Comment le sultanat de Oman s’est imposé comme une Suisse du Golfe

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Il accueille le Premier ministre israélien, garde de bonnes relations avec l’Iran, abrite les rebelles houthis du Yémen : la diplomatie de ce pays ensommeillé du Golfe n’a rien de tranquille, mais elle s’impose comme une nécessité.

De tous les pays du Golfe, c’est peut-être le plus discret. Mais dans un monde arabe polarisé à l’extrême, le sultanat de Oman a une diplomatie d’équilibriste extrêmement intrigante : il a toujours tenté de naviguer entre les axes, maintenant de bonnes relations avec les États-Unis, l’Iran ou Israël, jouant un rôle de médiateur et faisant parfois cavalier seul, au risque de se mettre à dos les autres membres du Conseil de coopération du Golfe dont il fait partie. « Oman est un pays véritablement neutre dans tous les conflits de la région, dont le conflit avec Israël », affirme à L’OLJ l’analyste spécialisé dans le Golfe Sigurd Neubauer, qui souligne au passage que le sultanat est « probablement le seul pays arabe où le Premier ministre israélien peut être bien reçu, sans provoquer de critiques de la population en raison de la popularité du sultan Qabous ». Et si la visite surprise de Benjamin Netanyahu vendredi dernier à Mascate, où il a été chaleureusement accueilli par le sultan vieillissant, s’inscrivait dans le cadre des tentatives israéliennes de normalisation avec les pays du Golfe, elle pourrait également avoir d’autres objectifs. Selon le New York Times, la visite de M. Netanyahu pourrait permettre « d’ouvrir un canal de communication avec certains ennemis d’Israël dans la région », notamment l’Iran ou même le régime syrien, avec lequel le sultan Qabous est l’un des rares pays arabes à ne pas avoir coupé les ponts.

Car Oman, et surtout en raison de sa position stratégique, a toujours su maintenir de bonnes relations avec l’Iran voisin, avec qui il partage le contrôle du détroit d’Ormuz, et servir de médiateur, abritant ainsi en 2013 les négociations secrètes entre Téhéran et Washington qui ont abouti à l’accord sur le nucléaire iranien. Les bonnes relations avec l’Iran remontent à bien avant la révolution islamique de 1979 : dans les années 70, ce sont les troupes du chah qui ont aidé le jeune sultan Qabous, qui venait de renverser son père, à mater la rébellion marxiste du Dhofar, dans l’extrême sud du pays. Et le sultanat a par ailleurs été l’un des seuls États arabes à ne pas rompre les liens avec le régime syrien. Le ministre syrien des Affaires étrangères, Walid Moallem, s’était même rendu en mars dernier à Mascate, où il avait remercié le sultanat pour ses positions « en faveur de la Syrie ».

« Confiance d’Israël et des Palestiniens »

En premier lieu, la visite de Netanyahu avait pour but d’évoquer le processus de paix en panne, affirme à L’OLJ Sigurd Neubauer. « Le sultan Qabous tente de sauver le processus de paix », ajoute l’expert basé à Washington, indiquant que Oman jouit à la fois « de la confiance d’Israël et des Palestiniens ». Selon les médias officiels omanais, la visite du Premier ministre israélien a notamment porté sur « les moyens de faire avancer le processus de paix au Proche-Orient ». Le président palestinien Mahmoud Abbas avait devancé M. Netanyahu dans le sultanat de Oman en début de semaine.

Le chef de la diplomatie omanaise Youssef ben Alawi a précisé le lendemain de la visite, lors d’un discours au sommet régional de sécurité à Manama, que son pays n’agissait pas comme « un médiateur » mais qu’il tentait « de rapprocher les deux parties ». M. ben Alawi lui-même s’était rendu en février à Jérusalem, où il avait visité la mosquée al-Aqsa, et c’est probablement à l’occasion de cette visite qu’il a transmis à Benjamin Netanyahu l’invitation à se rendre dans le sultanat, indique M. Neubauer.

Le président Abbas a pour sa part reçu dimanche un envoyé du sultan Qabous, le conseiller Salem al-Omairi, qui lui a remis un message du souverain omanais. L’analyste souligne que l’Arabie saoudite étant empêtrée dans l’affaire Khashoggi, l’Égypte affaiblie, et les Émirats s’étant aliéné les Palestiniens car ils soutiennent l’ennemi juré de M. Abbas, Mahmoud Dahlane, Oman est un des rares pays arabes à qui les Palestiniens peuvent faire confiance alors que leurs relations avec les États-Unis sont au plus bas.

(Lire aussi : Israël et les pays du Golfe ne font même plus semblant de se cacher)

Neutralité

Quant au conflit avec Israël, Oman avait été le seul pays arabe à ne pas rompre avec l’Égypte lorsque le président Anouar Sadate a signé les accords de Camp David en 1978. Le sultanat et Israël ont noué des liens après les accords d’Oslo, en 1993, et l’année suivante, le Premier ministre israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, s’est rendu au sultanat. En 1996, les deux pays ont signé un accord sur l’ouverture de bureaux de représentation commerciale.

Et même si Oman a fermé ces bureaux en octobre 2000 après le début de la seconde intifada palestinienne, il a continué à avoir « des relations discrètes, à bas niveau », avec l’État hébreu jusqu’à l’arrivée au pouvoir de M. Netanyahu dans le cadre du Centre de recherche sur le dessalement du Moyen-Orient et de recherche sur l’eau (MEDRC). Cette organisation internationale, dont le siège est situé à Oman, avait été fondée en 1996 suite à une proposition formulée lors de la conférence du volet multilatéral du processus de paix au Moyen-Orient.C’est donc cette politique de neutralité qui a permis à Oman de « faciliter le canal diplomatique entre l’Iran et l’administration Obama, qui a abouti à l’accord sur le nucléaire », souligne l’analyste. Rappelant qu’Israël s’était opposé à cet accord dont l’administration Trump s’est retirée, M. Neubauer estime qu’ « aujourd’hui, tout accord entre l’Iran et les États-Unis doit être accepté par Israël », et c’est peut-être cela qui a été évoqué au cours de la visite de M. Netanyahu à Mascate.

(Lire aussi : Visite officielle de Netanyahu à Oman, une première depuis des années)

Frères ennemis du Golfe

Mais la neutralité de Oman n’est pas toujours bien vue par ses voisins arabes du Golfe : même s’il est membre du CCG, Oman a souvent fait cavalier seul et s’est notamment opposé en 2013 à un projet d’union des pays du Golfe en particulier.

Et le sultanat n’a pas suivi l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn lorsqu’ils ont imposé un blocus au Qatar en juin 2017, lui reprochant son appui aux mouvements islamistes et ses relations avec l’Iran, et a gardé de bonnes relations avec Doha.

Il a adopté une position encore plus ferme à l’égard de ses voisins dans la guerre conduite par l’Arabie saoudite et les Émirats au Yémen, refusant de faire partie de la coalition arabe formée en mars 2015 pour combattre les rebelles houthis affiliés à l’Iran. Et surtout, le sultanat maintient d’excellentes relations avec ces rebelles d’Ansarullah, dont Mascate est désormais la base arrière. Ils y tiennent notamment leurs réunions avec les émissaires de l’ONU et les diplomates étrangers souhaitant les rencontrer, et c’est à Mascate qu’arrivent les otages occidentaux lorsqu’ils sont libérés au Yémen.

Selon un expert dans les affaires de sécurité basé dans le Golfe, qui a requis l’anonymat, c’est même à travers le sultanat de Oman, qui partage une longue frontière poreuse avec le Yémen, que passent les armes iraniennes acheminées aux rebelles houthis soumis à un blocus aérien et naval par la coalition. À la question de savoir pourquoi Riyad et Abou Dhabi ferment les yeux sur les agissements de Oman, alors qu’ils dénoncent haut et fort le Qatar, cet expert répond : « Oman agit discrètement, il n’a pas de chaîne al-Jazeera qui dénonce quotidiennement ses voisins. »

Source www.lorientlejour.com

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