co-président du Groupe de travail soviéto-palestinen (puis russo-palestinien) sur le Moyen-Orient.

L’information que le leader actuel des Arabes palestiniens a été un acolyte du KGB – dont les machinations ont coûté la vie à des milliers de personnes au Moyen-Orient et ailleurs -, ne peut être considérée comme une « curiosité historique », même si les faiseurs d’opinion contemporains préfèrent l’ignorer ou la considérer comme telle.

Pacepa et Mitrokhine ont lancé leurs mises en garde voilà plusieurs années. Peu de gens ont pris la peine de les écouter. Ils ont eu tort.

Judith Bergman est écrivain éditorialiste, avocate et analyste politique.

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