« On n’a pas le droit d’oublier »: l’entretien inédit de Simone Veil

« On n’a pas le droit d’oublier »: l’entretien inédit de Simone Veil

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« On n’a pas le droit d’oublier » : 10 moments clés de l’entretien inédit de Simone Veil diffusé par l’Ina

L’entretien entre Simone Veil et Catherine Bernstein a eu lieu en mai 2006.

L’Ina a publié mardi soir un entretien inédit de plus de cinq heures avec Simone Veil. Il a été enregistré en 2006 et n’avait jusqu’alors jamais été diffusé. La femme politique y parle de sa famille, de sa déportation et de son difficile retour en France, avec émotion et sincérité.

« On avait tous le sentiment qu’on risquait d’être tous exterminés et qu’il fallait qu’il y en ait qui rentrent et qui racontent. » Simone Veil fait partie de ceux-là. La femme politique française a été déportée, notamment à Auschwitz, entre le 30 mars 1944 et le 15 avril 1945. Sa mère, son père et son frère sont morts lors de cette extermination de masse.
Près de soixante ans plus tard, en mai 2006, Simone Veil raconte tout de sa déportation face à la caméra de la réalisatrice et documentariste Catherine Bernstein, dans le cadre d’une collecte patrimoniale initiée par Simone Veil lorsqu’elle était présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, en partenariat avec l’Ina. Un entretien de 5h30 que l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) a mis en ligne pour la première fois mardi soir. Un podcast a également été produit sur la base de ce document, ainsi que le livre « Seul l’espoir apaise la douleur » (Flammarion/INA).
À l’heure où les derniers survivants des camps s’éteignent peu à peu, ce document unique contribue grandement au devoir de mémoire, ou plutôt au « besoin de mémoire », comme préférait le qualifier Simone Veil, décédée en 2017. France Inter a retenu dix moments clés de son témoignage.
« C’était au milieu de la nuit, le train s’arrête brusquement… »
Au cours de cet entretien, Simone Veil est invitée à raconter son arrestation puis sa déportation dans les camps. Voici comment elle raconte son arrivée à Auschwitz : « C’était au milieu de la nuit, le train s’arrête brusquement, très vite les portières s’ouvrent puisque ce sont des wagons à bestiaux, des gens en pyjama rayé se précipitent, nous font sortir. Il y a des aboiements de chiens et cet éclairage très dur, la lumière projetée vers les wagons (…). Vers 5-6 heures du matin, arrive tout un groupe de Kapo [prisonniers chargés d’encadrer leurs autres déportés, ndlr], (…) on a les cheveux coupés courts mais pas rasés, ce qui est psychologiquement très différent. Ensuite il y a le tatouage, ça ne fait pas mal mais on se dit que si on est tatoués, c’est qu’on n’est plus considérés que comme des numéros et surtout qu’on n’est pas destinées à sortir d’ici, c’est quelque chose qui restera toute la vie (…). Et puis les Kapo commencent à nous dire ‘regardez la fumée, ils ont été gazés, c’est fini’. »

« C’était une humiliation permanente »

Dans le camp, sa mère parvenait à rester calme et à tirer les autres déportées vers le haut, souligne Simone Veil. « C’était une question de dignité » face à la « volonté d’humiliation », explique-t-elle. « On a eu faim, soif, horriblement froid, sommeil (…) mais l’humiliation, c’était la chose qui était voulue en plus, gratuite. Par exemple, au moment où on allait se mettre à manger, le SS donnait un coup de pied dans le bol dans lequel on était censé manger donc soit on ne mangeait pas, soit on ramassait ce qui était par terre. Tout le temps. C’était une humiliation permanente. »

« Pour un numéro dont je veux être sûre de me souvenir pour un coffre ou une clé, j’ai deux dates : mon numéro et le 18 janvier 1945 »

La réalisatrice demande à Simone Veil si elle se souvient de son numéro, tatoué sur le bras à Auschwitz. « C’est assez commode d’avoir un numéro », répond-elle. « Maintenant, pour un numéro dont je veux être sûre de me souvenir pour un coffre ou une clé, j’ai deux dates : mon numéro et le 18 janvier 1945 (…) Celle du bras, bien sûr, on ne peut pas l’oublier mais aussi 18 janvier 1945 », qui correspond au jour de l’évacuation du camp de Bobrek.

« Il y a une chose qui est vraiment effroyable, c’est la mort des enfants »

Simone Veil confie aussi ce qui la touche le plus, soixante ans après l’extermination de masse : « Quand je pense à Auschwitz, à Birkenau, à tout ça, il y a une chose qui est vraiment effroyable, c’est la mort des enfants. C’est insupportable. Penser aux enfants qui ont été séparés de leur mère, qui sont arrivés tout petits, dans les bras d’une éducatrice pour aller à la chambre à gaz, c’est insupportable. » S’ensuit un long silence.

« Une femme tsigane a accouché d’un enfant mais a tout de suite mis fin à ses jours »

À deux reprises, Simone Veil témoigne dans cet entretien d’avoir rencontré des Tsiganes, eux aussi déportés, et avoir vu un évènement terrible. C’était lors de son passage au camp de Dora : « Nous y sommes restés deux jours et pendant ces deux jours, une des femmes tsiganes a accouché d’un enfant, à terme, mais elle a tout de suite mis fin à ses jours parce que c’était impossible de garder un enfant dans le camp. »

« Quand maman est morte au camp, elle était dans un tel état, que je me suis dit que c’était presque une délivrance »

Simone Veil avait 15 ans quand elle a été déportée. Sa mère, qu’elle aimait tant, est décédée du typhus en mars 1945 dans le camp de Bergen-Belsen. Sans tabou, elle raconte : « Je pense que le sort des enfants qui n’ont pas été déportés mais dont les parents l’ont été est bien pire que quand on a été soi-même déporté. On n’arrive pas à le supporter, à l’imaginer. Quand maman est morte au camp, elle était dans un tel état, que je me suis dit que c’était presque une délivrance. Ceux qui n’ont pas été au camp ont vécu des angoisses, des moments terribles. Je suis toujours frappée par ça, la détresse des enfants qui ont été cachés et qui ont eu à attendre leurs parents, d’abord à la libération du territoire puis à la fin de la guerre et ont à chaque fois espéré. Nous, on l’a vécu sur le moment, on pensait ne pas rentrer, ce n’est pas pareil. »

« Tout le monde l’aimait »

Tout au long de l’interview, on remarque le profond amour qu’avait Simone Veil pour sa maman. « J’avais besoin de sa présence, c’était une chose essentielle », explique-t-elle. « Tout le monde l’aimait. Et au camp, mes amies conservent d’elle un souvenir exceptionnel parce que même très malade et presque mourante, elle a toujours donné du courage à tout le monde, en disant ‘on va rentrer, ça s’arrangera’. Elle aurait donné tout ce qu’elle avait. Elle était incapable de se défendre. Quand elle avait un bout de pain, elle le donnait à quelqu’un dont elle pensait qu’il avait plus faim qu’elle. Toute sa vie a été une vie de générosité, vers les autres, sans avoir conscience ni de sa beauté exceptionnelle ni de sa bonté exceptionnelle et de sa dignité, car dans les périodes les plus difficiles, elle a toujours eu une dignité extraordinaire. »

« Ça faisait chic de sortir d’anciennes déportées »

Le retour des camps a été une nouvelle épreuve pour les déportés, dont Simone Veil. Après sa libération, elle part en Suisse pour se reposer mais le séjour se passe très mal avec ses hôtes. « C’était à la fois moralisateur et cynique parce que ce qu’on leur racontait ne suffisait pas. Il fallait qu’on leur raconte des choses encore plus horribles que ce qui nous était arrivé », explique-t-elle, en donnant certaines questions entendues en exemple : « C’est vrai que vous avez été violées ? Combien de fois ? »
« On était comme des bêtes curieuses, ils venaient nous voir et ensuite, une fois ou deux, la charité c’était de nous faire visiter Lausanne et il y a une bonne femme qui m’a sortie et m’a emmenée chez des commerçants, parce que ça faisait chic de sortir d’anciennes déportées », poursuit-elle.

« On n’a pas le droit d’oublier, on leur doit ça à ceux qui sont morts »

Simone Veil confie aussi que la douleur et la colère ne s’apaisent pas avec le temps. « Sur mon lit de mort, je crois que c’est à ça que je penserai. Pas à mes parents mais au fait lui-même et aux bébés… 1,5 million d’enfants, comme ça… Et quand je vois mes petits-enfants, je pense à ça », dit-elle, les yeux humides et la gorge nouée. Elle reprend au bout de quelques secondes : « On n’a pas le droit d’oublier. On n’a pas le droit. On leur doit ça à ceux qui sont morts. »

« Il faut savoir que les choses vont très vite »

Celle qui est par la suite devenue une femme politique engagée souligne l’importance du « besoin de mémoire » et de se souvenir « des exemples les plus terribles du passé ». « Il faut savoir que les choses vont très vite, que les engrenages mènent tout de suite très loin et que l’intolérance, la haine, le mépris et surtout la mise au pilori de certaines populations, pour telle ou telle raison, ne peuvent que mener au désastre », insiste-t-elle.

Par Noémie Lair  www.radiofrance.fr

L’entretien entre Simone Veil et Catherine Bernstein a eu lieu en mai 2006. – Ina

Illustration : shutterstock

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