Une militante présentée comme chercheuse défend Corbyn dans «20 Minutes»

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Partisane du boycott d’Israël, engagée en politique sur une ligne proche de celle du Labour britannique, tel est le profil d’une « chercheuse » supposée offrir aux lecteurs de 20 Minutes un éclairage académique au sujet des accusation d’antisémitisme portées contre Jeremy Corbyn.

 

Candidat de l’opposition travailliste aux élections générales du 12 décembre, Jeremy Corbyn fait face à de graves accusations d’antisémitisme. Fait exceptionnel, le Grand-rabbin du Royaume-Uni a jugé nécessaire de sortir de son devoir de réserve pour alerter ses compatriotes sur ce qu’il perçoit comme un grand danger si le parti travailliste gagnait les élections. Dans le Times, il accuse explicitement Jeremy Corbyn d’avoir transformé son parti : « Un nouveau poison – approuvé officiellement tout au sommet – a pris racine dans le parti travailliste ».

Interviewé sur la BBC au sujet de cette mise en cause par le grand-rabbin, le chef du Labour a refusé à quatre reprises de s’excuser pour l’antisémitisme qui s’est répandu au sein de son parti.

Cet épisode a été rapporté par le journal 20 Minutes.

Un problème marginal et maîtrisé par le chef du parti ?

Pour analyser la situation, l’auteure de l’article Lucie Bras fait appel à une certaine Nada Afiouni. Celle-ci rassure :

Depuis 2018, Corbyn a reconnu le problème d’antisémitisme de son parti, mais « il a réagi en mettant en place un vrai code de conduite », explique Nada Afiouni, maîtresse de conférences au Groupe de recherche identités et cultures (GRIC) à l’université du Havre-Normandie.

Le ton général de l’article est qu’il y a bien un problème d’antisémitisme dans le parti, mais que Jeremy Corbyn l’a reconnu et prend les mesures nécessaires pour s’y opposer. Ce qui va à l’encontre des accusations du Grand-rabbin (et de nombre de responsables de la communauté juive britannique) et fait implicitement de Corbyn un candidat acceptable au poste de Premier ministre.

Les propos de Nada Afiouni appuient ce point de vue. Pour elle, « La gauche britannique n’a pas de problème d’antisémitisme, mais de tout temps, il y a eu une frange très radicale, qui, dans ses critiques envers Israël, a pu être condamnable ». Un phénomène marginal, donc.

Une chercheuse engagée

Nada Afiouni est présentée dans l’article de 20 Minutes comme « maîtresse de conférences au Groupe de recherche identités et cultures (GRIC) à l’université du Havre-Normandie ». Elle est aussi qualifiée de « chercheuse ». Une universitaire, donc, une scientifique, à qui les lecteurs profanes doivent pouvoir faire confiance pour les éclairer avec le recul nécessaire à la compréhension des enjeux.

Sauf que Nada Afiouni n’est pas seulement une chercheuse impartiale; c’est aussi une militante politique très impliquée. Lors des élections législatives de 2012, elle a été candidate du Parti socialiste – un parti membre de l’Internationale socialiste, aux côtés du Labour, qui est historiquement son homologue.

Elle est aujourd’hui conseillère municipale à Montvilliers, dans l’agglomération du Havre, sur une liste de gauche « Agir Ensemble pour Montivilliers », qui comprend des membres de plusieurs partis (PS, EELV…) et où elle représente semble-t-il, le parti Génération.s, fondé par Benoît Hamon.

Et elle soutient un candidat communiste à la mairie du Havre.

Un candidat d’ailleurs très impliqué dans la cause palestinienne, qui accuse Israël de mener une politique terroriste, conformément à la position antisioniste du Parti communiste français qui rejoint parfaitement celle de Jeremy Corbyn…

20 Minutes confie donc – sans donner cette précision essentielle à ses lecteurs – une analyse politique à une membre du même camp politique que l’objet de l’analyse. On imagine mal Nada Afiouni être très critique à l’égard du leader de la gauche britannique alors qu’elle est elle-même engagée dans un mouvement aux orientations similaires.

Ces petits détails ne font déjà pas d’elle la personne la plus impartiale pour parler de politique.

Hostilité envers Israël

Mais ce n’est pas tout. Une part importante des reproches faits à Jeremy Corbyn vient de son hostilité affichée à l’encontre d’Israël. Ce ne sont pas juste des membres isolés de son parti, mais Corbyn lui-même qui a cultivé des liens étroits avec ceux qu’il a qualifié comme ses « amis » du Hamas et du Hezbollah, deux groupes voués à la destruction de l’Etat juif et classés terroristes par de nombreux pays, dont la Grande-Bretagne.

La liste de ses actions problématiques est longue : présence à une cérémonie en l’honneur des terroristes de Septembre noir qui ont planifié le massacre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich en 1972, accusations complotistes contre Israël qui aurait le contrôle sur les discours des parlementaires britanniques…

Depuis l’avènement de Jeremy Corbyn à la tête du parti, la cause palestinienne a pris une telle place au sein du Labour que des rassemblements du parti affichent désormais, étonnamment, d’autres couleurs que celles de l’Union Jack :

Nada Afiouni est-elle la bonne personne pour aborder ces problématiques ?

La voici en 2018 animant un « Meeting de soutien au peuple palestinien » organisé au Havre par Amnesty International, un rassemblement consacré à la lutte contre Israël…

… avec comme revendication l’appel au boycott d’Israël (pourtant interdit par la législation française).
Et il ne doit pas s’agir pas là d’un engagement anecdotique. La page Facebook de Nada Afiouni révèle un intérêt tout particulier pour la Palestine, qui revient régulièrement sur son mur.

Cela commence avec des filtres palestiniens sur les photos de profil.

Dans une vidéo diffusée en réaction à l’organisation de la finale de l’Eurovision en Israël, Tel Aviv est considérée comme une ville construite sur « Jaffa occupée » : ce qui revient à considérer tout Israël comme un occupant illégitime et à nier le droit à l’existence de ce pays.

Elle promeut le « narratif palestinien »…

… et partage, logiquement, des appels à criminaliser Israël.

On le voit, la chercheuse du Havre milite ouvertement pour la même cause que le politicien anglais dont elle est censée analyser le discours.

Et rien ne suggère une expertise, ni même une préoccupation affichée de sa part par rapport à l’antisémitisme, alors que ce ne sont pas les experts qui manquent dans ce domaine…

D’après sa charte, « 20 Minutes s’oblige à l’impartialité et en conséquence à un traitement non partisan de l’information ».

Avoir choisi une militante, engagée aux niveaux politique et associatif et affichant un parti pris semblable à celui du politicien dont elle analyse le discours, sans le préciser et en la présentant comme une simple universitaire, est-il conforme à ces principes déontologiques ?

L’auteure devient fact-checkeuse

Le jour même de la publication de l’article de Lucie Bras sur le Labour, on apprenait que 20 Minutes lançait un programme de fact-checking à l’intention des 15-24 ans, « OMF Oh My Fake », sur Snapchat.

OMF se propose, non « pas de répondre à la question « C’est vrai ou c’est faux ? » mais à « Pourquoi on y a cru ? », en analysant les mécanismes qui rendent les « fake news » séduisantes au point que même des esprits aguerris peuvent y succomber ».

A la barre pour animer ce programme : Clémence, jeune enseignante en histoire et passionnée d’éducation aux médias et… Lucie Bras, journaliste à 20 Minutes.

Pouvons-nous suggérer à OMF et sa journaliste de se pencher sur le mécanisme qui consiste à influencer l’opinion publique en faisant passer dans les médias des militants pour des experts ?

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