En souvenir de Refaël (Yonathan) Sandler היד

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Voici cinq ans que notre très regretté Yonathan (conservons le nom « civil » par lequel il était connu, mais son nom hébreu était Refaël) Sandler a été assassiné à Toulouse, lui, et deux de ses enfants, ainsi que la fille du directeur de l’école, Miryam Monsonégo. Que l’Eternel venge leur sang, et apporte la consolation à ses proches, ses parents, son épouse, sa fille, ainsi qu’à la famille Monsonégo !

Diverses manifestations ont été célébrées en son souvenir. Nous n’y étions pas. Et nous ne serons pas non plus présents dans celles qui pourraient être organisées.

Pourquoi ? Car nous doutons que la manière dont sa mémoire a été évoquée corresponde à celle qui doit être menée selon nos sources.

Les conditions étaient particulièrement tragiques, car rav Sandler הי »ד était un cadre jeune et prometteur de la communauté juive, sachant comment s’adresser au public actuel et lui parler intelligence, ainsi qu’il l’a fait dans nos colonnes durant près de deux années (un livre en a été tiré alors par nos soins).

Ces circonstances nous amènent d’autant plus à réfléchir en quel sens son souvenir doit être évoqué, et ne pas tomber dans la banalité et la platitude, ou en se contentant de lancer un appel aux autorités civiles de faire plus d’efforts pour protéger la communauté juive – bien qu’une telle démarche ne soit pas déplacée.

 

La question première est : est-ce qu’un tel drame est dû au hasard ? L’assassin musulman, Mohamed Merah, a-t-il pu mettre fin à ces vies – sans que l’Eternel ne l’ait permis ?

A priori, une telle pensée ne peut pas être acceptée dans le cadre du judaïsme, car, alors, elle revient à refuser à l’Eternel toute intervention dans le monde, toute providence. Toutes nos prières sont là pour exprimer le contraire : nous demandons à l’Eternel de nous accorder la sagesse, d’accepter notre repentir, de nous sauvegarder, de nous accorder une bonne santé, une année profitable, et le reste à l’avenant.

Il sera donc impossible d’accepter l’idée qu’un drame aussi grave ait pu avoir lieu sans que l’Eternel ne l’ait permis – ce qui n’enlève en rien à la gravité de l’acte de ce ignoble assassin et à la punition qui lui revient !

C’est une base de réflexion qu’il nous faut mettre en place : rien ne se passe dans le monde, aux yeux du judaïsme, sans que l’Eternel ne l’ait programmé et permis.

 

La seconde question, de loin plus angoissante, et aussi plus délicate, est de savoir pourquoi l’Eternel a-t-Il laissé un tel drame se produire. Ou de manière plus précise, et plus juste : pourquoi a-t-Il voulu qu’une telle catastrophe puisse avoir lieu ?

Disons tout d’abord que nous n’en savons rien, et pour cause (Yechayiahou/Isaïe 55,8-9) : « Car vos pensées ne sont pas Mes pensées, ni vos voies ne sont Mes voies, dit l’Eternel. Mais autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant Mes voies sont au-dessus de vos voies, et Mes pensées de vos pensées ». Nous ne savons pas pourquoi Il a voulu que nous soyons sur terre, pourquoi à ce moment, à cet endroit, en cette famille, en cette ville. C’est Lui Qui en décide, et nous n’avons aucune notion, nous autres humains, des tenants et des aboutissants de notre propre vie. Nous savons juste que nous devons faire Sa volonté, ainsi qu’elle s’exprime dans la Tora. Et oh combien Yonathan en était-il conscient : il eût pu vivre une vie tranquille en Terre sainte, et le voici qui est parti à l’étranger, en une ville où les conditions éducatives n’étaient évidemment pas celles dont il aurait pu profiter à Jérusalem. Non seulement cela, mais encore, lorsqu’il a constaté que la communauté de Bordeaux avait besoin qu’on la renforce sur le plan de la connaissance du judaïsme, il n’a pas hésité à faire le voyage un très grand nombre de fois, quitte même à passer des Chabbatoth à Bordeaux, où, évidemment, il n’avait pas les facilités qu’il pouvait trouver, même à Toulouse.

 

De plus, il ne fait toutefois aucun doute, que l’Eternel nous garde d’une pensée différente, qu’un tel drame doit nous concerner tous, chacun dans sa vie propre ! Toute épreuve a son sens, son message. L’Eternel nous parle par elle, et veut nous faire passer un message, une critique, un reproche. Et obtenir de notre part un changement dans notre conduite.

Qui avons-nous de plus rationnel que notre Maitre, le Rambam, le grand aigle de la synagogue – et le voici qui nous dit dans les premiers paragraphes des lois concernant les jeûnes : « Cela fait partie d’une démarche de repentir que, en une période dramatique, l’on prie et l’on sonne du chofar, de sorte que tous prennent conscience que c’est à la suite des mauvaises conduites qu’une telle catastrophe a pu se produire, comme le dit le verset (Yirmiyahou/Jérémie 5,25) : « Ce sont vos fautes qui ont dérangé le cours de ces lois [celle de la nature, vous accordant la pluie en son temps], vos péchés qui vous ont privés de ces bienfaits ». »

Quand le peuple juif se sent menacé par des ennemis, par des éléments naturels ou par tout autre danger, il doit se tourner vers le jeûne, et, de manière plus globale, vers une introspection de ses actes et un repentir de ses errances. La reine Esther, dans de telles circonstances, demanda au peuple juif de jeûner… trois jours d’affilée ! Et ce, même durant le premier jour de Pessa’h, rendant impossible de la sorte d’acomplir les obligations du soir du séder et celle de manger durant Yom Tov (cf. Rachi, Esther 4,17) !

Mais le Rambam ajoute, nous mettant en garde contre la nonchalance qui peut s’instaurer dans nos rangs : « Mais s’ils ne prient pas avec force et ne sonnent pas du chofar, disant que ce qui leur arrive est à imputer au cours normal des événements dans le monde et s’est fait par hasard, leur conduite repose sur de la cruauté et les entrainera à continuer à adhérer à leurs mauvais actes ; d’autres catastrophes les frapperont, comme cela est dit dans la Tora (Vayikra/Lévitique 26,23-24) : « Si ces châtiments ne vous ramènent pas à Moi et que votre conduite reste froide face à Mes injonctions, Moi aussi Je me conduirai à votre égard avec froideur, et Je vous frapperai, à Mon tour, sept fois pour vos péchés ». Autrement dit, quand Je vous ferai passer par un moment dramatique pour que vous reveniez vers Moi et que vous y verrez le fait d’un hasard, Je continuerai à vous frapper par ces mêmes hasards. »

Voici donc l’avis à la population que lance notre grand rationaliste ! C’est donc de cela qu’il faut parler dans de telles circonstances.

 

La question qui se pose à notre esprit sera évidemment : mais que peut se reprocher la communauté juive de France, de nos jours ?

Elle a globalement évolué de manière remarquable : alors que voici 40 ans, on ne pouvait trouver qu’un seul « restaurant » cacher à Paris (dirigé par la mère du rav Frankforter), et un mikvé de qualité très médiocre sur le plan de la Halakha ; de nos jours, le consommateur a le choix de plus de cent restaurants cachers sur la place, au moins une dizaine de bons mikvaoth y sont proposés, et nombre de Bathé Midrach remarquables réunissent des gens qui consacrent la totalité ou la moitié de la journée à l’étude de la Tora !

Pour le reste, « le cœur de chacun connait l’amertume de son âme » (Michlé/Proverbes 14,10).

 

Sans nous permettre d’affirmer que là est la cause de nos malheurs, nous voulons néanmoins, dans une démarche d’introspection, évoquer des points dont l’amélioration sera certainement source de mérite. Deux sujets restent en effet ouverts à notre avis au niveau de la communauté. L’un concerne les morts, et le second, la gestion des affaires communautaires.

 

Les morts : dans toutes les communautés juives au monde, les morts ont droit à un repos éternel. En France, cela n’est pas le cas : si l’on prend une concession pour un temps limité, les restes funéraires seront évidemment retirés de la tombe le jour voulu, et jetés on ne sait où (catacombes, ossuaire général, où les restes sont déposés parmi les autres, non-juifs et juifs mélangés, sans oublier que ce sont des fonctionnaires des pompes funèbres qui effectuent l’exhumation, laissant sur place un très grand nombre de restes – ou encore incinération) ; mais même dans le cas de concession perpétuelle, quand la tombe se fissure, les autorités décident de reprendre la place (et les corps !) et de jeter les ossements ailleurs (id.). Sans oublier les nécessiteux, enterrés pour cinq ans puis incinérés.

Tout cela se passe dans le silence : en aucun cas le public n’est informé du problème immense que pose le fait d’enterrer des morts à Paris ! Cette conduite est encore plus condamnable que les faits eux-mêmes, et choque les Juifs du monde entier.

 

Les vivants : toute communauté juive a l’obligation de se doter d’un Beth Din digne de ce nom, avec trois dayanim à sa tête. Il doit s’agir de hautes personnalités rabbiniques, ayant effectué un cursus d’étude important et ayant reçu l’autorisation de siéger à titre de dayan dans un tribunal rabbinique – de Talmidé ‘Hakhamim ayant travaillé sur leur personne, se conduisant en tous points selon la Halakha, et la considérant comme le seul guide d’une communauté juive qui se respecte.

Or la plus grande communauté juive d’Europe n’a pas de dayanim, et donc pas de Beth Din digne de ce nom. Quand la question de la sauvegarde des cimetières d’Algérie a été récemment posée, c’est vers le dayan Erenthreu de Londres que la communauté juive a dû se tourner – avant que le Gadol de la génération n’intervienne et ne demande au Président de la République de donner ordre que la France continue à assurer la conservation de tous les cimetières juifs d’Algérie.

Ce manque d’institution rabbinique locale, puissante et respectée, est, selon nous, ce qui fait que ce genre de problème puisse arriver. Des rabbanim attachés au respect de la Halakha et ne se laissant pas guider par des intérêts ponctuels et discutables, n’auraient jamais accepté que l’on profane les tombes de nos anciens, comme cela se préparait en Algérie, et comme cela est effectué au quotidien à Paris.

 

Nous aurions attiré l’attention du public sur ces immenses problèmes.

Mais peut-être devrions-nous auparavant vérifier ce qui a été dit à Toulouse lors de la « commémoration » de la mémoire de nos chers frères et sœurs. Peut-être y a-t-on abordé l’une ou l’autre de ces questions, peut-être aura-t-on exhorté le public de réfléchir à ses actes et de revenir vers la bonne voie ?

Si jamais cela été le cas, à nous de nous repentir.

 

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