Le Moyen-Orient et l’Amérique de Trump

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Le Moyen-Orient et l’Amérique de Trump

Titre d’Actualitica : « La nouvelle ère de Trump et le Moyen-Orient au bord de la crise »

Entretien Daniel Pipes (notre photo) réalisé par Matija Šerić.

Actualitica : Pouvez-vous nous donner votre avis sur la politique intérieure de Donald Trump durant les 100 premiers jours de son second mandat.

Daniel Pipes : Trump s’est radicalisé au cours des quatre années où il n’était plus au pouvoir, particulièrement lors de sa comparution humiliante en tant qu’accusé dans une morne salle de tribunal. C’est très déterminé qu’il est revenu à la présidence, accompagné d’une équipe qui lui est dévouée (plusieurs ont fait de la prison pour lui) et est tout aussi déterminée. Si, il y a dix ans, la vision politique de Trump était floue, aujourd’hui, les idées du programme MAGA (Make America Great Again) sont précises, cohérentes et ambitieuses. En faisant un usage agressif des prérogatives présidentielles, il se consacre à la transformation des États-Unis, depuis l’éducation jusqu’à l’économie, loin des Démocrates. Le fait que l’équipe de Trump soit plus en colère que compétente limite toutefois son impact à long terme. Je prédis que leurs nombreuses erreurs raviveront la gauche.

Actualitica : Les politiques de Trump ont-elles encore creusé les divisions internes entre libéraux et conservateurs ?

DP : Oui, elles ont à la fois renforcé les divisions et les ont brouillées, car Trump a adopté des politiques d’ampleur (soutien aux syndicats, attaque contre l’industrie pharmaceutique, protectionnisme) associées à la gauche.

L’affiche du film Civil War (2024).

Actualitica : Que pensez-vous des rumeurs d’une seconde guerre civile américaine ?

DP : Les Américains y pensent suffisamment pour qu’un film de 2024, Civil War, explore le sujet. Toutefois, cela reste extrêmement improbable, tout comme l’idée parallèle d’une sécession du Texas.

Actualitica : Les institutions étatiques russes ont-elles contribué de manière significative à la victoire de Trump en 2016 ?

DP : Non, l’idée en soi est absurde. OpenSecrets estime que les Américains ont dépensé 2,4 milliards de dollars pour l’élection présidentielle. À côté de cela, les dépenses russes étaient insignifiantes.

Actualitica : Comment percevez-vous la stratégie de Trump en matière de politique étrangère, notamment son protectionnisme, son retrait des organisations multilatérales, son hostilité envers les gouvernements amis et sa complaisance envers les gouvernements hostiles ?

DP : L’analyste en politique étrangère Walter Russell Mead observe que « malgré tous les discours sur le réalisme et la retenue, M. Trump a adopté le programme de politique étrangère le plus ambitieux de tous les présidents américains depuis Harry S. Truman [en 1945-1953]. » Le problème est que Trump n’a pas de philosophie directrice, vit dans son propre monde mental (Gaza, nouvelle Riviera, ci-dessous) et ignore des faits fondamentaux (par exemple, en soutenant que l’Ukraine « a déclenché » la guerre contre la Russie). Certaines personnes-clés de l’entourage qu’il s’est choisi (J.D. Vance, Tulsi Gabbard, Steve Witkoff) partagent ces lacunes. Globalement, la politique étrangère de Trump tend à effrayer les Américains et à plaire aux tyrans de Pékin.

Actualitica : Comment voyez-vous la résolution du conflit israélo-palestinien ?

DP : J’ai publié un livre sur ce sujet en 2024 : Israel Victory: How Zionists Win Acceptance and Palestinians Get Liberated [Victoire d’Israël : Comment les sionistes finiront par être acceptés et les Palestiniens libérés]. (Pour une version abrégée, cliquez ici.) En une phrase, Israël force d’abord les Palestiniens à accepter leur défaite, ensuite les deux camps mettent fin au conflit.

Actualitica : Quelle est la place de Jérusalem, et en particulier de la Vieille Ville, dans une telle résolution ?

DP : C’est une erreur de débattre de ces détails avant une résolution. D’une part, nous ignorons les circonstances, et il est donc vain de débattre des détails. D’autre part, les discussions sur le statut final détournent l’attention de la priorité urgente d’aujourd’hui : mettre fin au conflit. Concentrons-nous sur ce dernier point.

Actualitica : Les juifs radicaux pourraient-ils démolir la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher pour ouvrir la voie à la construction du Troisième Temple ?

DP : Un petit nombre d’entre eux y aspirent, mais il s’agit plus d’une idée que d’un projet. Ce sujet sert davantage à mobiliser les musulmans contre Israël qu’à représenter une menace réelle.

Voici comment l’organisation « The Third Temple » [Le Troisième Temple] envisage le Troisième Temple.

Actualitica : Si cela se produisait, le monde musulman tout entier se soulèverait-il et attaquerait-il Israël ?

DP : Pas tout à fait mais, si l’on se souvient de la réaction à l’incendie criminel de la mosquée Al-Aqsa le 21 août 1969 (j’étais en Israël à l’époque), la destruction des lieux saints islamiques sur le Mont du Temple aurait des conséquences considérables et terribles.

Actualitica : Que pensez-vous du projet de Trump de « prendre le contrôle » de la bande de Gaza et d’en faire la « Riviera du Moyen-Orient » ?

DP : C’est complètement absurde. Les troupes américaines vont-elles expulser jusqu’à deux millions de Gazaouis ? Pouvez-vous me citer un pays qui les accepterait ? Dites-moi qui investirait dans la bande de Gaza récemment vidée de ses habitants. Cette absurdité est en partie le reflet du passé de Trump dans l’immobilier, la preuve de son ignorance et la confirmation qu’il raconte n’importe quoi.

Actualitica : Les Palestiniens représentent environ la moitié de la population jordanienne. La reine Rania est également d’origine palestinienne. Pourquoi la Jordanie ne pourrait-elle pas devenir la Palestine ?

DP : Le sionisme, mouvement qui traduit concrètement le désir millénaire des Juifs pour Jérusalem et la Terre d’Israël, a profondément influencé les Palestiniens qui, désormais, considèrent eux aussi la terre située à l’ouest du Jourdain comme sacrée et historique. Après 150 ans de sionisme et presque aussi longtemps de son pendant musulman, l’idée que les Palestiniens acceptent Amman comme substitut de Jérusalem relève du pure fantasme.

Actualitica : En dépit de ses origines liées à Al-Qaïda, l’organisation Hayʼat Tahrir al-Cham (HTC) peut-elle apporter la paix en Syrie et réunifier un pays fracturé ?

DP : Je suis pessimiste et ce, pour deux raisons : l’idéologie islamiste de HTC lui aliène de nombreux Syriens et le président turc Recep Tayyip Erdoğan nourrit des ambitions inquiétantes pour une Syrie anarchique où, libéré des institutions et des lois turques, il pourrait construire en toute liberté un État client djihadiste.

Actualitica : Une normalisation entre l’État d’Israël et la République islamique d’Iran est-elle possible ?

DP : C’est très peu probable car Khomeini a fait de l’antisionisme un élément fondamental de la vision et du programme de la République islamique, un élément qui, 50 ans plus tard, demeure inchangé. En revanche, ce qui viendra après la République islamique fera probablement de la normalisation avec Israël une priorité. Ceci dit, le changement est permanent et les autocraties sont particulièrement imprévisibles. Le successeur de Khamenei pourrait donc vraisemblablement mettre un terme au poison antisioniste.

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