Les surprenants propos d’Ignazio Cassis sur l’UNWRA

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Par Frédéric Burnand, Genève

Photo : Ignazio Cassis survolant la Jordanie pour visiter le site archéologique de Petra le 14 mars dernier.

 

(En déclarant à son retour de Jordanie que l’agence onusienne d’aide aux réfugiés palestiniens constitue un obstacle à la paix, le ministre suisse des Affaires étrangères fait-il preuve de maladresse ou lance-t-il un ballon d’essai pour réorienter la diplomatie suisse au Proche-Orient? Réponses d’experts.

C’est dans une interviewLien externe parue jeudi dans plusieurs titres de la presse alémanique qu’Ignazio Cassis s’est exprimé à son retour d’une visite en Jordanie au début de la semaine.

Le ministre suisse des Affaires étrangères déclare tout d’abord à propos de l’impasse du processus de paix israélo-palestinien: «Tant que les Arabes ne sont pas prêts à accorder à Israël le droit d’exister, Israël se sent menacé dans son existence et se défendra.»

Interpellé par swissinfo.ch, le ministère suisse des Affaires Etrangères (DFAE) déclare :«Le DFAE n’a rien à ajouter aux propos de M. le conseiller fédéral I. Cassis dans l’Aargauer Zeitung.

Le 21 décembre 2016, le Conseil fédéral a décidé de poursuivre le financement au budget du programme de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) pour les années 2017 à 2020.  Ce financement n’est pas remis en question. Le DFAE est en contact régulier avec l’UNRWA, à différents niveaux. M. Cassis s’est notamment entretenu, le 14 mai lors de son voyage en Jordanie, avec Pierre Krähenbühl, commissaire général de l’UNRWA. Les discussions sont franches et constructives et permettent d’aborder divers thèmes d’intérêt commun. Le DFAE ne donne pas davantage de détails quant au contenu des entretiens.»

Ancien diplomate suisse au Proche-Orient, Yves Besson n’en revient pas: «Comment peut-il dire une chose pareille? Tant la Jordanie que l’Egypte ont signé un accord de paix avec Israël. Et les pays arabes avaient soutenu un plan de paix proposé par l’Arabie saoudite il y a une quinzaine d’années. Et ça n’est là que quelques exemples qui contredisent les propos de notre ministre. Ignazio Cassis doit être mal renseigné.»

Dans la même interview, Ignazio Cassis aborde la question des réfugiés palestiniens: «Les réfugiés rêvent de retourner en Palestine. Entre-temps, il n’y a plus 700’000 réfugiés palestiniens dans le monde [comme en 1948], mais 5 millions. Il n’est pas réaliste que ce rêve devienne réalité pour tout le monde. Cependant, l’UNRWA maintient cet espoir. Pour moi, la question se pose: l’UNRWA fait-elle partie de la solution ou du problème?»

 

Maladresse ou propos délibérés?

 

Relancé par le journaliste, Ignazio Cassis finit par répondre à sa question: «Tant que les Palestiniens vivent dans des camps de réfugiés, ils veulent retourner dans leur patrie. En soutenant l’UNRWA, nous maintenons le conflit en vie. C’est une logique perverse, parce qu’en fait, tout le monde veut mettre fin au conflit.»

Et Yves Besson de rappeler que lors des négociations de paix initiées à Oslo, les Palestiniens n’exigeaient pas le retour effectif de millions de Palestiniens, mais une reconnaissance par Israël de sa responsabilité face aux 700’000 palestiniens qui se sont réfugiés en 1948. «Ignazio Cassis fait bien peu de cas de ces personnes qui aimeraient pouvoir se prévaloir d’une origine, de ce droit au retour, même s’ils ne vont pas le réaliser concrètement», ajoute Yves Besson.

 

Spécialiste du Proche-Orient au Graduate Institute à Genève, Riccardo Bocco abonde dans le même sens: «Il ne faut pas confondre l’origine du conflit israélo-arabe en 1948 et la solution trouvée pour venir en aide aux réfugiés palestiniens. Et la situation des réfugiés palestiniens diffère beaucoup selon le pays dans lequel ils se trouvent. Qui conseille Ignazio Cassis?»

 

Une réorientation?

Par ces propos, le ministre des Affaires étrangères cherche-t-il à réorienter la diplomatie suisse, en se rapprochant des vues israéliennes et Etats-Uniennes?

 

Il est trop tôt pour le dire. Mais Riccardo Bocco craint que ces propos maladroits du chef de la diplomatie suisse minent la confiance construite par ses prédécesseurs auprès de toutes les parties au conflit et le rôle de médiateur que la Suisse entend jouer.

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