Une vague d’antisémitisme balaye l’Ukraine

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Quelques nouvelles de l’Ukraine, parues ici dans un journal américain il y a quelques semaines.

Une vague d’antisémitisme balaye l’Ukraine. Rien qu’au cours des trois dernières semaines, un dirigeant d’extrême droite a publiquement appelé à nettoyer l’Ukraine de zhidi (une insulte équivalente à « kike ») [insultes antisémites équivalentes à « youpin », NdT] ; un mémorial de l’Holocauste à Ternopil a été incendié ; des centaines de personnes ont défilé à Lviv, en l’honneur d’une unité SS, avec des saluts nazis ; le graffiti « Mort aux Zhidi » a été gribouillé dans deux villes ; le tombeau d’un rabbin vénéré a été vandalisé ; un camp rom de Kiev a été attaqué et brûlé par des nationalistes d’extrême droite, et des centaines de personnes se sont défoulées lors d’un concert néonazi paré de croix gammées et ont vomi des saluts nazis.

Ce déferlement de haine a attiré l’attention du Congrès juif mondial, qui a produit une courte vidéo condamnant la montée de l’antisémitisme :

Peu après, le président ukrainien Petro Poroshenko a publié un communiqué de presse affirmant son engagement à combattre l’antisémitisme. À son tour, le président du CJM, Ronald Lauder, a remercié Poroshenko pour sa déclaration, ce qui a fait que Lauder a été « satisfait ».

Mais il est encore trop tôt pour que nous poussions un soupir de soulagement. Malheureusement, l’empressement du CJM à accepter la parole de Poroshenko est prématuré. Au cours des quatre dernières années de la présidence de Poroshenko, l’Ukraine a connu une croissance constante du problèmes liés à l’antisémitisme, y compris la glorification des collaborateurs nazis, le vandalisme des sites juifs et les menaces publiques contre les juifs – et le taux d’incidents antisémites semble être en train d’augmenter.

En effet, le lendemain du jour où Poroshenko a fait sa promesse creuse, promesse qui a été si chaleureusement saluée par Lauder, le ministère ukrainien des Affaires étrangères a catégoriquement nié la croissance de l’antisémitisme en Ukraine. Comment Poroshenko peut-il combattre l’antisémitisme alors que son propre ministère des Affaires étrangères (sur lequel il a théoriquement le contrôle) refuse de reconnaître le problème ?

Après que le CJM a salué l’engagement de Poroshenko à combattre l’antisémitisme et autres formes de haine, un maire ukrainien a été pris en train de cracher un discours au vitriol sur les Juifs cherchant à tuer les gentils ; le consul ukrainien à Hambourg a été suspendu, car accusé de messages antisémites sur Facebook, parmi lesquels il rend les Juifs responsables de la Seconde Guerre mondiale ; la tombe de la fille d’un rabbin vénéré a été dégradée pour la cinquième fois en deux ans ; des voyous d’extrême droite ont pris d’assaut la maison du copropriétaire d’une chaîne de télévision ; le gang néonazi C14 a perpétré un autre pogrom contre les roms, incendiant un campement à Lviv ; et des ultranationalistes affiliés au bataillon néonazi Azov ont interrompu un événement LGBT parrainé par Amnesty International et Human Rights Watch à Kiev, tandis que les autorités refusaient d’agir.

Porochenko est devenu président à la suite du soulèvement sanglant de Maidan de 2013-2014, au cours duquel des Ukrainiens ordinaires sont morts pour le droit de vivre dans une nation occidentale démocratique. Mais au mieux, le gouvernement de Poroshenko a ignoré le problème de l’antisémitisme en son sein ; au pire, il l’a activement encouragé.

La glorification des massacreurs de Juifs

La marche du 28 avril à Lviv, au cours de laquelle un millier de personnes ont honoré la division SS Galichina, division ukrainienne des Waffen-SS d’Hitler, n’était pas un événement isolé planifié par un groupe marginal. La marche était le point culminant d’une célébration d’une semaine de la SS Galichina organisée par le conseil municipal de Lviv. Bizarrement, cela comprenait un concours encourageant les adolescents à présenter des dessins de fans des SS.

Comment une ville européenne en vient-elle à glorifier une unité SS dont les membres ont prêté un serment personnel de loyauté à Hitler ? Avoir une bonne dose de révisionnisme historique est pour cela fort utile. L’année dernière, le directeur de l’Institut ukrainien de la mémoire nationale – un département officiel du gouvernement de Kiev – a déclaré que les combattants de la division SS Galichina étaient en fait des « victimes de guerre ». Ce qui, bien sûr, soulève la question : si les SS étaient des victimes, qu’est-ce que cela fait des Juifs et des autres ethnies qu’ils ont massacrés ?

La division SS Galichina est loin d’être le seul groupe paramilitaire de l’époque de la Seconde Guerre mondiale autorisé par les autorités ukrainiennes modernes. En 2015, le Parlement ukrainien a adopté des lois proclamant l’Organisation des nationalistes ukrainiens, qui a collaboré avec les nazis et a été responsable de la liquidation de milliers de Juifs, et l’Armée insurrectionnelle ukrainienne, qui a procédé au nettoyage ethnique de 70 000 à 100 000 Polonais, ainsi que d’autres ethnies de son propre chef, pour en faire des héros de l’Ukraine.

Grâce aux lois de Kiev, ainsi qu’aux campagnes publiques menées par l’Institut de la mémoire nationale (dont le budget en 2018 est d’environ deux millions de dollars), ces bouchers sont aujourd’hui honorés dans tout le pays.

Il n’est pas surprenant que la glorification des antisémites parrainée par l’État s’accompagne souvent de manifestations antisémites. Le 1er janvier 2017, des milliers de personnes ont défilé à Kiev en l’honneur du leader de l’OUN [Organisation des Nationalistes Ukrainiens, NdT], Stepan Bandera. Des slogans de « Jews Out ! » [les Juifs dehors, NdT] ont résonné dans la foule, mais le lendemain, la police a nié avoir entendu quoi que ce soit d’antisémite. En juin dernier, Lviv a organisé un festival de trois jours en l’honneur du chef de l’UPA [Armée Insurrectionnelle de l’Ukraine, NdT] Roman Shukhevych, et une synagogue a été incendiée pendant les festivités. En novembre, Radio Free Europe a rapporté avoir vu des saluts nazis alors que 20 000 hommes brandissant des flambeaux faisaient une marche en l’honneur de l’UPA.

Monuments commémoratifs de l’Holocauste et sites religieux vandalisés

Les vandales antisémites en Ukraine ne se soucient guère de l’originalité. Le mémorial de l’Holocauste récemment incendié à Ternopil a été saccagé à quatre reprises au cours de l’année écoulée. Mais ça, ce n’est qu’un seul mémorial : d’autres sites de l’Holocauste, centres juifscimetièrestombes et lieux de culte sont régulièrement vandalisés avec des croix gammées, des runes SS et des insultes.

Le vandalisme endémique a atteint un point tel que le ministère israélien des Affaires étrangères a pris la mesure inhabituelle d’exiger publiquement que les autorités ukrainiennes commencent à enquêter sur ces agressions. Un appel similaire a été lancé par le directeur du Comité juif ukrainien dans un éditorial du New York Times, qui soulignait l’apathie du gouvernement concernant la protection des sites religieux et des sites de l’Holocauste.

Les Juifs menacés publiquement

L’incident du 2 mai à Odessa, lorsque Tetiana Soikina, responsable régional de l’organisation ultranationaliste du Secteur droit, a promis de se débarrasser des zhidi, survient au milieu d’une série d’appels similaires à la violence de la part de personnalités publiques. En mars 2017, la députée Nadiya Savchenko, autrefois célébrée par les médias occidentaux sous le nom de « Ukrainian Nelson Mandela », s’est déchaînée dans une tirade antisémite à la télévision en direct. « Pourquoi personne ne parle de ce que les gens disent… le joug juif d’aujourd’hui ? » a demandé un interlocuteur. « Bonne question », a répondu Savchenko. « Oui, notre gouvernement a du sang non ukrainien, pour ainsi dire. Que faut-il faire à ce sujet ? Nous devons penser et agir. »

À peine deux mois plus tard, un général des services de sécurité ukrainiens a affiché des menaces flagrantes promettant d’exterminer les zhidi, ce qui a incité la Ligue anti-diffamation (ADL) à exiger que Poroshenko le renvoie (aucune mesure n’a été prise). Quelques mois plus tard, le chef régional du parti d’extrême droite Svoboda s’est mis en colère après que des juifs locaux ont protesté contre l’érection d’une statue à Symon Petliura, un autre « héros » ukrainien responsable des pogroms de masse. « Habituez-vous à nos règles ou soyez puni », a dit le chef de Svoboda, encourageant ses compatriotes ukrainiens à « remettre les minorités à leur place ».

Malheureusement, les fonctionnaires et les chefs de parti qui ont fait de telles déclarations l’ont fait en toute impunité. Et même si Poroshenko a promis une réaction « immédiate » des forces de l’ordre aux menaces publiques de Soikina, un porte-parole du ministère ukrainien de l’Intérieur a déclaré que l’appel de Soikina à nettoyer le pays des Juifs n’était pas « intrinsèquement discriminatoire ou un appel à la violence ». Très probablement, pour Soikina, comme les autres, il n’y aura aucune conséquence.

La persécution des Roms

Historiquement, quiconque cible les Roms, s’en prend tôt ou tard aux Juifs.

Regarder un court extrait du récent pogrom est à glacer le sang – des voyous masqués poursuivent des femmes et des enfants terrifiés au milieu d’une capitale européenne, alors que la fumée noire du tabor (campement) rom en flammes remplit l’arrière-plan. Les femmes crient à l’aide, qui ne vient pas. En effet, lorsque la police a finalement été contrainte d’ouvrir une enquête, elle a qualifié l’événement de « hooliganisme », ce qui montre l’indifférence choquante avec laquelle les vies des Roms sont considérés.

Mais l’aspect le plus inquiétant ici est qu’il s’agit au moins du quatrième pogrom anti-Roms en Ukraine au cours des deux dernières années.

En septembre 2016, deux douzaines de Roms ont été forcés de fuir un village d’Odessa après que les habitants ont incendié leurs maisons. Le gouverneur d’Odessa a répondu en saluant les actions des villageois, en disant que le village a longtemps été une tanière « d’anti-socialisme » et qu’il partageait pleinement les préoccupations de la foule. La seule chose que la police a fait, c’est de fournir un « couloir sûr » pour que les Roms puissent sortir. En mai 2017, un Rom a été tué lors d’une attaque à Kharkiv ; selon des témoins, les autorités locales ont été impliquées dans la fusillade. Le même mois, un groupe d’hommes a attaqué des familles roms dans une gare de Kiev.

Le récent pogrom de Kiev se distingue cependant par le fait que la responsabilité a été fièrement revendiquée par C14, un gang néo-nazi qui a gagné en influence au cours de l’année écoulée. Les actions de C14 ont amené Amnesty International à publier une déclaration urgente avertissant que les radicaux « se sentent intouchables… les autorités, dans la plupart des cas, n’agissent pas », et n’importe qui, y compris les Juifs, pourrait être le prochain

Les exemples cités ci-dessus ne sont qu’une petite fraction du schéma profondément troublant de l’antisémitisme et de l’incapacité et du refus de Poroshenko d’affirmer la primauté du droit. Ils n’incluent pas les attaques endémiques contre les communautés LGBT ou la façon dont les groupes d’extrême droite perturbent les tribunaux et défient l’application de la loi. Mais ils devraient suffire à montrer que l’empressement à accepter des promesses creuses de Poroshenko est d’une troublante naïveté.

Les Juifs américains devraient assurément saluer le libéralisme de Poroshenko – après que les organisations chargées de surveiller l’antisémitisme mondial ont confirmé que l’Ukraine s’améliore au lieu d’empirer. D’ici là, « la satisfaction » est la dernière chose que ceux qui s’intéressent à l’antisémitisme devraient ressentir à l’égard de l’Ukraine.

Lev Golinkin est l’auteur de A Backpack, a Bear, and Eight Crates of Vodka. [« Un sac à dos, un ours et huit caisses de vodka », NdT].

Source : Forward, Lev Golinkin, 20-05-2018

Le Forward est un journal juif américain publié à New York

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