Le procès permanent d’Israël

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Depuis plusieurs décennies, nombre d’organismes internationaux ont perdu toute crédibilité en raison de leur parti pris systématique contre Israël. Les principes de justice et d’équité qu’ils prétendent incarner ont été dévoyés et transformés en instruments d’une guerre diplomatique menée sous le masque de la légalité. L’ONU, en particulier, s’est muée en tribune où l’antisémitisme prospère sous le vernis du langage institutionnel. Depuis sa création, l’État d’Israël a été condamné à des centaines de reprises par l’Assemblée générale, bien davantage que la Chine, la Syrie ou l’Iran réunis. En 2022, sur les 28 résolutions de l’ONU critiquant un État, 15 visaient exclusivement Israël¹ — un déséquilibre révélateur.

 

Le Conseil des droits de l’homme, organe supposé être le garant moral de la communauté internationale, illustre cette dérive : il consacre un point permanent de son ordre du jour à Israël — unique cas au monde² — tandis que des régimes autoritaires y siègent régulièrement sans être inquiétés. Pendant ce temps, les pires violations des droits humains — en Corée du Nord, au Venezuela, au Soudan, en Iran — passent sous silence. Jean-François Revel écrivait que la véritable maladie des institutions internationales n’était pas l’excès de cynisme, mais « l’illusion vertueuse qui sert à couvrir la lâcheté politique »³. L’illusion d’une impartialité universelle masque trop souvent la géopolitique des blocs et l’intérêt des dictatures à se liguer contre une démocratie vulnérable.

Dans ce contexte, voir des Israéliens chercher l’arbitrage d’instances prétendument supranationales pour accuser leur propre pays relève d’une double faute : morale, parce qu’elle confond la loyauté civique avec la dénonciation publique ; intellectuelle, parce qu’elle feint d’ignorer la nature idéologique des instances qu’elle sollicite. Il ne s’agit pas pour ces individus de s’opposer à des abus réels, mais de s’aligner sur une rhétorique hostile, celle-là même qui vise à réduire Israël à un État honteux, perpétuellement mis en accusation.

Ceux qui livrent Israël aux juges de La Haye, empressés de poursuivre ses dirigeants, s’inscrivent dans une pathologie bien connue de l’histoire juive : la haine de soi. Autrefois, elle prenait la forme d’une conversion religieuse ; aujourd’hui, elle passe par une allégeance fervente aux puissances moralisatrices occidentales, dans l’espoir d’obtenir un brevet de vertu. Pascal Bruckner a décrit cette tentation dans des termes clairs : « Le masochisme occidental, disait-il, est devenu un luxe intellectuel, et pour les Juifs, une forme de confort moral paradoxal : plus on accable son propre peuple, plus on s’élève dans l’estime des autres »⁴. On endosse ainsi le rôle du témoin à charge, ce supplétif commode qu’on exhibe pour accréditer l’acte d’accusation. L’auto-flagellation devient un passeport moral vers les cercles vertueux d’un Occident qui aime les Juifs à condition qu’ils parlent contre Israël.

Curieusement, ces mêmes individus, prompts à jeter Israël en pâture à des juridictions étrangères gangrenées par les préjugés, se drapent dans l’indignation dès qu’il s’agit de défendre la Cour suprême israélienne. Leur conception du droit est à géométrie variable : ils le sacralisent lorsqu’il sert leur combat, le méprisent lorsqu’il les contredit. Toute réforme judiciaire devient à leurs yeux une menace pour la démocratie, tandis que le recours à des magistrats notoirement hostiles à l’État juif leur semble légitime. Derrière le masque du légaliste se cache l’idéologue, prêt à instrumentaliser la justice à des fins politiques. Ce sont les habits du juste portés par le délateur.

Les Israéliens qui pactisent avec ces instances ne sont pas les vigies d’une démocratie en éveil, mais les rouages d’une machine idéologique forgée pour délégitimer leur propre pays. Leurs appels ne font que conforter ceux qui œuvrent à l’isolement, à la diabolisation, et, à terme, à la dissolution du projet sioniste. D’un adversaire, on attend qu’il vous combatte ; d’un compatriote, qu’il vous soutienne — ou, à défaut, qu’il garde le silence. Cette trahison feutrée rappelle l’épisode biblique des meraglim, ces espions envoyés observer la Terre promise et punis non pour leur prudence, mais pour leur manque de loyauté.

À cela s’ajoute le chœur des donneurs de leçons, juifs ou non, établis à l’étranger. Ils se croient investis d’un droit — sinon d’un devoir — de dicter à Israël ce qu’il doit penser, faire, concéder ou sacrifier. Qu’ils soient écrivains, philosophes, diplomates ou anciens responsables politiques, peu importe : leur assurance est souvent inversement proportionnelle à leur enracinement dans la réalité israélienne.

Ces oracles de salon n’ont de cesse d’invoquer les « devoirs » d’Israël, sa « responsabilité morale », son « exigence de modération ». Leur posture est d’autant plus insidieuse qu’elle se présente comme désintéressée. Ils se veulent amis critiques, alliés exigeants, intellectuels préoccupés par l’universel. Pourtant, leurs injonctions ne valent jamais pour d’autres. Nulle autre nation n’est sommée de renoncer à ses frontières, à sa sécurité, à sa mémoire. Nulle démocratie ne se voit contester son droit à l’autodéfense par ceux-là mêmes qui prétendent défendre les valeurs démocratiques.

George Steiner notait que « le monde pardonne facilement aux nations fortes, mais jamais aux survivants »⁵. Israël paie peut-être ce prix : celui d’exister contre toute attente, d’avoir survécu à l’histoire, et de vouloir décider seul de son avenir. Cette singularité irrite. Elle suscite des exigences que l’on n’oserait formuler à l’encontre d’aucune autre démocratie.

Cette hypocrisie alimente un climat délétère où Israël doit sans cesse justifier son existence, son identité, son armée, sa capitale. Cette rhétorique paternaliste, qui parle de paix en exigeant la soumission, est une variante contemporaine d’une hostilité ancienne : celle qui, jadis, imposait au Juif d’être invisible pour être toléré. Aujourd’hui, c’est l’État juif que l’on voudrait impuissant pour qu’il soit légitime.

Il ne s’agit pas ici de réclamer l’immunité d’Israël contre toute critique. Il s’agit de refuser que cette critique dégénère en délégitimation, en mise en accusation, en procès politique déguisé en combat pour la justice. Comme toute démocratie, Israël peut et doit s’interroger sur lui-même. Mais il ne le fera ni sous la menace d’un tribunal partial, ni sous la pression de ceux qui confondent l’universalisme moral avec une haine recyclée.

La souveraineté démocratique n’est pas un privilège. C’est la condition même de la liberté politique. Un peuple qui ne peut plus se défendre, ni militairement, ni symboliquement, ni juridiquement, finit par disparaître dans le discours des autres. Israël est à l’avant-garde d’un affrontement global : entre démocratie enracinée et droit hors-sol, entre légitimité politique et oukase judiciaire, entre mémoire vécue et idéologie flottante.

Il ne s’agit pas de fermer les portes. Il s’agit de tenir debout.

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  1. Données issues du rapport de l’ONU 2022 sur les résolutions adoptées par l’Assemblée générale (UN Watch, décembre 2022).
  2. Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Item 7 – Human rights situation in Palestine and other occupied Arab territories, permanent depuis 2006.
  3. Jean-François Revel, La connaissance inutile, Paris, Grasset, 1988, p. 93.
  4. Pascal Bruckner, Le Sanglot de l’homme blanc, Paris, Seuil, 1983, chap.
  5. George Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue, Paris, Gallimard, 1973, p. 125.

Author Daniel Horowitz

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