People

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Par Claude MEILLET – Temps et Contretemps

Il en revenait. Assis face au groupe. S’exprimant en anglais d’une voix étonnamment grave, profonde, qui les surprit tous, venant d’un un corps si chétif. Tous pouvaient lire sur les mille rides de son visage les traces du drame ukrainien. Jonathan lui avait proposé de venir témoigner. Il avait acquiescé. Moins pour exposer sa propre expérience, lui dit-il, qui n’est qu’une semblable aux milliers, terribles, que les médias du monde entier font connaître. Hormis en Russie, évidemment. Où ce serait pourtant le plus nécessaire. Mais plutôt pour partager ce que lui a révélé cette guerre soudaine, monstrueuse.

Avant de réussir à extirper mère, femme et enfants de Kharkiv, une des villes martyres d’Ukraine, dans des conditions évidemment épouvantables, dans son autre vie, sa vie d’avant, il était prof de langues. Sans doute pourquoi la différence entre peuple et people lui semblait symbolique de sa découverte. People vaut pour le peuple et pour les gens. Poutine, dans sa folie, avait, sans le vouloir, provoqué le rassemblement des gens, tous les Ukrainiens, en un peuple. Et fait du peuple ukrainien un ensemble homogène, solidifié, de gens, de personnes particulières. Non pas, comme auparavant un assemblage, fragmenté, de gens, revendiquant leurs différences, formant cahin-caha un peuple.

Avec, derrière, une autre vérité, aussi éclatante. La force, réside dans the people, dans les gens. C’est la combinaison de ces forces individuelles qui confère aux institutions qui les représentent, et même aux armées qui les défendent, le pouvoir qui est le leur. Chaque Ukrainien est le peuple tout entier. Le people ukrainien ne vaut que par les people qui le composent. Volodymyr Zelensky est un faiseur de peuple. Il sait, par son exemple individuel, à la place qui est la sienne, amener tous les Ukrainiens, tous ces gens, à la conscience de leur appartenance à un seul peuple. Son courage est le courage de tous. Il est, comme chacun, comme chacune, the people.

Redevenu Juif errant, depuis son arrivée en Israël, et durant les longues nuits qu’il passait à suivre avec angoisse les évolutions de l’envahissement russe, il avait, presque inconsciemment, développé ses réflexions. Les gens, the people, anesthésiés par la captation du pouvoir par des institutions déléguées, par des responsables, perdent leur force individuelle. Habitués, la résignation leur fait oublier leur pouvoir. Le prédécesseur de l’Ukraine en désastre humanitaire, la Syrie, lui semblait l’exemple absolu. Un tyran et sa cour, les grandes puissances, déjà la Russie, les mouvements extrémistes islamistes, avaient ensemble détruit un peuple entier, un pays. Imposants le désastre à des gens impuissants à se fédérer dans un peuple résistant. Il se demandait aussi. Que serait-il arrivé si les Français, les Belges, les Hollandais, tous ces gens s’étaient en 1940, ensemble, révoltés, mobilisés, dans une volonté nationale commune ? Au lieu de s’en remettre à Pétain. Le peuple désincarné.

Il lui semblait d’ailleurs, que le contre-exemple s’affichait ici. Intéressé en tant que Juif, mais lointain en tant qu’Ukrainien, il pouvait tenter de se faire une opinion. Sinon la guerre, au moins le conflit israélo-palestinien, avait généré le peuple palestinien. La durée de la confrontation, la succession de ses épisodes, avaient soudé les individus en un peuple. Même si la dichotomie Gaza/territoires de Cisjordanie atténuait cette authenticité.

Un silence pesant suivit l’intervention du petit prof. Visiblement exténué. Et tout aussi sensiblement habité d’une force intérieure intacte. La troupe, habituellement joyeuse et indisciplinée, marquée par le personnage, par l’étendue de son engagement, menait sa propre réflexion. Jusqu’à ce que le petit homme courage, assène un dernier coup. L’Ukraine, est prête au sacrifice, pour les valeurs de l’humanité. Interrogez-vous pour savoir si l’humanité est prête à mourir pour l’Ukraine.

Mais soudain, faisant apparaître un sourire d’enfant sur un visage chargé d’une expérience du malheur absolu, il leur proposa de clore sur une histoire devenue fétiche en Ukraine : Poutine consulte une voyante sur son avenir proche. Qui lui dit qu’elle le voit roulant en limousine à travers une foule heureuse, applaudissant, sautant de joie, avec de grands sourires aux lèvres. Poutine demande alors, s’il les salut des deux bras. Non, répond-elle, le cercueil est fermé.

 Rapportons un commentaire intéressant sur ce texte :

Georges Kabi a dit…

Les gens les plus menacés en Ukraine sont les Juifs ukrainiens. Ils ont 2 ennemis, l’armée russe envahissante, et les Ukrainiens encore plus antisémites que les Polonais. Les hommes juifs ukrainiens ne sont pas autorisés à quitter l’Ukraine et sont forcés de combattre avec les autres Ukrainiens. Mais ces derniers ne se privent pas de procéder à des pogroms, tuant les Juifs, violant les Juives et volant leurs biens. Zelensky serait juif. Encore un mensonge pieux : son père est juif. Point barre. Sa mère ne l’est pas, ni sa femme ni ses deux enfants. Tous sont des fidèles de l’Eglise pravoslavite. Et cela n’empêche pas le monde entier de presser Israël à accueillir des réfugiés, alors qu’au Japon, seulement 8 Ukrainiens ont été accueillis.

M. Meillet, la seule partie qui m’a amusé a été la conclusion.

Et aussi un rappel historique. L’Ukraine fut « libérée » de la conquête nazie en 1944. Les nationalistes ukrainiens résistèrent à l’Armée Rouge jusqu’en 1953. C’est dire si l’amitié entre les peuples est vraiment un slogan.

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