Profanation : le Canada accusé de révisionnisme de l’Holocauste en Ukraine

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Au départ, ce devait être un événement qui ferait la promotion d’une meilleure compréhension entre les Ukrainiens et les Juifs. Un service œcuménique auquel assistaient de hauts responsables religieux ukrainiens et juifs qui devait être un nouveau départ dans leur relation parfois douloureuse qui jalonne l’histoire.

Au lieu de cela, un monument controversé, érigé dans Sambir, une ville de l’ouest de l’Ukraine grâce à des dons privés et consacré avec l’aide du délégué canadien en Ukraine, a rouvert de vieilles blessures. Est-ce que le Canada serait complice d’une campagne qui tend à effacer un chapitre horrible de l’histoire ukrainienne de la Seconde Guerre mondiale?

Le monument dont il est question est en fait un gros bloc de granit élevé dans un cimetière juif abandonné, où plus de 1 200 Juifs ont été fusillés et dont les corps ont été jetés dans des fosses communes en 1943 par les nazis et leurs collaborateurs ukrainiens. Il souligne la mémoire de 17 nationalistes ukrainiens que l’on croit avoir été exécutés par la Gestapo en 1944, un moment de la Seconde Guerre mondiale qui ne fait pas cependant consensus chez les historiens.

Accompagné de quelques militaires canadiens, l’ambassadeur du Canada en Ukraine, Roman Waschuk participait à la cérémonie du 21 août dernier lors du dévoilement du monument à la mémoire des membres exécutés de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUM) et de sa branche militaire, l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, connue sous l’acronyme national UPA.

Cet événement avait été organisé par le Ukrainian Jewish Encounter (UJE), une initiative privée canadienne mise sur pied par le philanthrope canadien d’origine ukrainienne James Temerty et qui a pour mission de consolider «la compréhension mutuelle la solidarité entre Ukrainiens et Juifs.»

Au cours de cette cérémonie à laquelle assistaient des chefs de l’Église orthodoxe ukrainienne nouvellement indépendante, de l’Église grecque catholique d’Ukraine et le Grand rabbin d’Ukraine, on devait aussi consacrer un futur monument à la mémoire des victimes juives de l’Holocauste de Sambir.

« Une insulte flagrante »

L’événement soulève son lot de critiques surtout après qu’une croix ait été érigée au cœur du cimetière juif, dédiée à la mémoire des membres de l’OUN et de l’UPA, une organisation profondément antisémite qui a collaboré activement avec les Nazis au cours d’une grande partie de la Seconde Guerre mondiale. Cela constitue selon ces critiques un acte de profanation des lieux et une tentative grossière de réécrire l’histoire.

« It’s a blatant insult to the memory of the Jewish victims. »

(Trad. :c’est une insulte flagrante à la mémoire des victimes juives), a déclaré Eduard Dolinsky, président du Ukrainian Jewish Committee, au cours d’une entrevue téléphonique de Kiev avec Radio Canada International.

« It’s like erecting a monument to murderers on the graves of their victims. »

(Trad. : C’est comme si on érigeait un monument en mémoire des assassins sur les tombes de leurs victimes.) 

Dolinksy ajoute que la participation de diplomates et de militaires canadiens à la cérémonie de consécration en compagnie des chefs religieux ukrainiens était particulièrement troublante.

« But most of all I’m perturbed by this desecration. This is so outrageously cynical. »

(Trad. : Je suis profondément troublé par cette profanation. C’est un acte épouvantablement cynique), ajoute-t-il.

« Un compromis nécessaire »

(Première rangée, de droite à gauche) Mark Freiman, membre du conseil d’administration du UJE et ancien président du Congrès juif canadien, le Grand rabbin d’Ukraine Yaakov Dov Bleich, l’archevêque principal et chef de l’église gréco-catholique d’Ukraine Sviatoslav, le métropolite Épiphane, chef de l’église orthodoxe d’Ukraine, le philanthrope canadien d’origine ukrainienne James Temerty et l’ambassadeur canadien en Ukraine Roman Waschuk, lors de la cérémonie de consécration du monument à la mémoire de 17 membres de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (OUN) qui auraient été abattus par la Gestapo en 1944. La cérémonie officielle s’est déroulée dans le cimetière juif de Sambir dans l’ouest de l’Ukraine le 21 août 2019 (Conseil municipal de Sambir/Facebook)

Mark Freiman était à Sambir afin de participer à la cérémonie. Il est membre du conseil d’administration du UJE et ancien président du Congrès juif canadien. Ses parents faisaient partie des quelque 100 Juifs qui ont survécu aux massacres des Juifs de Sambir. Mark Freiman a déclaré que l’érection d’un monument à la mémoire des membres exécutés de l’OUN-UPA faisait partie d’un processus de « compromis nécessaire » afin d’obtenir l’appui de la communauté de Sambir après des années d’échecs pour construire un mémorial en souvenir des 1 200 Juifs exécutés le premier jour de la Pâque de 1943.

Lors d’une entrevue téléphonique, Monsieur Freiman a déclaré à Radio Canada International :

« My understanding is there absolutely no evidence that they [the 17 Ukrainian nationalists] participated in any anti-Jewish activities, I haven’t seen any such information ».

(Trad. : Selon ce que j’en comprends, il n’y a aucune évidence que les 17 nationalistes ukrainiens ont participé à quelque activité anti-juive que ce soit. Je n’ai vu aucune information du genre.)

Il y a eu d’autres tentatives par le passé de créer un parc à la mémoire des victimes juives du massacre de la Pâque de 1943 et du pogrom du 1er juillet 1941 à Sambir mené par les nationalistes ukrainiens. Elles ont toutes échoué devant l’opposition des nationalistes contemporains de la région.

En 2 000, le philanthrope canadien d’origine juive Jack Gardner, qui a vu le jour à Sambir, avait tenté de réhabiliter le cimetière en y érigeant un imposant monument représentant l’étoile de David en hommage aux dépouilles juives enterrées sur ce site.

Ce projet a suscité la colère des nationalistes locaux qui ont vandalisé le monument et érigé trois croix de dix mètres de haut chacune dans le périmètre du cimetière juif et du charnier.

Selon Freiman, une des croix a été retirée, ce qui faisait partie de l’entente afin d’ériger le mémorial aux nationalistes ukrainiens exécutés. Et ce mémorial était lui-même une condition préalable à l’instauration d’un parc à la mémoire des victimes juives.

Il ajoute que les deux croix restantes doivent aussi être enlevées.

« We anticipate that the Jewish cemetery will become a memorial park.  The memorial to the Jewish victims will occupy about a hundred metres in front of the mass grave, which is being restored. And we hope it would be a place of pilgrimage for people all over the world to learn about the ‘Holocaust by bullets’ and the terrible events that occurred. »

(Trad. : Nous espérons que le cimetière juif puisse devenir un parc commémoratif. Le mémorial en souvenir des victimes juives occupera une centaine de mètres en face du charnier. L’espace est en restauration. Nous espérons que cet endroit devienne un lieu de pèlerinage pour les gens de partout au monde, qui pourront en apprendre un peu plus sur ce qu’on appelle « l’Holocauste par balle » et les terribles événements qui se sont passés ici.)

Mark Freiman, membre du conseil d’administration du Ukrainian Jewish Encounter et ancien président du Congrès juif canadien

Source www.rcinet.ca

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