Vaccins anti Covid-19 : Pfizer et Israël violent-il vraiment le code de Nuremberg ?

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Le code de Nuremberg est souvent l’objet d’une utilisation détournée et trompeuse pour alimenter la méfiance vis-à-vis de la vaccination.

Le procès de Nuremberg, dont est issu le code du même nom sur la recherche médicale. (Illustration) AFP

Par Ronan Tésorière – Le Parisien

Vaccin Pfizer, Israël, Cour pénale Internationale de La Haye et code de Nuremberg. C’est le cocktail explosif qui a animé les internautes adeptes du complotisme sur les réseaux sociaux ce week-end. Cette « information » a été résumée par le désormais habitué du genre site de France Soir en « La cour pénale internationale a accepté la plainte pour violation du code de Nuremberg par le gouvernement israélien ». Une formule accrocheuse à l’heure des anti-vaccins et du point Godwin mais complètement fausse. Décryptage d’une fake news.

L’origine

Vendredi 5 mars, un article du site israel-news lance les hostilités en quelque sorte. Il est intitulé « Une plainte a été déposée devant le Tribunal de La Haye pour arrêter la vaccination en Israël ». Dans cet article, on explique que l’organisation « People of Truth » a déposé une plainte auprès du Tribunal de La Haye contre le gouvernement israélien, qui mène des expériences illégales sur des citoyens israéliens, par l’intermédiaire de Pfizer. Les deux avocats derrière cette plainte, Ruth Makhachovsky et Arie Suchowolski, affirment que la politique de vaccination de masse opérée par le gouvernement israélien « viole le principe du consentement éclairé d’une personne pour recevoir un traitement médical ». Plus encore, ils estiment que « l’État d’Israël, le gouvernement israélien avec ses ministres et les membres de la Knesset, les maires et d’autres hauts fonctionnaires, violent le code de Nuremberg de manière flagrante ».

La nouvelle a rapidement fait le tour du monde. Elle est également partagée par des figures scientifiques contestées comme Alexandra Henrion-Caude, chercheuse, fondatrice de l’Institut de Recherche SimplissimA qui a ainsi tweeté le 13 mars dernier. « SCOOP ! Le tribunal de La Haye a accepté la plainte déposée par deux avocats israéliens, pour violation du CODE DE NUREMBERG par le gouvernement israélien. L’expérience que Pfizer mène dans l’Etat d’Israël a été menée en violation du Code de Nuremberg. »

SCOOP!
Le tribunal de La Haye a accepté la plainte déposée par deux avocats israéliens, pour violation du CODE DE NUREMBERG par le gouvernement israélien.
 » L’expérience que Pfizer mène dans l’Etat d’Israël a été menée en violation du Code de Nuremberg »https://t.co/AZbyd0QhK5

Le même jour, le site de France Soir affirme que « d’après un article de Database Italia, la plainte déposée la semaine dernière devant le tribunal de La Haye accusant le gouvernement israélien de violer le code de Nuremberg a été confirmée. Une décision est maintenant attendue. »

La réalité est toute autre. En guise de source, ces médias et autres comptes Twitter diffusent une lettre de la Cour pénale internationale adressée aux deux avocats qui serait la preuve de l’acceptation de la plainte. Toutefois ce document n’est rien de plus qu’un simple accusé de réception du tribunal. Il est bien précisé que « ce courrier ne signifie en rien qu’une enquête sera ouverte par le bureau du procureur de la CPI».

Le code de Nuremberg

Mais qu’est-ce donc que ce fameux code de Nuremberg ? En effet, le point le plus sulfureux de cette fake news porte sur la référence à ce code dans le cadre de la vaccination en Israël. « Le code de Nuremberg n’a rien à voir avec cela » s’insurge Emmanuel Hirsch, sommité française sur les questions d’éthique médicale. « Il ne traite que sur les expérimentations sans règles éthiques, inhumaines et dégradantes. C’est le fondement du code » ajoute le professeur d’éthique médicale à l’université Paris-Saclay.

Pour mémoire, le code de Nuremberg a été rédigé en 1947 lors du procès de Nuremberg, en Allemagne. Au banc des accusés, les médecins, dont le tristement célèbre Josef Mengele jugé par contumace, qui ont mené des expériences médicales sur plus de 7 000 prisonniers des camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous sacrifiés sur l’autel de la science. Ils avaient ainsi testé des moyens d’améliorer les chances de survie des soldats nazis sur le terrain sur les déportés principalement juifs. Ils ont également mené des expériences pour soutenir leur vision idéologique de la supériorité raciale des Aryens. Toutes ces expériences ont été réalisées sans le consentement de leurs sujets.

Les dix recommandations du code – dont recueillir le « consentement volontaire » du patient ou s’assurer que l’expérience évite les « souffrances et atteintes, physiques et mentales, non nécessaires »- ont infusé dans la pratique médicale mais n’ont jamais eu force de loi en France. Par la suite, le code a servi de base à la déclaration d’Helsinki de 1964 qui décline ce que sont les règles de l’éthique de la recherche médicale. En découle notamment dans la législation française la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988 relative aux personnes qui se prêtent aux recherches bio médicales, et la loi Kouchner 4 mars 2002 sur le droit des malades.

« Le cœur du code, c’est la notion du consentement. Pour qu’il y ait consentement il faut qu’il y ait information claire, et loyale : ce qu’on appelle le consentement éclairé. Le code de Nuremberg a une valeur universelle » souligne encore Emmanuel Hirsch, auteur de L’Éthique au cœur des soins, (Vuibert, 2006).

« Je ne vois pas le rapport direct avec le code de Nuremberg. Il n’y a jamais eu de vaccination à l’insu des personnes en Israël, certains personnels soignants ont même refusé d’être vaccinés sans que cela ne pose de problèmes » rappelle encore notre spécialiste. Mais surtout Emmanuel Hirsch s’étonne du parallèle douteux opéré ici. « C’est indécent de mobiliser la mémoire de la Shoah dans ce contexte. Il y a quelque chose de dérangeant que l’on renvoie à la barbarie de scientifiques, non de médecins, qui avaient bafoué le code d’éthique médicale», estime le médecin. Sans surprise, cette intox fait le miel de comptes proches de l’extrême droite, y ajoutant une dimension antisémite.

Une intox recyclée depuis 30 ans

Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que le code de Nuremberg est utilisé comme « infox ». C’est une tradition de longue date chez les anti-vaccins notamment. Lors d’une apparition à la télévision en 1997, Barbara Loe Fisher, grande militante anti-vaccin américaine déclarait : « Le consentement éclairé est l’étalon-or de la pratique médicale depuis l’adoption des codes de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale. Il ne devrait pas y avoir d’exception pour la vaccination ».

Le site Internet de son organisation, le National Vaccine Information Center, affirmait aussi que le code « a été considéré par les bioéthiciens et les tribunaux américains comme la base du droit au consentement éclairé pour les procédures médicales comportant un risque de blessure ou de mort ». Une affirmation complètement fausse. Le principe du consentement éclairé dans la relation normale médecin-patient, en dehors de l’expérimentation médicale, ne vient pas du code de Nuremberg. Il s’est développé séparément au travers de différentes lois en vigueur dans chaque pays.

En février dernier, le même code de Nuremberg avait également alimenté un post Facebook très partagé qui insinuait qu’injecter un vaccin contre le Covid-19 relèverait d’une « expérience médicale » interdite par le code de Nuremberg et serait pénalement assimilable à un empoisonnement. Là encore un non-sens trompeur.

Cette nouvelle déclinaison du code de Nuremberg n’est donc que le dernier exemple d’un mensonge visant à discréditer la vaccination pour mettre fin à la pandémie du SRAS-CoV-2.

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