La Russie rattrapée par ses dilemmes stratégiques en Syrie

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Les raids israéliens sur les positions iraniennes et l’opération turque contre les Kurdes d’Afrin renvoient la Russie aux intérêts contraires qu’elle défend en Syrie.

Plus les semaines passent et plus la partie se complique pour la Russie en Syrie. De la reprise totale d’Alep aux rebelles fin 2016 à celle de Deir ez-Zor à l’État islamique un an plus tard, Moscou a enchaîné les succès militaires dans son soutien au régime de Bachar el-Assad. A rebours de 2017, qui a conforté sa suprématie régionale et lui a permis de plastronner sur la scène internationale, le début de l’année 2018 prend des allures d’impasse pour Vladimir Poutine.

Les raids israéliens contre des cibles iraniennes en Syrie le week-end passé fragilisent le numéro d’équilibriste du président russe. L’alliance avec l’Iran pour soutenir à bout de bras le régime de Damas s’accommode de plus en plus mal avec les relations de bonne intelligence avec Israël, qui considère le Hezbollah libanais et son parrain iranien comme les plus grandes menaces pour sa sécurité.

Quelques jours avant le déclenchement de l’intervention militaire de la Russie en Syrie, fin septembre 2015, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’était en effet rendu à Moscou pour mettre en place un canal d’échange direct évitant une confrontation armée. Il s’est révélé très rapidement efficace.

La Russie contrôle les airs

L’armée israélienne s’est ainsi gardée de faire marcher ses batteries antiaériennes lors de l’intrusion d’un avion de chasse russe dans son espace aérien, au niveau du Golan, deux mois plus tard. « De son côté, Moscou s’est gardé d’activer son système de défense en réponse aux frappes israéliennes », rappelle l’un des derniers rapports d’International Crisis Group (ICG).

« Une mouche ne peut voler au-dessus de la Syrie sans l’accord de la Russie », a d’ailleurs expliqué à l’ICG un représentant militaire israélien. Cette maîtrise des airs est obtenue grâce aux systèmes mobiles de missiles sol-air S-300 et S-400. Jamais ils n’ont été utilisés lors des nombreuses frappes – plus d’une centaine – réalisées sur le territoire syrien par l’aviation israélienne. Cela s’est vérifié indirectement samedi, le F-16 perdu par Israël a été touché par un dispositif antiaérien des forces irano-libano-syriennes.

Les débris d'un avion de combat israélien F-16 qui s'est écrasé dans le Kibboutz de Harduf, dans le nord d'Israël, après avoir essuyé des tirs par la défense antiaérienne syrienne, le 10 février 2018.

Les débris d’un avion de combat israélien F-16 qui s’est écrasé dans le Kibboutz de Harduf, dans le nord d’Israël, après avoir essuyé des tirs par la défense antiaérienne syrienne, le 10 février 2018. Afp.com/Jack GUEZ

La Russie est-elle débordée au sol par son allié iranien, prompte à tester les limites d’Israël avec l’envoi de drone sur le Golan? Benjamin Netanyahou a prévenu directement Vladimir Poutine, en janvier, au cours d’une visite à Moscou, que la pérennisation de la présence militaire de l’Iran et des milices qu’il contrôle sur le sol syrien représentait un danger inacceptable pour son pays. « Nous lui ferons face avec toute notre force pour garantir le caractère éternel d’Israël », a-t-il averti.

L’intervention turque dans l’enclave kurde d’Afrin est l’autre casse-tête dont Vladimir Poutine se serait passé. « La grande réussite de la Russie a été que la Turquie se rapproche d’elle, ainsi que les zones de désescalade », rappelle Julien Théron, spécialiste du Moyen-Orient et enseignant à Sciences Po. La fin du soutien turc aux rebelles d’Alep en a accéléré la chute, tandis que le trio Damas-Téhéran-Moscou laissait Ankara prendre pied au Nord de la Syrie.

Les Russes jouent la prudence

S’opposer mais consentir: pour ménager sa relation avec Ankara, Moscou applique la même méthode qu’avec Israël. Tout en s’opposant à l’intervention des Turcs contre les kurdes d’YPG, liés au PKK qu’il combat sur son sol, elle y a consenti en retirant ses atouts militaires, positionnés dans l’enclave après la destruction d’un avion russe par la Turquie à l’automne 2015.

Il suffirait de peu pour qu’un conflit éclate, mais les acteurs extérieurs semblent résolus à l’éviter. La Russie a ainsi fait profil bas après la mort de quatre Russes dans une frappe de Washington en soutien à la coalition arabo-kurde contre une position du régime près de Deir ez-Zor. Selon le New York Times, ils pourraient en fait être bien plus nombreux.

Une photo fournie par les Forces armées russes le 15 septembre 2017 montre un soldat russe en faction dans une rue centrale de la ville de Deir ez-Zor, à l'est de la Syrie.

Une photo fournie par les Forces armées russes le 15 septembre 2017 montre un soldat russe en faction dans une rue centrale de la ville de Deir ez-Zor, à l’est de la Syrie. Afp.com/Dominique DERDA

« La confrontation avec l’EI et sa défaite militaire étaient annoncées et tout le monde s’attendait à ce que les forces actuelles se retrouvent à se regarder en chiens de faïence. Il y a un évitement permanent des partis extérieurs au conflit, qui jouent avec des proxys, des acteurs locaux, précise Julien Théron. Les Turcs avec les rebelles, les États-Unis avec les Kurdes et Damas et l’Iran avec des milices chiites afghanes, libanaises ou irakiennes. »

L’échec de la réunion de Sotchi

Alors que la situation sur le terrain se corse, les négociations, de leur côté, sont au point mort. Les principaux groupes de l’opposition et les Kurdes ont boudé fin janvier la réunion de Sotchi. Le processus russe se révèle tout aussi incapable de dessiner un avenir pour la Syrie que celui de l’ONU. Soutien actif du régime, en particulier ces derniers jours dans le bombardement de la Ghouta, la Russie atteint les limites de sa volonté d’être faiseuse de paix.

Faire s’entendre les parties se révèle bien plus ardu que s’imposer militairement. Julien Théron: « La réponse ne peut être que politique à la fin, comme ce fut le cas avec les accords de Taëf, en 1989, fixant un statu quo et une amnistie générale au Liban ». Une issue loin d’être à l’ordre du jour.

Source www.lexpress.fr

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