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Israël, le démineur du monde

Cet article, écrit par le journaliste israélien Amit Segal et publié dans le Wall Street Journal le 20 juin 2025, retrace l’histoire de la « doctrine Begin ».

Cet article, écrit par le journaliste israélien Amit Segal et publié dans le Wall Street Journal le 20 juin 2025, retrace l’histoire de la « doctrine Begin », une politique israélienne visant à empêcher tout État hostile de se doter d’armes nucléaires. L’auteur rend hommage à Menahem Begin qui, en 1981, ordonna la destruction du réacteur nucléaire irakien, malgré les condamnations internationales. Segal évoque également les applications ultérieures de cette doctrine, notamment la destruction d’un réacteur syrien en 2007 sous Ehud Olmert et les efforts de Benyamin Netanyahou pour lutter contre le programme nucléaire iranien. À travers une narration historique engagée, Segal souligne le rôle d’Israël, souvent critiqué mais secrètement admiré, comme « démineur » des menaces nucléaires au Moyen-Orient.
Article paru dans le supplément magazine mensuel d’ActuJ du mois de Juillet 2025
En cette heure historique où Israël élimine la plus grande menace pour la paix au Moyen-Orient depuis des décennies, le monde doit une immense gratitude au Premier ministre d’Israël – mais à un autre Premier ministre que celui auquel vous pensez : Menahem Begin, le premier leader de la droite israélienne à occuper le poste de Premier ministre, entre 1977 et 1983.

En 1980, des informations lui parviennent selon lesquelles l’Irak de Saddam Hussein construit un réacteur nucléaire avec l’aide de scientifiques français. « Je vis avec cela dans l’angoisse », confie-t-il aux membres de la Knesset. « Je me réveille au milieu de la nuit en pensant : mon D’ ! Saddam a dit que tout cela était dirigé contre Israël : devons-nous rester assis à attendre ? Je vois devant mes yeux mes deux petits-neveux assassinés pendant la Shoah, et tous les enfants d’Israël. Là-bas, c’était le gaz ; ici, ce serait un poison radioactif. »

En juin 1981, Begin envoie huit pilotes de l’armée de l’air attaquer le réacteur, dans une mission considérée alors comme hors de portée des avions F-16 américains. Le réacteur est complètement détruit. Le lendemain, à la stupéfaction générale, ce n’est pas le dictateur qui tentait d’acquérir illégalement une arme nucléaire qui est condamné, mais la démocratie qui a cherché à empêcher son utilisation : la plupart des nations du monde critiquent vivement la décision d’Israël, à commencer par les États-Unis. Le président Reagan est furieux qu’Israël ait utilisé des armes défensives à des fins offensives – l’acteur hollywoodien bronzé et optimiste ne s’entend pas avec le survivant de la Shoah pâle et pessimiste. Malgré son attitude amicale envers Israël, il impose un embargo partiel sur les armes, levé après quelques semaines, et les États-Unis soutiennent une résolution de l’ONU condamnant Israël, allant même jusqu’à imposer un embargo temporaire sur les pièces détachées. Begin reste impassible : « Même si cette résolution est adoptée et même si les Américains votent pour, nous survivrons. Si le réacteur était resté intact, nous n’aurions pas survécu. »

Neuf ans plus tard, lors de la première guerre du Golfe, le vice-secrétaire à la Défense, Dick Cheney, envoie une lettre d’excuses et de remerciements à l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis pour la destruction du réacteur irakien. Il a parfaitement compris que sans l’attaque israélienne, personne n’aurait pu sauver le Koweït des griffes de Saddam Hussein.

Ainsi fut établie la « doctrine Begin » : la détermination d’Israël à ne pas permettre à un État hostile de se doter d’armes nucléaires. Après tout, comme l’a dit un jour un dirigeant iranien, Israël est « un pays d’une seule bombe » : une seule bombe sur la région de Tel Aviv tuerait une part importante de la population et détruirait l’économie. La taille géographique d’Israël et l’ampleur de la haine antisémite de ses ennemis ont créé une combinaison que Begin estimait inacceptable.

En 2007, la doctrine a été mise à l’épreuve une nouvelle fois : sous un voile de secret, la Syrie construisait un réacteur nucléaire dans une structure cubique au cœur du désert de Deir ez-Zor. Des agents du Mossad ont découvert son existence presque par hasard, sur l’ordinateur d’un haut responsable syrien séjournant dans un hôtel à Vienne. Sur ordre du Premier ministre Olmert, les avions de l’armée de l’air ont détruit le réacteur. Au préalable, Olmert a proposé au président américain George W. Bush que les États-Unis se chargent d’attaquer le réacteur, mais celui-ci a poliment décliné. Israël a donc pris à nouveau la responsabilité d’éliminer la menace. Imaginez ce qui serait arrivé si, lorsque la révolte en Syrie a éclaté, Bachar el-Assad avait possédé une bombe atomique…

Mais le plus grand et le plus redoutable des défis est celui auquel a été confronté Benyamin Netanyahou. Le régime des ayatollahs en Iran avait tiré les leçons des attaques israéliennes et, au lieu d’un réacteur, avait dispersé son programme nucléaire à travers le pays. La tâche semblait impossible : il ne s’agissait pas d’une attaque ponctuelle, mais de multiples frappes, à une distance allant jusqu’à 2000 kilomètres d’Israël.

Cette fois encore, de colossales forces internationales se sont opposées au Premier ministre : les présidents américains Obama et Biden ont fait tout leur possible pour empêcher une attaque. Obama a signé avec l’Iran un accord nucléaire qui a laissé les installations intactes, et en 2012 ses collaborateurs ont travaillé en coordination avec les autorités sécuritaires locales pour empêcher une telle attaque. Lorsque, en 2015, le Premier ministre israélien s’est exprimé devant le Congrès contre l’accord nucléaire, il a été boycotté par Obama et qualifié de va-t-en-guerre. Une fois de plus, certains ont volontairement choisi de se ranger du mauvais côté de l’Histoire.

Netanyahou a relevé le défi de Begin avec brio. Le 7 octobre a été le plus grand échec militaire d’un Premier ministre israélien, mais convaincre l’administration Trump de soutenir une attaque a été le plus grand succès diplomatique de tous les temps d’un Premier ministre. Israël n’a pas seulement attaqué le programme nucléaire iranien – il a conquis l’Iran par les airs. Le régime qui envoyait ses proxies à travers tout le Moyen-Orient et aspirait à devenir un empire a été exposé dans toute sa faiblesse. La puissance régionale qui menaçait les États-Unis est désormais totalement vulnérable.

Quel dommage que les États-Unis n’aient pas adopté la doctrine Begin face à la Corée du Nord ! Cela aurait épargné au monde la peur constante qu’un accès de colère du dictateur entraîne le monde dans un hiver nucléaire.

Israël est le démineur du monde : il neutralise les bombes qui tictaquent dans l’arrière-cour juste avant qu’elles n’explosent. Beaucoup lui sont reconnaissants en leur for intérieur, même s’ils le condamnent publiquement.

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