Mahmoud Abbas ou l’art de mitonner une guerre

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C’est l’ultime vengeance de Mahmoud Abbas, son dernier règlement de comptes avec le Hamas qu’il abhorre. Il est en train d’allumer la mèche d’une nouvelle guerre, une façon de terminer en fanfare sa carrière controversée.

En ce début octobre 2018, un événement très inattendu vient de se produire. Israël, le Qatar, et l’ONU ont collaboré étroitement pour livrer deux cargaisons de 35.000 litres de fuel à Gaza le 9 octobre, au grand dam du vieux président palestinien.
La manne qatarie ( 60 millions de $) permettra de poursuivre pendant 6 mois l’acheminement journalier de 15 camions-citernes avec l’accord sans réserves d’Israël. Abbas et le Fatah ont  protesté avec véhémence, accusant le Qatar et l’ONU d’entraver la politique de l’Autorité palestinienne.
L’étrange coalition israélo-qatarie s’est formée pour réduire les tensions au sein de l’enclave côtière en allégeant les pénuries d’électricité subies par les Gazaouis. Il s’agissait en fait pour Jérusalem d’éloigner le spectre d’une nouvelle guerre que sous les coups de boutoir de Ramallah, le Hamas est en passe de déclencher pour assurer sa survie.
Il faut tenter d’y voir clair dans la nouvelle donne, le billard à trois bandes, qui régit les troubles violents actuels au sud de l’État juif, qui peuvent tout à fait se transformer en guerre.
C’est Mahmoud Abbas qui est à la manœuvre. Le Hamas l’a doublement humilié il y a une dizaine d’année, en l’écrasant aux élections municipales et législatives de 2005 et 2006, et surtout en le boutant manu militari hors de Gaza à l’été 2007. Ses partisans n’eurent alors le choix qu’entre une rafale dans les jambes et la chute du toit des immeubles élevés de l’enclave.
Abbas n’a pas oublié ce camouflet pour de fortes raisons. Une victoire sur Israël en aurait fait un héros pour ses ouailles. A la place, le président palestinien à vie -son mandat a expiré en janvier 2009-, va vraisemblablement léguer à l’Histoire une scission irréductible entre Palestiniens de Gaza et de Judée-Samarie. De fait, depuis plus de 10 ans, une guerre sporadique mais féroce met aux prises les militants armés des deux camps, entrecoupée de tentatives de réconciliation qui échouent à tous coups. Jusqu’à une date récente le Hamas a pu préserver son pré carré. Il n’en n’est plus de même aujourd’hui.
Le Hamas pris dans la nasse de Mahmoud Abbas
Depuis près de deux ans, le vent a tourné. En mars 2017 Mahmoud Abbas entamait une politique de sanctions de plus en plus dures, calibrées pour frapper au cœur la population civile de Gaza. La nature des mesures témoigne clairement de leur intention :
– Réduction de 50% des salaires des fonctionnaires, et licenciement de milliers d’entre eux ;
– Suspension des prestations sociales pour les familles, réduction de tous les budgets consentis à l’enclave côtière ;
– Limitation de l’accès de la population à l’électricité à 4 ou 5 heures par jour actuellement,
– Suspension des livraisons de médicaments, y compris pour les nouveau-nés et les enfants, et réduction drastiques des soins médicaux dispensés en Israël pour les cas graves.
Ces procédés cruels devraient torde le cou aux discours occidentaux iréniques sur la modération de Mahmoud Abbas et son souci du bien-être de son peuple.
Cependant, la coercition du vieux cacique de l’OLP a été terriblement efficace. Et le Hamas a en partie ployé le genoux. Dès le 2 mai 2017 l’organisation terroriste modifiait son programme politique pour ouvrir la voie à une nième réconciliation. Elle se disait prête à accepter « conformément aux intérêts du peuple » un État palestinien sur les lignes de 1967 en attendant la destruction d’Israël. Mieux, elle consentait à dissoudre tous ses organes administratifs et à rendre à Ramallah le gouvernement de la Bande de Gaza. « Nous avons pris la décision stratégique de renoncer à gouverner ou à administrer la Bande de Gaza. »
Les chefs du Hamas dont le seul horizon est la guerre contre l’Etat juif, avaient visiblement le désir de transposer chez eux le modèle confortable du Hezbollah au Liban. Laisser à d’autres les charges d’administration et de gestion étatique (santé, éducation, économie,..) et se concentrer exclusivement sur la consolidation de son appareil militaire. Une belle vie dans l’univers sanglant du jihad.
Pour témoigner davantage encore de sa grande sincérité, le chef actuel du Hamas, le madré Yahya Sinwar, entamait le 20 décembre une autocritique de facture stalinienne : « Nous avons fait une erreur [en prenant le pouvoir]. Avec notre incompétence, notre manque de moyens pour gouverner presque 2 millions de personnes , et notre arrogance, nous les avons réduits [les Gazaouis] à l’indigence, la famine et au désespoir. »
Il y avait au passage dans cette déclaration l’aveu qu’Israël, le coupable universel, n’était pour rien dans le désastre gazaoui, et que ce dernier devait tout aux tragiques facéties idéologiques de la faction locale des Frères musulmans égyptiens.
La cession du pouvoir et la plate contrition ne suffirent pas à Mahmoud Abbas, conscient de l’affaiblissement de son ennemi. Il poussa son avantage en réitérant son exigence du désarmement de son aile militaire, la Brigade Al Qassam. C’était pour le Hamas l’équivalent d’un suicide à brève échéance. Il refusa. Le 22 décembre Yahya Sinwar modifiait son discours : « Celui qui ne voit pas que la réconciliation est en train de capoter est aveugle… seul un aveugle ne voit pas les obstacles que les deux parties doivent surmonter avant de célébrer leur réconciliation. »
L’initiative de Yahya Sinwar
 
Comme disait feu Samuel Huntington : « Un héritage historique de violence peut être exploité et utilisé par ceux qui y trouvent leur compte ». Dès qu’il ressent que monte l’hostilité de la rue gazaouie, dès qu’il doit régler ses conflits de pouvoir avec les factions rivales, le Hamas utilise la même potion politique. La focalisation prioritaire sur l’ennemi israélien par  toute une gamme de provocations, du simple assassinat aux tirs de roquettes sur les cités frontalières honnies. Mais le souvenir cuisant de la guerre de 2014 avec Israël et sa propre faiblesse l’incitait à la prudence.
Ayant fait le constat que faute de « réconciliation » les sanctions de Ramallah l’exposaient à une insurrection et au renversement, Yahya Sinwar conçoit alors sa stratégie des « marches du retour ». Elles ont pour objectif de retrouver l’initiative dans les guerres intestines des Palestiniens, sans impliquer automatiquement une offensive à grande échelle d’Israël. Les « marches » se déchaîneront à partir du 30 mars. Sinwar en fait l’aveu, et les média occidentaux ont peine à entendre cet aveu. « Après l’échec des efforts de réconciliation nous étions dans une impasse. Un certain nombre de factions ont prévu de provoquer une explosion interne dans la bande de Gaza mais les marches du retour ont contrecarré ce plan » (Ynet News du 4 septembre).
La vérité est là : l’initiative des violences du Hamas n’avait pas des objectifs externes (le « combat » traditionnel contre Israël) mais des causes strictement internes, la prévention d’une « explosion ». La revendication des morts à la frontière comme étant bien membres du Hamas prouve que l’organisation terroriste voulait convaincre qu’elle était  à la tête de la lutte contre l’ennemi, à la différence de ses rivales.
En fait, les factions jihadistes qui pullulent dans la Bande de Gaza, au premier chef le puissant  Jihad islamique palestinien, comptaient effectivement sur l’exaspération des civils pour renverser violemment le Hamas. Avec son idée d’une très longue campagne de provocations de moyenne intensité contre Israël, le chiffon rouge universel, le redoutable Yahya Sinwar est parvenu à gagner du temps. Mais jusqu’à quand ?
Mahmoud Abbas met toutes ses forces dans la perpétuation des sanctions contre les Gazaouis, sa véhémence contre les simples livraisons de fuel du 9 octobre l’ont montré. La réduction drastique des financements américains, qui obéit à une logique parfaitement fondée, ne contribue pas à améliorer les conditions de vie du petit peuple de l’enclave. Malgré sa prudence et sa modération, Israël ne peut pas accepter indéfiniment une menace aussi destructrice à sa frontière sud où 1130 hectares de champs, forêts et bosquets ont brûlé du fait des « cerfs-volants », l’équivalent de la surface du Connecticut pour les États-Unis si l’on conserve les proportions (Commentary 5 oct. 2018). Enfin, le puissant  Jihad islamique de Gaza est à l’affût, prêt à abattre le Hamas dès que le fruit sera mûr. En tout état de cause c’est lui qui succéderait au Hamas, et derrière lui le spectre de l’Iran toujours présent pour ajouter de l’essence à l’essence.
Tous les ingrédient sont réunis, d’une guerre initiée par la volonté de Abbas de réunifier les Palestiniens divisés, une tâche indélébile sur son bilan pour l’Histoire. Elle est aujourd’hui sur le point de se déclencher. Le statu quo à Gaza ne semble pas tenable.
Jean-Pierre Bensimon

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