Réflexions sur la ‘alia…

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Les explorateurs, statue vue à Peta'h Tikva

 

Dans son commentaire de la Tora, le Ramban (Na’hmanide) écrit : « La particularité de la terre demande à ce qu’on obéisse aux lois du pays qui sont les lois de la Tora » (Vayikra/Lévitique 18,25-28)…

Demeurer en terre d’Israël est donc un défi à relever : celui de la réalisation effective de la promesse faite à Avraham avinou, et qui consiste à devenir le peuple de l’Eternel, le peuple saint. Tout manquement à cette vocation peut avoir des conséquences catastrophiques pour lesquelles le seul « mérite » de séjourner en terre d’Israël ne constitue pas une protection.

La légitimité de la demeure en Erets Israël ne relève pas du seul enracinement géographique d’un peuple. Elle est d’abord le résultat d’une démarche spirituelle, donc religieuse, qui commence avec la promesse faite par l’Eternel à Avraham, et qui se réalisa par la conquête du pays de Canaan par Yehochoua’. Entre les deux, se déroulent l’épopée des Patriarches, l’exil d’Egypte, le don de la Tora au Sinaï et la traversée du désert, autant d’étapes dans la réalisation du projet divin. La prise de possession du pays de Cana’an – devenant alors le pays d’Israël – en est certes le point d’orgue, mais elle est aussi la phase finale, et ô combien significative, de l’accomplissement religieux du peuple d’Israël.

 

L’accomplissement religieux du peuple d’Israël

 

C’est la raison pour laquelle, dans la démonstration qu’en fait le Ramban, la légitimité de notre possession d’Erets Israël exige l’obéissance aux lois de la Tora comme condition sine qua non : l’Eternel n’a pas promis à Avraham une terre pour qu’il s’y sédentarise, mais pour y faire aboutir son destin spirituel.

L’argumentation du maître de Gérone débute par la mise en évidence d’un paradoxe relevé dans le commentaire que donne Rachi sur les versets 17 et 18 du Séfer Devarim : comment le maître de Troyes peut-il affirmer que les mitsvoth de tefilin et mezouza n’ont de valeur que dans le pays d’Israël ? Ne sait-on pas qu’elles s’appliquent partout ?! De cette difficulté, Ramban en conclut que la terre d’Israël constitue une valeur « surajoutée » – ou du moins l’unique lieu privilégié – à l’accomplissement de toutes les mitsvoth, même celles qui ne concernent pas directement la terre.

L’Eternel n’a pas promis à Avraham une terre pour qu’il s’y sédentarise, mais pour y faire aboutir son destin spirituel.

« Et ainsi, écrit-il, l’Eternel a distingué le peuple séjournant sur cette terre par la sanctification des mœurs et la multiplication des commandements faits en Son Nom. C’est pourquoi, il est dit : « Vous observerez tous Mes décrets et tous Mes jugements, vous les accomplirez, et elle ne vous vomira pas la terre où Je vous amène pour y résider » (Vayikra/Lévitique 20,22). Tout comme il est écrit : « C’est vous qui hériterez de leur terre et Moi, Je vous la donnerai pour en hériter (…). Je suis l’Eternel, votre D’, Qui vous ai séparés des peuples » (ibid., 24) (…). Il nous a été confié une terre, sanctifiée pour servir l’Eternel, et qui est propre à Son Nom. Et cette terre, qui est une part du Nom glorieux, vomit tous ceux qui la dégradent. Elle ne supporte ni les idolâtres, ni la dépravation des mœurs » (Ramban, ibid. 18,25 sq.).

 

Comment vivre en Israël ?

 

Commentant un autre verset (Devarim/Deutéronome 4,19), le Ramban pondère une autre affirmation époustouflante de Rachi. Il est dit en effet : « Tu pourrais, portant tes yeux vers le ciel, voyant le soleil et la lune, les étoiles et toute l’armée céleste, te laisser entraîner à te corrompre devant eux et les suivre, l’Eternel les a donnés en partage à tous les peuples sous les cieux ». Or, Rachi ajoute : « L’Eternel les a donnés en partage à tous les peuples, comme divinités. Il ne les a pas empêchés de s’égarer à leur suite, puisqu’au contraire, Il a laissé leur néant les séduire afin de les chasser de ce monde ».

S’il est vrai, reprend le Ramban, que tous les peuples sont gouvernés par l’Eternel – et que, pour chacun d’entre eux, leur conduite est exercée par le biais d’un émissaire spirituel particulier – obéir à ces émissaires n’a valeur d’’avoda zara que s’ils sont pris personnellement comme but final de la sujétion. En revanche, tant que l’on conserve à l’esprit qu’ils ne sont que des agents tutélaires spécifiques à chaque peuple dont ils sont, pour ainsi dire, la raison d’être, considérer les astres comme autant de représentants propres à chaque nation ne conduit pas nécessairement à l’idolâtrie… Mieux, cela nous invite à comprendre qu’il existe bel et bien des liens caractéristiques entre les peuples et D.ieu, notre intégrité étant garantie par la capacité que nous avons à savoir discerner dans ces relations leur dimension spirituelle, sans attribuer un quelconque pouvoir autonome aux destinées, aux étoiles, ni même à la nature en général, une attitude qui constitue, on le sait, le cœur même de la ‘avoda zara.

Si l’intervention de D’ dans le monde s’opère par le canal d’Erets Israël pour s’étendre ensuite à toute la terre, encore faut-il que la terre d’Israël puisse assurer ce rôle central. Or, ce n’est pas tant la propriété de la terre qui joue ce rôle que l’attitude de celui qui y vit…

Nous savons, explique Ramban, que le peuple d’Israël jouit d’une providence particulière : l’Eternel conduit pour lui l’Histoire dans laquelle la terre d’Israël tient une place capitale. Toutefois, si l’intervention de D’ dans le monde s’opère par le canal d’Erets Israël pour s’étendre ensuite à toute la terre, encore faut-il que la terre Israël puisse assurer ce rôle central. Or, ce n’est pas tant la propriété de la terre qui joue ce rôle que l’attitude de celui qui y vit. C’est elle, et elle seule, qui est en mesure de lui donner son cachet, c’est-à-dire sa sainteté. Voilà pourquoi Ramban développe à ce propos l’idée que cette relation à la terre puisse à la fois constituer un bénéfice incomparable, mais aussi, à D’ ne plaise, un danger extrême : celui d’être rejeté cruellement d’une terre souillée par ses habitants – cette notion  de la « terre corrompue » n’existant pas en dehors du pays d’Israël.

 

« A cause des bêtes sauvages »

 

Demeurer en terre d’Israël est donc un défi à relever : celui de la réalisation effective de la promesse faite à Avraham avinou, et qui consiste à devenir le peuple de l’Eternel, le peuple saint. Tout manquement à cette vocation peut avoir des conséquences catastrophiques pour lesquelles le seul « mérite » de séjourner en terre d’Israël ne constitue pas une protection.

A cet égard, le Ramban cite l’exemple des Kouthim auxquels s’applique cette affirmation étonnante du livre des Rois (Melakhim II,17,26) : « Ki hamitsvoth michpat Eloké haArets – Car les commandements sont les jugements du D’ de la terre ».

Si « la loi de la terre », autrement dit la fidélité à la Tora, n’est pas respectée, rien ne peut garantir l’attachement du peuple d’Israël à sa terre…

Par le biais de la conquête d’Israël par Nabuchodonosor, dont le but était de déporter la population conquise afin de la remplacer par une autre sur le lieu même de sa terre d’origine, les Kouthim vinrent prendre la place, en Erets Israël, des Juifs déportés vers la Babylonie. A peine installés, ils y rencontrent pourtant un problème majeur : ils sont attaqués par les bêtes sauvages (car la Terre sainte rejette les peuples en la manifestant par la sauvagerie des conditions naturelles). Les Kouthim se plaignent donc de ne pas trouver la paix sur la terre où on les a installés de force. Ce verset leur répond : la particularité de la terre d’Israël demande à ce que l’on obéisse aux lois du pays. Les Kouthim reçoivent ainsi l’aide de Kohanim qui leur apprennent quelles sont les mitsvoth qu’ils doivent respecter afin de s’assurer la paix sur la terre d’Israël. Et, c’est à ce titre que le Talmud (Nida 56b) se demande à propos des Kouthim s’ils se sont convertis de bonne foi (guéré émeth) ou s’ils se sont convertis « à cause des lions » (guéré arayoth)…

Y.I.RUCK, à partir d’un enseignement du rav Y. POULTORAK zatsal

 

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