Pendant la fête organisée par sa grand-tante, les invités sont allés tuer 180 Juifs

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Le journaliste suisse Sacha Batthyany a toujours su qu’il descendait d’une famille aristocrate gravitant autour de la comtesse Margit, une femme vénérée de tous. Mais une macabre découverte, alors qu’il avait 34 ans, le pousse à mener l’enquête sur un secret familial trop bien gardé.

La comtesse Margit Batthyany à Hambourg dans les années 1960 | Agencja Fotograficzna Caro / Ala
La comtesse Margit Batthyany à Hambourg dans les années 1960 | Agencja Fotograficzna Caro / Ala

Sa vie a basculé un matin d’avril, il y a dix ans. Sacha Batthyany est alors journaliste pour un quotidien suisse lorsqu’une collègue vient à sa rencontre, une coupure de presse à la main. L’article, paru dans le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, est titré «L’hôtesse de l’enfer». Au premier coup d’œil, Batthyany ne saisit pas pourquoi sa consœur lui montre ce papier. Avant de reconnaître sur la photo d’illustration un visage familial.

L’hôtesse en question, c’est Margit, la tante par alliance de son père. Une personne envers qui sa famille a toujours fait preuve du plus grand respect. Intrigué, il commence à lire le texte. En mars 1945, est-il écrit, juste avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, Margit a organisé une grande fête avec ses amis nazis à Rechnitz, ville autrichienne située à la frontière de la Hongrie. La fille et héritière du magnat de l’industrie Heinrich Thyssen et ses convives ont dansé et bu toute la nuit.

Alors que la soirée bat son plein, douze invités se rendent dans un champ voisin où 180 esclaves juifs qui construisaient des fortifications étaient rassemblés. Les intrus les obligent à creuser un large fossé, se déshabiller, s’agenouiller. Puis ils se relaient pour leur tirer dessus jusqu’à les abattre tous, avant de regagner le château où se tient la fête. L’initiateur de cette opération était Hans Joachim Oldenberg. Son mari le comte Ivan Batthyany, frère du grand-père de Sacha, était également de la partie.

Voilà ce qu’apprend le journaliste, ce jour d’avril 2007, à l’âge de 34 ans. Sacha Batthyany est sous le choc. Invité au Salon international du livre de Jérusalem en juin dernier, il est revenu sur le moment où il a découvert ce macabre secret familial:

«Jamais je n’avais entendu parler de ce massacre ou de Rechnitz, ou d’un quelconque lien de ma famille avec l’Holocauste. (…) Cette zone entre Budapest et Vienne, c’est de là que ma famille vient, là où elle possédait des terres et des châteaux. J’ai demandé à mon père: “Tu étais au courant pour le massacre?” et il m’a répondu: “Oui, bien sûr, je ne suis pas stupide.” Puis: “Tu savais que Margit était à la fête la nuit où ça s’est passé?” et lui a dit: “Oui, tout le monde le savait.” Et là, je ne parlais pas aussi logiquement que maintenant, mais j’ai plus ou moins dit: “Donc tu savais que A et tu savais que B mais tu n’as jamais fait le lien?” Et il a dit non. (…)

Pourquoi ne pas avoir établi de connexion entre ces deux faits? Qui a décidé de ne pas soulever la question? Mon père n’avait jamais pensé qu’il y avait un lien entre les gens présents au château et ce qui s’y était passé. Tout le monde savait que Margit était une allemande qui entretenait des liaisons avec les nazis et qu’elle était favorable au régime nazi, mais personne n’avait voulu poser de questions.»

Ces interrogations restant sans réponse, Sacha Batthyany n’a d’autre choix que de s’en saisir lui-même et d’entamer des recherches en profondeur. Elles le mènent à l’écriture d’un livre en allemand, «Mais en quoi suis-je donc concerné?», paru en France le 9 février 2017, qui lève le voile sur les événements de cette nuit meurtrière et retrace sa quête d’identité.

Batthyany évoque ainsi la relation entre sa grand-mère Marita, fille d’aristocrate, et Agnes Mandel, une Juive qui a dû quitter le village où les deux femmes ont grandi lorsque les Juifs s’y sont fait assassiner. Il raconte aussi la vie de son grand-père, devenu l’ombre de lui-même après avoir été emprisonné pendant une décennie dans un goulag en Sibérie. Ou encore la fuite de ses grands-parents avec son père, alors adolescent, de la Hongrie sous occupation soviétique vers une maison de la riche comtesse Margit, à la frontière italo-suisse. Et il analyse la pathologie familiale de ces hommes qui, éternellement reconnaissants envers elle, ont préféré se garder de poser la moindre question.

Source www.slate.fr

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