Comment les thèses de Robert Faurisson continuent d’alimenter la fachosphère

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Alors que l’opinion publique salue la mort d’une figure du négationniste, sur internet, les sites complotistes, antisionistes et antisémites rendent hommage à leur martyr.

Robert Faurisson a-t-il popularisé le négationnisme ? Quelle était, cinquante ans après ses premières déclarations publiques, son audience ? Il faudrait pour répondre, s’accorder sur ce dont il est question. Cet universitaire qui rêvait de grandeur a renouvelé le négationnisme de la vieille extrême-droite française pétainiste ; a su agréger les tendances des années 1970 et 1980 ; a incarné, enfin, un renouveau du négationnisme, complotiste et « antisioniste », relayé massivement sur internet. Pour tous ces groupes différents mais pas toujours distincts, il est « le professeur Faurisson », une référence intellectuelle et scientifique dans un monde clos à la recherche de repères pouvant paraître crédibles et, relativement, présentables.

Bien que l’auteur d’une tribune dans Le Monde en 1978, et l’invité de l’antenne d’Europe 1 en 1980, très vite, Robert Faurisson cesse de faire illusion auprès du grand public et des médias et perd à deux reprises des procès qu’il a attenté pour diffamation : l’un contre Robert Badinter, ancien Garde des sceaux, l’autre contre Ariane Chemin, journaliste au Monde. Ce négationniste est officiellement « un menteur professionnel », « un falsificateur », et « un faussaire de l’histoire ». C’est sur Internet que ses thèses ont eu le plus grand écho.

Il est mort ce dimanche 21 octobre. Depuis, les médias se sont fait l’écho de son parcours. L’historienne Valérie Igounet, auteure d’une biographie de l’individu (Robert Faurisson, portrait d’un négationniste, Denoël, 2012), nous confiait être surprise du nombre de sollicitations qui lui ont été présentées. Simultanément, un autre ensemble de réseaux et de médias rend hommage au « professeur Faurisson« , portant un discours radicalement différent mais construit.

Alors qu’il était mis au ban de la communauté scientifique et de la scène publique, l’homme s’est réfugié dans le monde parallèle du web (où les lectures se comptent en millions d’après les chiffres de similarweb). Vidéos et articles y reprennent ses « travaux » et « recherches »face aux impostures des « soi-disant historiens », et des condamnations en justice présentées comme le musèlement d’un homme qui tente de clamer la vérité.

Leur « professeur Faurisson »

Entre lui et la fachosphère, l’acmé a lieu en 2008. Le 26 décembre de cette année, Robert Faurisson fait une entrée fracassante sur le devant de la scène en se disant « antisioniste ». Dieudonné le reçoit lors de son spectacle au Zénith sous un tonnerre d’applaudissements, pour lui remettre le prix de « l’infréquentabilité et de l’insolence ».  En présentant le négationniste d’alors 79 ans, l’humoriste dit vouloir simplement réaliser « un coup d’enfer », il « ne le [connaissait] pas il y a quelques années », mais il est certain que Robert Faurisson est « une personne qui va les [le terme est, dans sa bouche, volontairement ouvert à interprétation. ndlr.] faire grimper au rideau ».

Ce n’est pourtant pas une rencontre hasardeuse qui amène ce négationniste du siècle dernier au cœur d’une nébuleuse antisioniste et complotiste moderne. Valérie Igounet nous explique qu’à la même période, « on parle déjà de lui sur Égalité et Réconciliation [le site d’Alain Soral. ndlr.], il est au cœur de cette nouvelle vague. Il fait de nombreuses interviews, notamment sur méta tv. Il est alors complètement conscient de ce qu’il fait ». Alain Soral, dans sa vidéo d’hommage, affirme avoir « peut-être fait beaucoup pour que Dieudonné rencontre Faurisson ».

Derrière la « liberté d’expression »

C’est progressivement que se mettent en place les conditions propices à l’arrivée d’un personnage tel que Robert Faurisson dans cet univers fermé. Rudy Reichstadt, fondateur de Conspiracy Watch (l’Observatoire du conspirationnisme et des théories du complot) est revenu pour nous sur ces différentes étapes. On trouve d’abord Thierry Meyssan, fondateur du réseau Voltaire pour la liberté d’expression. En 2001-2002, il adhère aux théories du complot concernant les attentats du 11 septembre. « À partir de 2003, des liens apparaissent avec l’Iran et le Hezbollah », et, en 2005, le conseil d’administration du réseau est brièvement remanié pour y faire entrer Claude Karnoouh, un ancien historien négationniste ayant soutenu Robert Faurisson dans les années 1980.

Dans un second temps, on voit apparaître, autour de Thierry Meyssan Dieudonné et Alain Soral. Tous deux participent, en 2005, à la grande réunion internationale « Axis for Peace », que l’historien Jean-Yves Camus décrit alors comme « la coalition des antisionismes antagonistes ». Elle se déroulait à Bruxelles. En 2007, Dieudonné se lance dans la campagne présidentielle, mais n’obtient pas les parrainages nécessaires. À ses côtés, on trouve, notamment, Ginette Hess-Skandrani, exclue des Verts pour ses propos pro-négationnistes, ou Maria Poumier, qui sera présente, en 2012, à Téhéran au côté de l’humoriste et de Robert Faurisson, et qui est aussi auteure d’un article-hommage sur son site. Rudy Reichstadt résume : « à mon sens, dès 2006-2007, la connexion avec la mouvance négationniste est déjà en place ».

Une nouvelle jeunesse 

Ainsi, à partir de 2008, Robert Faurisson fait son entrée dans un milieu déjà sensibilisé à ses idées et retrouve, avec elles, une nouvelle jeunesse. Sa « phrase de 60 mots », prononcée pour la première fois sur Europe 1 en 1980, trouve tout son sens dans ces milieux sensibilisés à la cause Palestinienne et au rejet d’Israël :

« Les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des Juifs forment un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l’état d’Israël et le sionisme international et dont les principales victimes sont le peuple allemand – mais non pas ses dirigeants – et le peuple palestinien tout entier. »

En 2011, Paul-Éric Blanrue, professeur dans les établissements privés, « antisioniste » alors proche de ces milieux, réalise Un Homme, un film apologétique sur Robert Faurisson où celui-ci tient son propre rôle. Il y est présenté en chef de file de « l’école révisionniste », terme biaisé destiné à faire paraître pour scientifique une démarche qui relève de la malhonnêteté politique : en réalité le négationnisme. Dans son émission en ligne, La vérité pour tous, Dieudonné invite les deux hommes pour parler du film dans une parodie d’émission culturelle. L’humour douteux mis en avant pour justifier cette émission s’incarne dans le personnage joué par Robert Faurisson : Simon Krokfield qui, kippa sur la tête, s’en prend de façon volontairement grotesque à Paul-Éric Blanrue.

La Vérité pour tous…

Invité une première fois à la conférence mondiale sur l’Holocauste organisée par le régime iranien en 2006 – une réunion à laquelle les principaux négationnistes du monde sont présents – Robert Faurisson retourne à Téhéran en 2012 et se fait remettre en main propre, par Mahmoud Ahmadinejad, un prix. La même année, il joue son propre rôle, ainsi qu’Alain Soral, dans le film ouvertement négationniste de Dieudonné, L’antisémite, financé par une société de production de cinéma iranienne. Alain Soral – qui d’après Conspiracywatch n’en est pas à son coup d’essai – affirme clairement être négationniste dans une vidéo datant de 2012. « Soral reprend l’argumentaire faurissonien, c’est très clair pour qui est familier de la doctrine négationniste », nous explique Rudy Reichstadt. Le site PHDN mène alors à bien la déconstruction méthodique et intégrale de ce discours.

Valérie Igounet et Rudy Reichstadt s’accordent pour dire que Robert Faurisson, s’il a pu donner un temps l’illusion d’une démarche apolitique intellectuellement critique, vient bel et bien d’un milieu d’extrême droite aux origines pétainistes. Il apparaît lors de conférences communes aux côtés d’Ernst Zündel, négationniste allemand se réclamant du national-socialisme et d’Adolf Hitler. Mickael Prazan et Valérie Igounet ont réalisé, sur ce sujet, le documentaire Les faussaires de l’histoire. Quoiqu’il en soit, auprès de ce nouveau public présent sur internet, le « professeur Faurisson », retrouve « la vedette », qu’il a cherché à avoir toute sa carrière, nous explique Valérie Igounet. Comme dans les années 1970, son « habileté médiatique », et l’utilisation de son aura universitaire lui assurent un statut prestigieux auprès de son nouveau public.

Négationnisme et nazisme affirmé

Dans ce contexte, l’extrême droite politique française a pris ses distances à son égard. Jean-Marie Le Pen est l’un des rares à lui avoir rendu hommage lors de son décès avec un sobre communiqué posté sur Twitter.

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Le « député français au parlement européen », ne s’exprime pas au nom du parti qu’il a co-fondé mais en son nom. Robert Faurisson mort, il devient martyr de la cause et victime d’un système qui l’a persécuté. Derrière ce discours, il y a une cible, ces « lois dites mémorielles »Il s’agit de la loi Gayssot, du nom d’un député communiste, votée le 13 juillet 1990, interdisant la négation des Crimes contre l’humanité.

Une autre extrême-droite, au côté de laquelle le Rassemblement national (RN) ne s’affiche plus (on se souvient du reportage de Quotidien lors du banquet de l’hebdomadaire Rivarol de 2016 à laquelle Robert Faurisson était l’invité d’honneur), continue d’afficher ses convictions négationnistes et antisémites. Le dernier éditorial de Rivarol fait état de « l’adversité violente, constante, brutale », à laquelle Robert Faurisson était exposé. Ici, l’éloge est complet : « il subjuguait son auditoire par sa capacité à s’exprimer sans notes, par sa brillance, par le caractère imparable de ses démonstrations, par la pertinence de ses observations, par son formidable humour ».

Un « formidable humour »… 

Victimisation et mise en avant de ses grandes qualités intellectuelles se retrouvent dans tous les hommages qui sont rendus à Robert Faurisson, notamment sur les plateformes de la « complotsphère », sur lesquelles il était présent depuis 10 ans. Le principal site, en termes d’influence et de nombre de consultations, de cet univers, est Égalité et Réconciliation. Afin d’éviter les procès, Rudy Reichfeld nous explique qu’Alain Soral, son créateur en 2007, se contente d’un message principal : « les juifs nous empêchent de parler ». Il « se sert du discours négationniste en le mettant au service d’un projet politique plus vaste au coeur duquel on trouva la dénonciation du ‘pouvoir juif’. Soral et ses partisans ont besoin de présenter Faurisson comme un martyr, un homme injustement persécuté pour ses idées. »

Dans différents articles sur le site, on énumère ce que dut, selon eux, subir Robert Faurisson : « le droit d’enseigner lui a été retiré […] dans l’espoir de le faire taire ». Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale en 1990, se voit décrit comme « député socialiste, richissime, d’origine juive« . Le 23 octobre, un croquis de Robert Faurisson était publié sur le site sous le pseudonyme de Bruce LeGoy (ce nom est un jeu de mot dont nous laisserons le lecteur juger de sa qualité : « goy » est le terme par lequel les juifs, parfois, désignent les non-juifs).

MetaTV, un autre site complotiste publiant des contenus négationnistes a aussi publié un hommage au « professeur ». L’auteur y revient sur la dernière conférence que Robert Faurisson avait présentée la veille de son décès dans sa ville de naissance, Shepperton, en Grande-Bretagne. L’évènement avait été interrompu par une association militante dite « antifasciste »Hope not Hate, qui a protesté contre la tenue de cette conférence. En Angleterre, il est légal de tenir des propos « révisionnistes ».

Sur ces différents sites, toutes les personnalités de ces sphères « antisionistes », complotistes ou simplement d’extrême-droite, rendent hommage à Robert Faurisson en réutilisant le même discours. C’est le cas de Giuseppe « Joe » Fallisi sur Meta TV, qui était présent à Shepperton le week-end du 20 octobre, de Gilad Atzmon, un citoyen britannique anciennement israélien, négationniste accusé d’antisémitisme et de racisme, qui avait réalisé une interview de Robert Faurisson pour le site, complotiste, KontreKulture. Mardi 23 octobre, le directeur de publication de Rivarol, Jérôme Bourbon, publiait, sur le site de Meta TV, son hommage à Robert Faurisson, y dressant le portrait d’un « homme intrépide et indomptable au milieu des lâches« .

Shepperton, ville natale

Dieudonné, bien sûr, a tenu à rendre hommage à son « ami », qui, « dans un monde normal », aurait sa « place au Panthéon » (une plainte a été déposée contre Dieudonné par l’Union des Étudiants Juifs de France).

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Alain Soral, vendredi 26 octobre, a publié une vidéo de 20 minutes, allongé en pyjama blanc rayé sur un canapé orange, regardant le plafond, à la manière d’une consultation chez un psychiatre. Il tient à y expliquer « cette sensibilité qui amène à se poser des questions et à se tourner vers les travaux du professeur », et son « combat indiscutable, on va le dire comme ça puisqu’on a pas le droit de le discuter ». Il explique comment, arrivant à Paris, il a « découvert d’autres juifs que les juifs que le cinéma américain nous montrait », et « des gens qui étudiaient l’histoire de façon dépassionnée, beaucoup moins idéologique« .

L’héritier « adoubé »

Des figures aussi célèbres qu’Alain Soral ou Dieudonné, si elles sont déjà identifiées pour certaines de leurs prises de position, ne souhaitent pas s’enfermer dans la cause négationniste. Elles lui donnent un écho non négligeable en prenant soin de ne pas en être les porte-paroles. Celui que Robert Faurisson a « adoubé » comme son héritier, nous explique Rudy Reichstadt, c’est Vincent Reynouard. L’homme a déjà purgé plusieurs peines de prison ferme en France. Il vit désormais en exil en Angleterre. Il a pris la parole lors de la dernière conférence de son « maître »ce week-end du 20 octobre.

Tous les sites susmentionnés se font l’écho de l’hommage qu’il rend au « professeur Faurisson » et de la vidéo qu’il a commentée et mise en ligne de l’interruption de la conférence. Il ne jouit toutefois pas du même « vernis de respectabilité ». Professeur de mathématiques, catholique intégriste et national-socialiste revendiqué, des sites tels Démocratie participative, ouvertement complotistes et antisémites ( il y est question de « juifs tétanisés » et d’« inquisition hébraïque« ), le relaie. Au banquet annuel de Rivarol en 2011 dont il était l’invité d’honneur, il déclare, dans ce que l’assistance accueille comme un trait d’humour :

« Vous me traitez de néo-nazi. Moi je dis : pourquoi néo? »

Héritier, il se veut aussi le gardien de la mémoire de Robert Faurisson : « son décès ne nous laisse pas orphelin car le chef de file des révisionniste fait partie de ces hommes qui vivent avant tout par son travail. Or, son travail nous reste. Si donc physiquement Robert Faurisson n’est plus là, son esprit lui, demeure et il demeurera avec son oeuvre », il poursuit, parlant du temps où son travail sera « reconnu » : « ce jour-là, votre quenelle d’or deviendra une distinction officielle« . Cette quenelle fut remise en juin 2018 par Dieudonné, et transmise par Alain Soral. Ce dernier, se réclamant ce vendredi 26 octobre de Vincent Reynouard, affirme qu’un « renouveau nationaliste et de fierté d’un peuple national« , ne pourra se faire « tant que le révisionnisme historique est interdit […]. Tout le reste est du mensonge et du bricolage ».

16%

Pour Rudy Reichstadt, Vincent Reynouard désormais est « le gardien du ‘temple faurissonien’. Il fait du négationnisme une véritable croisade personnelle. » Inquiet, le fondateur de Conspiracywatch nous rappelle quelques chiffres. D’après un rapport commun avec l’institut Jean Jaurès, 2% de la population considère, « à propos du génocide des juifs pendant la seconde guerre mondiale », que « c’est une exagération, il y a eu des morts mais beaucoup moins qu’on le dit ».  Un autre rapport commandé par la Fondation pour l’innovation politique et réalisé par l’Ifop en 2014, avance le chiffre de 16% pour quantifier la part de la population française croyant en l’existence d’un complot sioniste mondial.  

Selon Rudy Reichstadt, « le négationnisme est heureusement un discours extrêmement marginal dans la société et on sait que la transmission de l’histoire de la Shoah fait échec au développement de ce type de thèses. Là où l’extermination des Juifs est enseignée, le négationnisme est contenu. Mais nous entrons dans un monde où les derniers survivants sont en train de disparaître et à mesure que cet événement va s’éloigner de nous dans le temps, la place qu’il occupe dans notre conscience collective va aller en diminuant, ce qui risque de profiter au négationnisme. C’est la raison pour laquelle il est probable que cette idée a de l’avenir. Personne ne nie par exemple la réalité de la bataille de Valmy. Mais vous trouverez toujours des antisémites pour nier la réalité de la Shoah. »

Source www.lesinrocks.com

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