L’un des plus importants procès de néonazis s’achève en Allemagne

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 La justice doit rendre son verdict ce mercredi sur le cas de Beate Zschäpe, accusée d’avoir participé à plusieurs meurtres xénophobes entre 2000 et 2007. Cette affaire sans précédent depuis la «bande à Baader» avait pris une grande ampleur outre-Rhin et mis à mal les services de renseignement.

L’Allemagne s’apprête à conclure cinq ans de procédure et de débats virulents. Mercredi, la justice doit rendre son verdict dans l’un des plus grands procès de néonazis depuis l’après-guerre: cinq juges d’une Cour de Munich doivent décider si Beate Zschäpe, ex-membre d’un groupe de néonazis originaires de l’ancienne Allemagne de l’Est, est impliquée ou non dans neuf meurtres xénophobes, ainsi que celui d’une policière, commis entre 2000 et 2007. Le sort de quatre coaccusés doit également être tranché.

Beate Zschäpe, aujourd’hui âgée de 43 ans, est le seul membre encore en vie du trio qu’elle formait avec Uwe Mundlos et Uwe Böhnardt, deux skinheads. Tous les trois s’étaient rencontrés au début des années 1990 dans un centre pour jeunes, en ex-RDA. Ensemble, ils avaient fondé la Nationalsozialistischer Untergrund (NSU, «Clandestinité nationale-socialiste»), un groupuscule xénophobe. Adolescents déjà, ils avaient attiré l’attention des autorités pour des actes antisémites. Leurs activités étaient devenues clandestines en 1998, après une perquisition de la police dans un local leur appartenant. Beate Zschäpe, qui alternait petits boulots et chômage, avait alors coupé tout lien avec ses proches, alors que débutait une traque policière chaotique qui allait durer plus de dix ans.

Uwe Böhnhardt, Uwe Mundlos et Beate Zschäpe s'étaient rencontrés dans un centre de loisirs en ex-RDA.

Entre 2000 et 2007, le groupe sème en effet la terreur en Allemagne: Hambourg, Nuremberg, Dortmund, Munich… Dans toutes les zones du pays, des commerçants, la plupart d’origine turque, sont visés par les militants d’extrême droite. Au total, dans une vidéo retrouvée en 2011 par la police, le groupuscule revendiquera les meurtres de «neuf Turcs». Il s’agit en réalité de huit Allemands d’origine turque et d’un Grec employé dans un restaurant de kebabs. À ce bilan s’ajoute également la mort une policière.

Cette opération, baptisée par les militants d’extrême droite «Action brochette de kebab», avait été financée dans le même temps par une douzaine de braquages de banque. L’auteur avait été surnommé «le tueur des kebabs» mais les forces de l’ordre avaient mis beaucoup de temps à établir un lien entre chaque affaire. Les hypothèses de règlements de compte familiaux ou de l’islam radical avaient été retenues, bien avant celle de crimes xénophobes.

Seul témoin vivant à connaître les réponses

Mardi 10 juillet, à la veille du verdict, des bannières avec les noms et photos des victimes du groupuscule ont été accrochées à Zwickau, dans l'est de l'Allemagne. Les membres de la NSU ont vécu dans la ville pendant plus de trois ans, sans que jamais leurs actions soient identifiées.

La trajectoire édifiante du groupe s’est arrêtée en novembre 2011. Beate Zschäpe avait 36 ans, Uwe Mundlos, 38 ans, et Uwe Böhnardt, 34 ans. À la suite d’un braquage raté et alors que la police était parvenue à les cerner, les deux hommes sont morts par balles, tandis que Beate Zschäpe s’est rendue. Le scénario précis n’a jamais pu être établi, entre deux hypothèses retenues: un suicide général auquel la jeune femme n’a finalement pas participé, ou le meurtre d’un des deux hommes par l’autre, avant qu’il ne retourne l’arme contre lui.

Depuis, Beate Zschäpe n’a que très peu parlé. Au cours du procès qui s’est ouvert en mai 2013, celle qui entretenait une double relation amoureuse avec les deux hommes ne s’est exprimée qu’à trois reprises. La première fois en septembre 2016, pour affirmer qu’elle n’avait «plus de sympathies pour les thèses nationalistes». Puis une deuxième fois par le biais d’une lettre lue par ses avocats, dans laquelle elle contestait toute participation aux meurtres et assurait avoir subi l’influence de ses deux comparses. Puis à nouveau de vive voix, à la toute fin des débats, au début du mois. «S’il vous plaît, ne me condamnez pas pour quelque chose que je n’ai ni voulu ni commis», a-t-elle lancé. À chaque fois, sans réellement convaincre.

Car pour le parquet allemand, qui la décrit comme quelqu’un de «froid et calculateur», il est impossible que les deux hommes aient pu mener à bien leurs exactions sans un soutien logistique de sa part. Des éléments laissent penser qu’elle gérait l’argent des braquages et s’occupait des lieux de vie. Mais en l’absence de preuve, sur fond de procédure entachée d’erreurs, l’incertitude subsiste. Un journaliste du quotidien allemand Die Zeit ayant suivi l’affaire résume ainsi: «Zschäpe a donné des réponses. Mais ce sont des réponses qui s’opposent à tout ce que les preuves et les témoignages ont révélé». Et de conclure: «Zschäpe n’est pas seulement l’accusée, elle est le procès».

Un «désastre historique» pas refermé

Au-delà du rôle de Beate Zschäpe, ce procès a également drainé de vives critiques contre les autorités allemandes et les services de renseignements. Leur responsable a démissionné face à la polémique sur les manquements de ses services. Des proches des victimes estiment par ailleurs impossible que le trio ait agi seul et ait pu échapper à la police pendant plus d’une décennie sans bénéficier d’une aide extérieure. Une commission d’enquête parlementaire a été mise en place en 2013 pour analyser ces dysfonctionnements, sans parvenir à établir de lien de complicité entre services de renseignements et groupuscule d’extrême droite. Le président du Parlement allemand avait évoqué un «désastre historique sans précédent», rappelle l’AFP. La même année, l’Allemagne avait officiellement présenté ses excuses devant l’ONU pour les erreurs commises.

En somme, après 437 journées d’audience, un dossier de 300.000 pages, 15 avocats de la défense, 750 témoins, plus de 50 experts et près de 80 parties civiles, selon un décompte de l’AFP, et alors que ce tentaculaire procès touche à sa fin, de nombreuses questions restent sans réponse. La lassitude a fini par gagner une partie des Allemands, horrifiés à l’époque des révélations dans cette affaire la plus importante depuis celle de la Fraction Armée Rouge, ou la «bande à Baader», dans les années 1970 et 1980. Mercredi, Beate Zschäpe saura si elle est condamnée à la prison à vie, comme l’a requis le parquet de Munich. La société allemande, quant à elle, devra continuer avec les questions laissées sans réponse, dans une affaire qui a malgré tout eu pour effet d’attirer l’attention sur une réalité xénophobe jusqu’alors sous-estimée outre-Rhin.

Source www.lefigaro.fr

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