Macron veut le Tombeau des rois à Jérusalem

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Si, si, il a préféré les Pyramides et a cru qu’il ne pouvait faire les deux visites. Mais il a reçu le président israélien Rivlin.

Chacun sait la fascination de Macron pour les royautés. Alors parmi les sujets d’importance internationale abordés, le voici évoquer le Tombeau des rois à Jérusalem, lieu dont la propriété est venue à la France grâce aux frères Pereire mais qu’il n’est pas possible de visiter, même pendant la journée du patrimoine !

La France possède quatre lieux saints à Jérusalem.

L’église Ste Anne fondée par les croisés convertie en mosquée après leur défaite devant Saladin (1187) puis offerte par le sultan Abdülmecid 1er en 1856 à Napoléon III qui en confia la garde aux Pères Blancs.

Le monastère bénédictin d’Abu Gosh, une ancienne commanderie croisée que l’empire ottoman donna aussi à la France (1873) ; les moines bénédictins y ont construit un monastère où depuis 1976 moines et moniales, vivant en deux communautés séparées, se retrouvent pour les offices.

Le monastère de l’Eléona sur le mont des Oliviers, plus ancien et à l’histoire donc plus mouvementée. A l’église construite par Hélène, mère de l’empereur romain Constantin converti au christianisme, fut ajouté, en 430, un couvent sur la grotte[1], où Jésus aurait enseigné le Notre père qui reprend de larges parts du Kaddish et des Shmoné essrés judaïques. L’ensemble, incendié par les Perses en 614, est reconstruit mais les envahisseurs arabes d’Omar le rasent en 638. En 807, Charlemagne obtenant de Harun al Rachid la protection des lieux saints chrétiens, des bénédictins relèvent l’Eléona, mais en 1009 le calife al-Hakim le détruit. Les croisés fondent un oratoire au milieu de ses vestiges vers 1102 et l’église est rebâtie en 1152 par l’évêque danois de Viborg. En 1345, sous les Mamelouk, elle tombe en ruine… Au XIXème siècle, le patriarche latin de Jérusalem se lamente, Héloïse de la Tour d’Auvergne achète les six hectares de terrain, bâtit en 1868 un cloître puis en 1872 un Carmel et y conduit des fouilles[2]. Elle offre le monastère à la France deux ans plus tard.

Il s’agit là de propriétés héritées du passé chrétien qui n’est pas un héritage de la culture française comme chacun sait ; l’une fut impériale romaine, les deux autres des bâtisses des colonisateurs francs selon la terminologie actuelle. Cependant, c’est dans l’église Sainte-Anne que tous les 14 juillet est célébrée une messe consulaire…  Le consul de France, obligatoirement catholique (vive la laïcité) n’omet jamais d’y inviter le gouvernement de l’Autorité Palestinienne, on ne trouve pas trace sur le site du consulat d’invité officiel israélien.

Reste le quatrième lieu saint dont l’histoire est passionnante et romanesque, le Tombeau des rois… les rois qui y reposent sont des kurdes juifs.

Il s’agit du tombeau, taillé dans le roc, de la reine Hélène d’Adiabène et de son fils Izatès II[3]. Hélène s’était convertie au judaïsme vers l’an 30 et a vécu à Jérusalem où elle fit preuve d’une grande philanthropie[4]. Son fils aussi s’était converti au judaïsme, indépendamment de sa mère dont le palais, incendié par les Romains lors de la prise de Jérusalem en 70, a été mis à jour en 2007 juste au sud du mont du Temple, dans ce qui avait été l’Akra. Izatès fit part publiquement de sa conversion en montant sur le trône kurde et fut suivi par de nombreux nobles.

Flavius Josèphe décrit le bâtiment funéraire, ses dimensions, son enceinte de 28 m de haut, ses trois pyramides (disparues), son escalier monumental et surtout sa porte : une pierre ronde roulante ; d’autres après lui le décrivent, tel Pausanias, le géographe grec (115-180) qui insiste sur la porte qui ne s’ouvrait qu’une seule fois par an, tel un automate et en fait l’une des merveilles du monde.

Auraient aussi été ensevelis là, Nicodème Ben Gourion, richissime philanthrope et son ami Kalba Savoua, le riche beau-père de Rabbi Akiva, qui vécurent à l’époque de la destruction du second Temple.

Lorsqu’en 1806, Chateaubriand visita les lieux, à huit cent mètres au nord de la muraille nord de la Jérusalem d’alors, on lui affirma qu’il s’agissait, de longue mémoire, du tombeau des rois David, Salomon et leurs descendants… Des légendes circulent dont celle d’un trésor caché qui a appâté le cupide gouverneur ottoman de Jérusalem à endommager gravement le site (1847).

Chateaubriand, incrédule face à l’affirmation, lut Josèphe et Pausanias et rétablit les faits. Pourtant, quelques années plus tard, en 1851, de Saulcy, un artilleur français devenu archéologue et numismate, proche de Napoléon III, visite le site et se laisse convaincre qu’il s’agit du mausolée des rois de Judée. A l’époque, l’Orientalisme est à la mode en Europe. Pour les voyageurs l’état misérable du pays a un charme exotique, il pimente le voyage. C’est l’ère des consuls européens à Jérusalem. Notre artilleur avait fêté un réveillon remarquable avec Paul-Emile Botta[5]alors consul de France, avant sa visite du site.

Il rapporte au Louvre des fragments de sarcophage et communique sa conviction à l’Académie des Inscriptions et Belles lettres ; une guerre de dix ans entre archéologues débute. De Saulcy retourne en Orient, il obtient en 1863 l’autorisation officielle de mener les premières fouilles archéologiques en Terre Sainte. Le sultan ne saurait rien refuser à un allié de la guerre de Crimée (1853-1856) qui est aussi une conséquence du conflit entre catholiques français et orthodoxes russes pour la protection des Lieux saints, notamment à Jérusalem. Lors de ses fouilles, de Saulcy découvrit une chambre funéraire secrète abritant un sarcophage royal dont le contenu tombe immédiatement en poussière ! Pour les savants le nom gravé est celui d’Hélène d’Adiabène, ce que le fouilleur refuse d’admettre. Il pense contre tous qu’il s’agit de l’épouse du roi Sédécias et qu’il est à deux doigts de découvrir la sépulture des rois bibliques.

Les fouilles provoquent des inquiétudes parmi les Juifs de Jérusalem pour lesquels c’est une profanation. Les Turcs ordonnent l’arrêt des fouilles mais lorsque le courrier califal arrive à Jaffa, il voit les sarcophages prendre la mer pour le Louvre[6]. Shmuel Salant, le grand rabbin de Jérusalem, demande à Lazare Isidor, Grand rabbin de France, d’exiger du gouvernement français la fin des profanations et rapatrie les ossements près du tombeau de Shimon Hatsadik. Le site fut fermé.

Un lieu dédié à la science et à la vénération des enfants d’Israël

Lazare Isidor convainc Bertha Pereire, riche philanthrope de se porter acquéreur du mausolée. La loi ottomane interdisant à un Juif d’acheter des terres, elle se tourne vers Salvatore Patrimonio, consul de France à Jérusalem, qui achète pour elle le terrain du tombeau pour 30.000 francs.

En 1874 elle fait don de son acquisition au Consistoire Central de France : Je, soussigné Bertha Amélie Bertrand Pereire, déclare qu’en faisant l’acquisition des terrains sur lesquels se trouve le tombeau dit « Tombeau des rois », à Jérusalem, je n’ai d’autre but que la conservation de cet antique et vénérable monument… c’est en souvenir de mes ancêtres que je veux préserver de toute profanation le Tombeau des rois…

Pourtant après son décès et celui de ses deux fils, Emile et Ernest, son petit-fils Henry Pereire, en accord avec le testament d’Emile et Ernest, offre à la France le Tombeau des rois. La France profite aussi d’une lacune du consul Patrimonio qui avait omis les démarches de transmission des titres de propriété à Bertha Pereire…

Dans le contrat signé le 20 janvier 1886 par Henry, une clause précise que le gouvernement français s’engage à n’effectuer, dans l’avenir, aucun changement dans la destination actuelle de ce monument. En réalité, la loi ottomane ne connaissant pas la personne morale, le site fut donné directement au consul de France à Jérusalem en 1886, Charles Ledoulx qui fit apposer la plaque de cuivre gravée de « Tombeau des rois de Juda »… Les frères Pereire avaient apposé une plaque dédiant les lieux à la science et à la vénération des fidèles enfants d’Israël.

L’agitation avait cessé et des Juifs hiérosolomytains prennent coutume de venir y prier pour Pessa’h et Hanoucca ; là étaient ensevelis trois personnes chères aux Juifs. Les visites étaient payantes et nécessitaient une autorisation écrite du consulat…

En 1948, Israël naissant perd la partie orientale de Jérusalem où les Juifs qui représentent depuis des siècles une large majorité de la population, sont expulsés par la Transjordanie qui l’annexe en devenant la Jordanie. Le lieu dédié à la science et à la vénération des enfants d’Israël et sous la garde de la France est, de fait, interdit aux Juifs. Avec la guerre des Six jours, Israël reprend le contrôle total de la ville, les visites reprennent malgré les menaces sécuritaires dans ce quartier.

En 1997, le consul de France Stanislas de Laboulaye y accueille une association culturelle palestinienne, Yabous[7]pour un festival de musique… Quoi de mieux qu’un concert palestino-français pour protéger un lieu saint juif de toute profanation ? La France de 1886 en prenant possession du mausolée monolithe ne s’étaient-elle pas engagée par contrat à n’effectuer, dans l’avenir, aucun changement dans la destination actuelle de ce monument ? Elle récidive les années suivantes dans cette mise à disposition gracieuse du site à Yabous pendant que le reste de l’année l’accès est quasi interdit sauf autorisation écrite du consulat… Les Juifs et les Kurdes ne sont-ils pas les deux peuples que la France trahit le mieux ? Alors, une reine kurde et juive… La tension monte. Le temps est supposé apaiser les passions, le site est fermé en 2010 et des travaux de rénovation sont entrepris.

Le Consistoire central de France continue de s’agacer, pas question qu’un lieu sous souveraineté française soit interdit aux Juifs. Il faut respecter la volonté de ceux qui l’ont acquis tonne son président qui avait qualifié le concert de prestation inadmissible dans un lieu saint. Et Berkovitch (représentant du Consistoire en charge du dossier) de s’interroger pourquoi des sites chrétiens qui font aussi partie des territoires français de Jérusalem sont-ils gérés par des chrétiens et un site juif comme le tombeau des Rois ne peut-il être géré par des Juifs ?

Les Antiquités israéliennes tempèrent : Notre devoir est de faire en sorte que personne n’abîme ce lieu. Nous demandons à la France d’ouvrir le site au plus vite, mais en y introduisant évidemment des limites dit Yuval Baruch[8] qui veut garder au site son caractère historique plutôt que le voir saint : quand cela se produit, l’archéologie est toujours perdante.

La France s’inquiète de ce que le site est sur la Jérusalem orientale oubliant que le plan de partage accompagnant la résolution 181 de l’ONU n’avait pas force de loi et fut refusé par les Arabes et que parler de Jérusalem palestinienne c’est faire fi de sa position traditionnelle de ville internationale… La géométrie variable.

Le site devait rouvrir en septembre 2018…

C’est dans ce contexte que, semble-il, Macron aurait demandé, lors de leur rencontre à l’Elysée, au président Rivlin, la souveraineté française sur le site ! Ce qui signifierait, selon sa propre rhétorique, une colonie française sur un territoire palestinien, alors qu’il ne cesse de condamner les implantations israéliennes. Mais ce doit être un geste d’amitié à l’égard d’Israël et des Juifs. Comme lorsqu’il laisse voter toutes les déclarations anti-israéliennes et laisse autoriser tous les défilés haineux contre Israël appelant au boycott officiellement illégal en France. Comme lorsqu’il dit vouloir lutter contre l’antisémitisme et le répète à l’envie mais ne fait rien, sinon pleurer les victimes et sur les actes anti-juifs qui se multiplient.

Richard Rossin

Ancien secrétaire général de MSF, cofondateur de MdM, ancien vice-président de l’académie européenne de géopolitique


Notes

[1] Redécouverte en 1911

[2] Avec l’aide de Clermont-Ganneau, drogman (traducteur) du consulat de France auquel le Louvre doit la stèle de Mesha, roi moabite (IXème siècle avant) qui y relate sa révolte contre le roi Joram (fils d’Achab) qui régnait sur Israël. Clermont-Ganneau découvrit aussi en 1871, l’inscription du Soreg, inscription sur la balustrade du Temple d’Hérode à Jérusalem qui avertissait les étrangers de ne pas pénétrer dans l’enceinte du Sanctuaire. Il ne put l’acquérir pour le Louve, elle est aujourd’hui au musée archéologique d’Istanbul.

[3] Il y a 31 sépultures. C’est le roi Monobaze II qui y fit inhumer sa mère et son frère.

[4] Elle fit de nombreux dons au Temple et fit face à une famine à Jérusalem en envoyant des bateaux à Alexandrie et à Chypre pour ravitailler la population en céréales et figues séchées.

[5] Archéologue célèbre pour avoir découvert à Khorsabad, sur les rives du Tigre, un angle du palais de Sargon II qu’il croyait être des ruines de Ninive.

[6] Où ils sont toujours dans les caves…

[7] Prétendu nom de la cité jébuséenne un kilomètre plus au sud.

[8] Archéologue en chef à Jérusalem.

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