Sondages en Israël : un attrape-nigaud

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Par Jacques BENILLOUCHE – Copyright © Temps et Contretemps

Les nouvelles élections ne changeront rien, ce qui est normal car les électeurs ne peuvent pas se déjuger à trois mois d’intervalle. La situation reste bloquée avec une impossible majorité pour le gouvernement qui plafonne à 57 sièges. Les mouvements, s’il y en a, s’effectuent à l’intérieur des clans préétablis. Le Likoud perd au profit de la droite extrême et Bleu-Blanc se déplume au profit du «camp démocrate». On n’entrevoit aucun mouvement d’envergure capable de faire bouger les lignes de manière significative. Les électeurs restent en effet fidèles à leurs partis et à leurs convictions. Un mouvement d’ampleur, semblable à celui d’Emmanuel Macron en France, ne pourrait jamais se passer en Israël. Alors, sauf imprévu dramatique dans les prochaines semaines, le changement ne sera pas ni pour cette fois et ni pour la prochaine d’ailleurs.

Le Likoud a pris le pouvoir et il ne le lâchera jamais tant qu’il lui restera un simple souffle en utilisant toute les ficelles politiques comme celle de demander un soutien trop voyant à l’étranger, celui de Donald Trump ou de Vladimir Poutine. En revanche, le Premier ministre qui avait demandé à rencontrer le roi jordanien Abdullah II en pleine période électorale, a vu sa demande fermement rejetée par le royaume.

Les électeurs se sont radicalisés à droite, et même vers l’extrême-droite, et c’est leur choix même si on les croit intoxiqués. Alors se battre en politique devient une figure de style ; les jeux sont faits parce que les Israéliens sont des conservateurs pour qui le changement est synonyme de chaos. Les partis d’opposition se déchirent, se divisent au lieu de se rassembler dans un large mouvement démocrate à l’américaine. La guerre des égos fait rage.

Tout le monde veut être chef dans son village et chacun insiste pour ses propres exclusives. L’efficacité, on ne connait pas. Alors la même situation perdure pourvu qu’ils restent chefs de leur petite tribu, mais désunis. Certains interprètent leur entêtement comme une volonté cachée de garder Netanyahou et ils l’auront, malgré tous les aléas et les alliances contre nature. La vie est chère en Israël, eh bien ils continueront à faire avec. La crise du logement et les appartements hors de prix, eh bien ils continueront à jongler avec leur budget. Les salaires stagnent, eh bien, ils s’en contentent puisqu’il n’y a pas de chômage en Israël. Les Français râlent et font moins leur alyah, mais cela n’est pas grave puisque cela est compensé largement par les pays de l’Est devenus les plus gros fournisseurs d’immigrants heureux.

Les Israéliens méritent leurs dirigeants puisqu’ils continuent à les choisir envers et contre tout. Les élections ne revêtent aucun intérêt en raison du système électoral à la proportionnelle intégrale qui donne l’impression que les jeux sont faits d’avance. La majorité n’est pas prête à changer de régime et à risquer«l’aventure». Alors les sondages en Israël existent pour la galerie puisqu’ils se sont toujours trompés, sans exception. Des dirigeants élus sur le papier se retrouvent battus avec des écarts conséquents, ce fut le cas en avril 2019 avec Naftali Bennet et Moshé Feiglin.

Les organismes israéliens de sondages semblent ignorer les méthodes scientifiques de plus en plus raffinées qui permettent des écarts d’erreur de l’ordre de 2%. Au contraire ils affichent des résultats finaux souvent inversés. En effet, les contacts directs avec les électeurs se font de plus en plus rares. Des envois SMS se substituent au dialogue et au questionnaire papier pour traiter les résultats dans des délais records. Mais l’anonymat n’est pas respecté puisque le numéro de téléphone permet de remonter au titulaire de l’abonnement. Alors souvent les sondés, qui ne veulent pas être repérés politiquement, trompent les sondeurs sur leur vote réel. De toute façon, le choix donné aux sondés est volontairement limité, presque imposé, puisque sur 32 listes, la liste présentée aux sondés est incomplète par nécessité. Certains leaders n’y figurent pas parce qu’on estime d’avance qu’ils ne passeront pas le seuil électoral. Il est clair que les sondages ne donnent pas la même chance aux candidats. Nous les publions par obligation professionnelle.

Il faut dire que, et c’est plus grave, les sondages sont manipulés en fonction du donneur d’ordre. Les instituts de sondage ont besoin de financement et de ce fait, ils faussent le nombre de sièges de certains candidats en fonction de la volonté de celui qui les paie. D’ailleurs trois sondages publiés le même jour ne se recoupent pas. Le journal Israël Hayom, soutien indéfectible de Benjamin Netanyahou, évolue en fonction de la stratégie du moment du Likoud. Souvent, on l’a vu en avril 2019, il donne des résultats volontairement catastrophiques pour le régime en place afin de forcer le rassemblement des militants qui auraient des velléités à vouloir voter ailleurs. Certains médias osent même présenter les résultats en trois groupes : le Likoud et ses alliés de droite, le parti de Lieberman et le groupe «arabe de gauche» incluant le parti Bleu-Blanc de Benny Gantz ; une manière de prévenir les électeurs que voter pour Gantz c’est voter pour les Arabes.

Les vrais instituts de sondages en Europe utilisent la méthode des quotas pour s’assurer de la représentativité d’un échantillonnage selon tous les critères. Mais il fait disposer de fichiers de qualité et de temps; or avec un SMS on ignore tout du sondé et de sa classification ce qui ne donne pas une représentation exacte de l’échantillonnage. Aux élections du 22 janvier 2013, les sondeurs n’avaient pas prévu l’affaiblissement de la droite, l’échec de la gauche et la grande victoire du parti centriste Yesh Atid. Le Likoud, n’avait réussi qu’à obtenir 31 sièges alors qu’il disposait de 42 députés dans la Knesset sortante. Les sondeurs n’avaient pas prévu ce recul flagrant, ni la percée spectaculaire du parti Habayit Hayehudi qui était passé de 3 à 12 députés, ni la chute du parti travailliste et enfin ni la percée de Yesh Atid qui avait obtenu 19 députés à la surprise générale.

En avril 2019, ils avaient volontairement gonflé les résultats de la Nouvelle Droite de Naftali Bennett et de Zehut de Moshé Feiglin, leur attribuant jusqu’à 10 sièges, pour les transformer en épouvantails face aux électeurs. Ils n’ont pas passé le seuil électoral. Certains partis publient des fake news en s’attribuant un nombre de députés incompatible avec leur réelle influence dans le pays pour tenter d’exister.

Désormais omniprésents, les sondages et les enquêtes d’opinion encadrent et influencent la vie politique israélienne. Ils s’auréolent de soi-disant méthodes scientifiques pour orienter en fait les prises de position et pour influer sur la stratégie électorale alors qu’il est légitime de mettre en doute leur fiabilité. C’est le nouveau danger pour la démocratie. Alors il faut miser sur l’intelligence des électeurs capables d’avoir une opinion politique acérée. Mais on peut en douter parfois car plusieurs villes du sud, matraquées par les missiles du Hamas et jamais soutenues par une visite du premier ministre, ont voté à plus de 40% pour le Likoud. Plus maso que moi tu meurs.

Les élections n’y changeront rien, au contraire, ils marqueront de plus en plus le poids des orthodoxes sur les laïcs. Mais les sondages éludent ce genre de questions. En fait, il ne faut pas se fier aux sondages et voter selon ses instincts.

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