Le report des municipales en Palestine éloigne l’espoir d’une réconciliation

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LE MONDE Par Piotr Smolar (Ramallah (Cisjordanie), envoyé spécial)

 Jeudi 8 septembre, à 10 heures, le placide président de la Commission électorale centrale (CEC) palestinienne, Hisham Kuhail, reçoit Le Monde dans son bureau, à Ramallah. « Les élections municipales du 8 octobre auront-elles bien lieu ? » A cette question banale, qu’on lui adresse dix fois par jour, le responsable répond dans un soupir : « A cet instant, je dis oui. Mais redemandez-moi dans une demi-heure. On ne sait jamais, ici. » En fin de matinée, à la surprise générale, la Haute Cour palestinienne a décidé de « suspendre » le scrutin, en attendant d’examiner une plainte contestant sa tenue. Déposée par un avocat, elle dénonce l’omission dans l’élection de Jérusalem-Est, capitale espérée d’un Etat palestinien, ainsi que l’instrumentalisation de la justice par le Hamas dans la bande de Gaza, que le mouvement islamiste contrôle depuis 2007.

Derrière ce vernis procédural se dessinent des convulsions politiques et une nouvelle désillusion pour les électeurs palestiniens. La guerre intestine entre le Fatah, la formation du président Mahmoud Abbas, et le Hamas a éteint l’espoir d’une éclaircie démocratique, dix ans après le dernier vote national réunissant les deux formations rivales. En juin, lorsque Mahmoud Abbas annonça des élections municipales, les Palestiniens restèrent interdits. Puis vint la surprise : en juillet, le Hamas se déclara prêt à participer. L’été passa, les listes de candidats furent déposées, le scrutin commença à prendre forme, et la prudence générale fit place à un certain appétit populaire, surtout dans la bande de Gaza, étranglée par les blocus égyptien et israélien.

Certes, dans 182 petites communes, les clans familiaux et les partis s’étaient déjà mis d’accord sur des listes uniques d’élus. On appelle ça « le vote par consensus », dit le président de la CEC. Certes, le Hamas n’avait déposé aucune liste en son nom propre, pour ne pas exposer ses membres ou sympathisants à la répression des services israéliens ou de l’armée occupante. Mais l’élection avait un intérêt réel, on allait enfin mesurer les forces en présence. Le système politique palestinien, vidé de toute légitimité populaire, avait un besoin vital de ce rendez-vous. Mahmoud Abbas, 81 ans, est dans la onzième année de son quinquennat. Depuis le printemps 2014, les tentatives de réconciliation entre le Fatah et le Hamas, encouragées par la Turquie et le Qatar, n’ont débouché sur rien. La fracture en deux Palestines – la bande de Gaza et la Cisjordanie – arrange la droite nationaliste israélienne, qui ne veut pas porter seule la responsabilité de l’absence de négociations.

En ce jeudi confus, Hanan Ashrawi, membre du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), paraît sonnée. Elle attend de voir M. Abbas pour savoir quelle stratégie sera adoptée. « Le coup est dur, je suis en colère, dit-elle. C’est avant tout le Hamas qui porte la responsabilité de cet échec. Ils ont manipulé le processus électoral pour éviter une victoire du Fatah à Gaza. » Les accusations mutuelles pleuvent. La direction du Fatah reproche au Hamas d’avoir annulé cette semaine certaines de ses listes locales, par l’intermédiaire de juges aux ordres. Au total, le Fatah n’aurait pas été représenté dans 9 des 25 municipalités de la bande de Gaza. Or la population locale est fortement remontée contre le Hamas, qui excelle bien plus dans son renforcement militaire que dans la gestion du quotidien des habitants. Le mouvement islamiste jouait donc gros, dans son fief.

Après la décision de la Haute Cour, le Hamas a dénoncé une opération politique de la direction palestinienne. Impossible d’établir un procès-verbal clair après cette sortie de route, le tout se passant sur un fond diplomatique complexe. En ces derniers mois de présidence Obama, la Russie profite de la paralysie américaine pour proposer ses services comme médiateur du conflit israélo-palestinien. Personne ne sait exactement quels termes Moscou propose à Benyamin Nétanyahou et à Mahmoud Abbas pour forcer une rencontre. Ce dernier a-t-il préféré se concentrer sur la diplomatie, plutôt que s’exposer aux mauvais vents des urnes ?

Les conséquences du report de l’élection à une échéance indéterminée pourraient être redoutables, à en croire Hanan Ashrawi, qui résume avec lassitude : « Il va nourrir la désillusion populaire, il ne permettra pas de régénérer le système politique, il consolidera la confrontation entre le Fatah et le Hamas et, enfin, il éloignera la perspective d’élections générales dont nous avons tant besoin. »

 

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