Quels risques pour les entreprises françaises en Iran avec le retour des sanctions américaines?

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An Airbus A321 painted in IranAir's livery rests on the tarmac as the company takes delivery of the first new Western jet under an international sanctions deal in Colomiers, near Toulouse, France, January 11, 2017. REUTERS/Regis Duvignau

IRAN – The deal is over. Avec la sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et le retour des sanctions contre TéhéranDonald Trump entend isoler la République islamique. Mais sa décision va également affecter les entreprises étrangères qui avaient recommencé à commercer avec Téhéran après la signature de l’accord en 2015. L’accord signé cette année-là visait à faciliter les échanges commerciaux avec l’Iran en échange de son engagement à limiter ses activités nucléaires.

Mais trois ans plus tard, le président américain a choisi l’option la plus radicale pour dissuader les entreprises de poursuivre leurs relations commerciales avec Téhéran: toutes les compagnies, y compris étrangères, ont 3 à 6 mois pour « sortir » d’Iran. Quant aux groupes actuellement en négociation pour de futurs contrats, ils doivent y renoncer « immédiatement ».

Selon le Trésor américain, le délai va de 90 à 180 jours. Les entreprises allemandes devraient cesser leurs activités en Iran « immédiatement », a par exemple demandé l’ambassadeur américain en Allemagne.

Ceux qui ne respecteront pas les conditions posées par l’homme fort de Washington s’exposeront à des sanctions, et en particulier des mesures punitives leur barrant l’accès au marché américain.

Une position « pas acceptable » pour le ministre français de l’Economie Bruno Le Maire qui a déploré mercredi matin la position de « gendarme économique de la planète » de Donald Trump. « En deux ans, la France avait multiplié par trois son excédent commercial avec l’Iran », a-t-il dit lors d’un entretien à France Culture, jugeant que la décision américaine aurait des « conséquences » pour plusieurs fleurons français, à commencer par les grands groupes comme Total, Sanofi, Renault, Peugeot ou Airbus. 

Plusieurs grands groupes français touchés

Après 2015, Washington n’avait officiellement jamais mis fin à l’embargo interdisant aux Américains et à toute entité utilisant son système financier d’effectuer des investissements en Iran. Plusieurs firmes américaines et internationales avaient toutefois reçu en 2015 le feu vert du Trésor américain pour commercer avec l’Iran. Un sésame indispensable pour s’y installer, délivré par le rigoureux « Office of Foreign Assets Control » chargé de l’application des sanctions économiques américaines.

« L’OFAC fait la pluie et le beau temps. Beaucoup d’entreprises européennes, qui font une partie de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis, doivent aussi demander l’autorisation à l’OFAC pour commercer avec l’Iran », explique le spécialiste du pays Thierry Coville au Monde. Une situation qui avait de fait refroidi de nombreuses banques et incité plusieurs entreprises à la prudence, sans toutefois, couper totalement le robinet des investissements étrangers en Iran.

Ainsi, Airbus s’est vu commander une centaine d’avions par des compagnies iraniennes depuis 2015, pour près de 10 milliards de dollars. Mais l’avionneur européen a des usines aux Etats-Unis, et un nombre important de pièces installées dans ses appareils sont fabriquées sur le sol américain, ce qui le soumet automatiquement aux sanctions américaines.

Total figure aussi au rayon des grandes firmes françaises menacées. Le pétrolier a signé en juillet 2017 un accord portant sur un investissement de 5 milliards de dollars pour exploiter le gisement offshore de gaz naturel de South Pars. Le groupe tricolore, très présent sur le marché américain, avait toutefois prévenu que le maintien de l’accord dépendrait de la position de Washington sur le nucléaire iranien.

« Si Total, en dehors de la mise en oeuvre de sanctions du Conseil de sécurité [de l’ONU, ndlr], annonce qu’il a l’intention de renoncer au contrat, aucun capital ne sera rendu à cette entreprise et aucune somme ne sera transférée à l’entreprise », avait mis en garde le ministre iranien du Pétrole.

Le français Renault, qui a vendu plus de 160.000 voitures en Iran l’an dernier, pourrait aussi être touché en raison de la présence aux États-Unis de Nissan. Le groupe, même s’il n’a jamais vraiment quitté l’Iran après les sanctions imposées au pays dans les années 90, rappelle Challenges, pourrait avoir à choisir entre l’Iran et le deuxième marché automobile mondial.

Autre groupe français, son concurrent PSA est déjà particulièrement bien implanté en Iran où il a une part de marché de 30% et où il produit plusieurs modèles, dont certains en co-entreprise avec des partenaires iraniens. Absent des États-Unis depuis 1991, PSA a toutefois indiqué en janvier songer à lancer un service d’autopartage dans une ou deux villes américaines. Un projet auquel il pourrait devoir renoncer.

Même chose pour l’hôtelier français Accor, qui a ouvert un hôtel en Iran en 2015, et qui devra sans doute, comme les autres firmes françaises, choisir entre ses intérêts iraniens et ses intérêts américains.

« Maintenir les bénéfices économiques »

Une perspective qui inquiète les dirigeants européens. Cela va « poser des difficultés à toutes les entreprises européennes (…), des difficultés économiques considérables. Mais plus important encore que le problème économique, c’est le problème de principe, d’avoir des sanctions extraterritoriales », a ainsi jugé le ministre Bruno Le Maire.

La présidence française a reconnu que pour l’instant les modalités pratiques des sanctions que les Etats-Unis comptent rétablir n’étaient « pas très précises », assurant qu’elles feront « l’objet de discussions très serrées avec l’administration américaine, où nous défendrons les intérêts des entreprises européennes ».

Bruno Le Maire a déjà annoncé qu’il aura « un entretien téléphonique d’ici la fin de la semaine avec le secrétaire au Trésor américain Steve Mnuchin » pour étudier avec lui quelles sont les possibilités pour éviter ces sanctions.

Quelles solutions ?

Seulement la marge de manœuvre semble bien réduite pour la France et l’Union européenne, au vu, notamment du ton adopté par Donald Trump, peu enclin à la négociation. « Tout pays qui aidera l’Iran dans sa quête d’armes nucléaires pourrait aussi être fortement sanctionné par les Etats-Unis », a-t-il averti lors de son annonce. Autrement dit, il sera très risqué pour une entreprise européenne de maintenir ses activités en Iran.

Parmi les solutions envisagées, Bruno Le Maire évoque des « clauses grand-père« , à savoir le maintien des droits aux entreprises déjà en place, et des « exemptions », sans toutefois entrer dans le détail. Comme le ministre de l’Économie, l’Élysée reste flou, estimant que la solution ne pourra pas se résumer à changer de monnaie, par exemple de commercer en euros plutôt qu’en dollars, pour échapper à des sanctions américaines. « Ce n’est pas aussi simple », avertit la présidence.

Reste alors les « exemptions spécifiques » accordées par les États-Unis et dont Total avait bénéficié dans les années 1990 alors que la Maison-Blanche prenait déjà un train de sanction contre l’Iran. Pour jouir de ce passe droit auprès de l’OFAC, l’entreprise doit démontrer que ses investissements ont été réalisés avant l’application des nouvelles sanctions. « Comme le projet a été accordé avant cette décision (…), nous demanderons une dérogation aux autorités américaines », déclarait le PDG de Total Patrick Pouyanné à The National plusieurs semaines avant l’officialisation de la décision de Donald Trump.

Pour le reste, le spécialiste de l’Iran Vincent Eiffling estime que les Européens n’ont guère le choix. « On voit mal ce que l’Union européenne pourrait faire (…) elle pourrait mettre en place des contre-mesures qui viendraient contrebalancer la décision d’établir des sanctions extraterritoriales américaines », indique-t-il à RFI. Tout en prévenant que ce choix conduirait l’Europe « dans une espèce de guerre politico-commerciale avec les Etats-Unis. »

Source www.huffingtonpost.fr

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