Pourquoi « le jihadisme bourgeonne » à Strasbourg : les explications d’un sociologue

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La capitale alsacienne est-elle devenue un terreau pour la radicalisation islamiste ? Les réponses d’un sociologue.

Des filières démantelées, des jihadistes impliqués dans des attentats : la capitale alsacienne est un terreau pour la radicalisation islamiste, analyse le sociologue et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Farhad Khosrokhavar.

Comment expliquer que le Bas-Rhin, et plus particulièrement Strasbourg, abritent des foyers de l’islam radical ? 

Farhad Khosrokhavar. Strasbourg est l’une de ces villes phares de ce que l’on pourrait appeler « l’urbain jihadogène », comme la banlieue parisienne, Toulouse, Nice ou comme Lyon par le passé. On est dans un phénomène de répétition, de tradition, qu’on le veuille ou non. Il y a des villes et des quartiers en France, comme ailleurs dans le monde, où bourgeonne le jihadisme.

Il y a des paradoxes : à Strasbourg, la situation n’est pas pire qu’ailleurs et même souvent, c’est meilleur. Il y a des villes où l’on n’a pas de jihadisme notoire, alors qu’on devrait en avoir beaucoup. Comme Marseille, où il y a très peu de cas, alors qu’il y a de nombreuses cités.

D’un point de vue religieux, le Concordat est plus ouvert, plus tolérant, beaucoup moins restrictif que dans le reste de la France, où la laïcité interdit un certain nombre de phénomènes. Autre phénomène, la ville est extrêmement riche. Une bonne partie des jihadistes sont des jeunes de banlieue ou d’origine immigrée qui se sentent doublement stigmatisés. Stigmatisés par ce qu’ils perçoivent comme des préjugés sociaux et par cette richesse « insolente » de la ville.

« Strasbourg est au carrefour de l’Europe, on n’a qu’à traverser le Rhin pour être en Allemagne »

Strasbourg est au carrefour de l’Europe, on n’a qu’à traverser le Rhin pour être en Allemagne et on n’est pas très loin de la Suisse. Cherif Chekatt est un multirécidiviste de 29 ans, qui a aussi commis des crimes dans ces deux pays. Il y a une fluidité ; les idées de jihadisme peuvent se répandre vraisemblablement avec plus d’aisance qu’ailleurs.

On a parlé de la filière dite de Strasbourg, mais les derniers exemples de Strasbourgeois impliqués dans des attaques, comme Azimov à l’Opéra (1 mort, 5 blessés) en mai ou Chekatt, ont agi seuls…

Avec l’élimination de l’organisation de l’État islamique comme État, même s’il existe toujours sous forme d’une nébuleuse, les formes de radicalisation se rabattent sur des individus isolés ou sur de très petits groupes. On n’a plus le même type de terrorisme que celui de novembre 2015, où il y avait beaucoup de gens, ou le groupe de Cannes-Torcy, dans lequel 27 personnes étaient impliquées.

Quel a été, selon vous, le déclencheur des attaques de Cherif Chekatt, qui n’avait commis jusque-là que des délits de droit commun ? 

Il n’est pas, je crois, radicalisé dans le sens normal du terme, mais un fondamentaliste. Il fait partie des cas que l’on pourrait appeler « les jihadistes métaphoriques ». On a des individus, plus ou moins isolés, qui expriment leur volonté d’en découdre avec la société par des attentats.

Ils disent : « Je me réclame du jihadisme parce que je sais qu’au moins, j’aurai la notoriété ». Comme l’auteur de l’attaque au camion à Nice le 14 juillet 2016, qui était un jihadiste de pure circonstance. On le voit à son rapport à la religion : il buvait, il se droguait, il avait des relations dévergondées avec les femmes, avec les hommes.

Avec 27 condamnations, Chérif a passé une grande partie de sa vie en prison. Il était sur le point d’être arrêté, ses copains ont été mis en prison. En prononçant « Allah Akbar », il devient ultra-célèbre. Il a choisi un endroit symbolique, le marché de Noël, comme à Berlin il y a deux ans. On sait qu’il y a du monde et que ça a un écho amplifié un peu partout.

Source www.sudouest.fr

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