Le lycéen kurde ayant agressé un enseignant juif renvoyé devant le tribunal pour enfant

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L’adolescent, se réclamant de l’organisation Etat islamique, avait attaqué le professeur, le 11 janvier 2016 à Marseille.

Il dit qu’il a « changé », qu’il « regrette ». Il assure qu’il ne veut plus aller se battre en Syrie car il fait désormais la différence entre la propagande de l’organisation Etat islamique et la réalité. Le lycéen kurde qui, il y a un an à Marseille, avait, au nom de Daech, frappé un enseignant juif à coups de machette ne serait plus, à l’entendre, un djihadiste forcené. La juge d’instruction antiterroriste qui l’a renvoyé, le 9 janvier, devant le tribunal pour enfants de Paris pour tentative d’assassinat à raison de la religion de la victime et en relation avec une entreprise terroriste, les experts psy qui l’ont rencontré, ses éducateurs en détention, tous ont cherché à vérifier cette transformation alléguée. Des interrogatoires et expertises que Le Monde a consultés.

Compétent pour juger les crimes perpétrés par des mineurs de moins de 16 ans, c’est la première fois que ce tribunal pour enfants, où il sera prochainement jugé, est saisi d’un crime terroriste islamiste, indique le parquet de Paris. Il répondra aussi de l’infraction de préparation d’une entreprise individuelle terroriste.

« Avant je ne réfléchissais que religieusement »

Elève dans un lycée professionnel de Marseille, l’adolescent n’a que 15 ans lorsqu’il est interpellé le 11 janvier 2016, vingt minutes après l’agression de Benjamin Amselem, enseignant en matières juives de l’Institut hébraïque La Source, porteur d’une kippa et d’une torah. Immédiatement, il revendique sa volonté de « tuer des juifs », de « venger [ses] frères palestiniens ». Avec un aplomb glaçant, il regrette de ne pas avoir « coupé la victime en deux » et clame même « Vive moi ! » S’affichant comme un partisan de l’Etat islamique auquel il a prêté allégeance un an et demi plus tôt sur Internet, il oppose lors de sa mise en examen une même morgue : « Je ne veux pas d’avocat ! Je garde le silence ! »

Il dit désormais que « ce n’est pas bien de tuer des gens sans raison et comme ça », ajoutant : « Avant je ne réfléchissais que religieusement, maintenant je sais qu’on est d’abord humain et puis ensuite musulman. » Longuement interrogé, le jeune homme est revenu sur sa radicalisation à bas bruit, seul dans sa chambre, sans aucun autre contact que l’« imam Google » : « Pendant des semaines, je n’ai regardé que des vidéos de l’Etat islamique, j’ai fait des recherches sur comment tuer avec des couteaux. »

Avant de quitter le domicile de ses parents pour aller frapper « un yahoudi » – un juif –, il avait posté sur son compte Facebook un drapeau de Daech. Seul son père, un réfugié politique kurde que son épouse et leurs trois fils avaient rejoint à Marseille en 2011, avait perçu cette dérive de son cadet toujours excellent élève en 2de professionnelle électricité, félicité par ses professeurs, délégué de la classe en dépit de son absence de relation avec les autres élèves.

Aucun trouble mental

En octobre 2016, évoquant des discussions qu’il avait eues en prison avec les éducateurs qui ont fini par « l’apprivoiser » et avec l’aumônier, il prenait ses distances avec l’Etat islamique et son acte : « C’est comme si j’étais un robot, comme si j’avais un CD dans mon cerveau et que c’est ce CD qui parlait. » Lors de son arrestation à une station de métro, il avait lâché, bravache, qu’il avait laissé un sac avec une bombe et justifiait le port d’un couteau de cuisine à sa ceinture par sa volonté de tuer les policiers. « La machette, c’était pour le juif, le couteau, c’était pour vous quand vous alliez m’interpeller, vous, les policiers. » « C’était gamin », a-t-il concédé.

Une rédemption sur laquelle s’interroge la juge à laquelle il a confié avoir « toujours envie de mourir en martyr, c’est le rêve de tout musulman ». Il envisage son avenir, une fois sorti de prison : il veut « travailler en France et investir en Turquie ». Et lorsque la magistrate lui demande « comment on peut être sûr de savoir ce [qu’il] pense ? », il botte en touche : « Je n’arrive pas à parler avec les femmes depuis tout petit, si vous aviez été un homme, ça aurait été différent. » Enigmatique rapport aux femmes car il ne retranche rien de ce qu’il déclarait en garde à vue : « Durant cet été en Turquie, ma foi a un peu diminué par la fréquentation de la plage. C’est un lieu de sheitan [satan], il y a des femmes à moitié nues. Une femme doit rester à la maison, s’occuper des enfants et faire à manger à son mari. » A la psychologue venue pour mener son expertise, il n’a pas serré la main.

L’enseignant subit toujours un fort stress post-traumatique

Aucun trouble mental, diagnostique le psychiatre qui livre un pronostic prudent sur son évolution. En février 2016, l’adolescent confiait à la psychologue être « fier d’être en détention pour le motif pour lequel il est incarcéré ». L’expert-psychiatre soulignait, de son côté, « une absence quasi complète d’expression affective » chez un adolescent au récit « verrouillé par une adhésion totale et sans réserve aux discours et aux préceptes de l’Etat islamique ».

En mai 2016, les éducateurs du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis faisaient part d’une « évolution très relative après une période d’oisiveté et d’absence de remise en question ». En septembre, ayant accepté les enseignements et le dialogue sur son passage à l’acte, l’expert psychiatre soulignait que le jeune homme semblait alors « s’être distancié du système totalitaire de pensée dans lequel il se trouvait », mais il insistait sur « la nécessité de maintenir un regard vigilant sur son évolution ».

Défenseur de l’enseignant qui subit toujours un fort stress post-traumatique – il a quitté Marseille pour la région parisienne –, Me Fabrice Labi déplore que « ce dossier passe devant un tribunal qui distribue habituellement admonestations et remises à parents », estimant que la justice des mineurs est « inadaptée aux enjeux du terrorisme ». Le jeune Kurde bénéficiera automatiquement de l’excuse atténuante de minorité qui fait passer la peine maximum encourue de la réclusion criminelle à perpétuité à celle de vingt années de réclusion criminelle.

Luc Leroux (Marseille, correspondant)

Journaliste au Monde

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