Les Juifs font (encore une fois) les frais d’une crise d’identité de...

Les Juifs font (encore une fois) les frais d’une crise d’identité de l’Occident chrétien

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Par Yves Mamou
Tribune Juive
« J’accuse » ! Melanie Phillips, journaliste et analyste politique britannique, a pointé un doigt accusateur contre le Premier ministre de Grande-Bretagne après l’attentat islamiste du 2 octobre contre une synagogue de Manchester. « L’establishment politique et culturel britannique a aujourd’hui du sang sur les mains », a-t-elle dit, après que deux Juifs aient été tués par un islamiste au volant d’une voiture bélier.

L’hostilité des Européens envers Israël est allée crescendo.
Depuis le 7 octobre 2023, date du déclenchement de la guerre du Hamas contre Israël, l’hostilité des Européens envers Israël s’est accrue, ce qui se traduit par des violences contre les Juifs.

Grande-Bretagne. « Depuis deux ans, la chasse aux Juifs est ouverte en Grande-Bretagne », affirme Melanie Phillips. « Les Juifs orthodoxes sont régulièrement agressés. Sur les campus, les étudiants juifs dissimulent leurs lieux et horaires de réunions, de peur d’être attaqués. (…) Des supermarchés boycottent les produits israéliens sans que le gouvernement s’y oppose, (…) et depuis deux ans, la communauté juive débat de la question de savoir (…) si elle doit plier bagage et partir. »

En France, Emmanuel Macron a solennellement appelé à un État-Hamas à la tribune de l’ONU, a interdit aux entreprises de défense israéliennes d’exposer à Eurosatory en 2024, et a voilé de noir les stands israéliens au salon aéronautique du Bourget. Pas une semaine ne passe sans qu’une violence soit commise contre les juifs, lesquels se demandent s’ils doivent plier bagage et partir.

En Espagne, le gouvernement de Pedro Sanchez applique un embargo de facto sur les ventes d’armes à Israël ; rompt des contrats déjà signés dans le domaine de la défense ; interdit l’accès des ports espagnols aux navires transportant du carburant destiné à l’armée israélienne ; bloque l’importation de produits issus des implantations juives en Judée-Samarie ; interdit l’entrée sur son territoire à deux ministres qui « ont participé au génocide » ; félicite les propalestiniens qui harcèlent l’équipe cycliste israélienne ; a augmenté son aide financière à l’UNRWA, gravement compromise dans le pogrom du 7 octobre.

Les Pays-Bas ont interdit l’entrée sur leur territoire à deux ministres israéliens associés à l’extrême droite, Itamar Ben-Gvir (ministre de la Sécurité nationale) et Bezalel Smotrich (ministre des Finances) ; ils ont appelé à la suspension partielle de l’accord d’association commercial entre l’Union européenne et Israël, et en août 2025, le ministre des Affaires étrangères néerlandais, Caspar Veldkamp, a démissionné après avoir échoué à faire adopter des sanctions plus larges contre Israël… Rappelons aussi qu’en novembre 2024, des supporters israéliens venus à Amsterdam pour assister au match Ajax–Maccabi Tel Aviv ont fait l’objet d’une chasse à l’homme dans toutes les rues de la ville, menée essentiellement par des résidents d’origine marocaine et des militants d’extrême gauche.

Une crise qui n’épargne pas les États-Unis.
À gauche, le Parti démocrate « est devenu un champ de bataille entre des factions potentiellement irréconciliables » et une forte minorité soutient le « peuple palestinien ». Les universités d’élite qui fournissaient les bataillons du Parti démocrate ont laissé des associations étudiantes (islamisées) harceler et menacer les étudiants juifs au nom de la lutte contre le sionisme.

À droite, la question juive divise le mouvement MAGA (Make America Great Again). Une majorité d’électeurs du parti républicain soutient Donald Trump dans son aide à Israël et dans la lutte contre l’antisémitisme. Mais le journaliste Tucker Carlson, ancien de Fox News, qui dispose d’une audience considérable sur le continent américain, a pris la tête d’un courant isolationniste de droite qui prône la rupture des liens avec Israël et accuse les Juifs de complot contre le peuple américain.

« Les Juifs sont l’outil d’un combat politique bien plus vaste ».

Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi Israël est-il en position d’accusé alors qu’il n’a fait que répliquer à un acte de guerre commis par une armée terroriste ? Que dissimule l’humanitarisme propalestinien des Occidentaux ?

Michael Doran, directeur du Center for Peace and Security in the Middle East au Hudson Institute, a-t-il raison d’écrire que « les Juifs sont l’outil d’un combat politique bien plus vaste » ?

Aux États-Unis, les tirs croisés de la gauche et d’une partie de la droite contre Israël et les juifs « sont la conséquence d’un débat plus large sur le rôle de l’Amérique dans le monde. (…) Deux décennies de guerres au Moyen-Orient – ​​de l’Irak à l’Afghanistan en passant par la Syrie – ont amené les Américains à s’interroger sur le coût de leur engagement », écrit Michael Doran.

Et Michael Doran demande : « L’Amérique doit-elle rester la puissance prééminente dans toutes les régions du globe ? Doit-elle se retirer du Moyen-Orient et, éventuellement, d’Europe ? Doit-elle se retirer complètement, lever les pont-levis et se concentrer sur elle-même ? ».

Questions légitimes, mais qui en dissimulent d’autres. Derrière cette question, s’en profile une autre poursuit Michael Doran : la question du sens. « Qu’est-ce que l’Amérique et quel rôle Israël joue-t-il dans son histoire ?

« Dès le début, les Américains ont façonné leur propre image à l’image d’Israël. Cette identification est bien antérieure à la République. En 1630, alors que le chef puritain John Winthrop et ses disciples s’apprêtaient à embarquer sur l’Arbella, le prédicateur John Cotton leur assura : « Ce que [D’] a été pour son Israël d’autrefois, il le sera pour la Nouvelle-Angleterre. [L]orsque D’ accorde une faveur à un peuple, il conclut son alliance avec lui, comme Il l’a fait avec Abraham. »
« En traversant l’Atlantique, les Puritains se considéraient comme des Israélites traversant la mer Rouge. Ils ont tracé la Terre Sainte sur le désert : Béthel, Salem, Sion, le mont Éphraïm. La baie du Massachusetts était la Nouvelle Jérusalem née de la corruption européenne. »

Aujourd’hui encore, pour une partie des Américains, les frontières entre Israël et les États-Unis n’existent pas.

Israël pose à l’Europe la question de son identité

Pour les Européens aussi, la relation hostile à Israël est ambivalente.
Les gouvernements de France, d’Espagne, du Royaume-Uni ont des raisons conjoncturelles de s’en prendre à Israël.

En Italie, aux Pays-Bas… dans chaque pays européen, l’hostilité à Israël s’explique par des contraintes de politique intérieure.

Mais en Europe comme aux États-Unis, la politique intérieure n’explique pas tout.

L’hostilité au « sionisme » dissimule une question civilisationnelle.

La Palestine comme symbole « d’altérité ». Depuis les années 1970, la gauche occidentale a réinterprété le conflit israélo-palestinien non pas comme une guerre religieuse entre islam et judaïsme mais comme une lutte entre « colonisé contre colonisateur ». Dans ce schéma, Israël est perçu comme l’appendice d’un Occident haïssable et discriminateur (capitaliste, colonial, esclavagiste). Et la Palestine devient objet d’amour parce qu’elle incarne le dominé, le Sud global, et tous les codes islamiques.

La Palestine comme outil de rupture des Occidentaux avec leurs racines judéo-chrétiennes. Les penseurs progressistes, aujourd’hui dominants dans les universités, affirment qu’assimiler l’Europe, et plus largement l’Occident, à une identité judéo-chrétienne est une mystification.
D’autres expliquent que ces racines judéo-chrétiennes ont généré des siècles de domination, d’exclusion sans parler des « structures patriarcales » :
— Michel Foucault, l’un des premiers, a tenté de montrer que le christianisme a transformé le rapport au corps et à la morale sexuelle en imposant un régime de confession, de culpabilité et de pouvoir normatif[1].
Judith Butler, universitaire à Berkeley (Californie), écrit que « les catégories de genre et de sexualité dans la modernité occidentale sont historiquement configurées dans le cadre des traditions judéo-chrétiennes »[2].
Silvia Federici, philosophe, historienne et militante féministe marxiste, montre que le « travail domestique » est un impensé de la réflexion sur l’exploitation capitaliste et que la naissance du capitalisme repose sur une culture religieuse chrétienne qui a sacralisé la hiérarchie masculine[3].
On pourrait citer toute la galaxie des penseurs de gauche comme Edward Saïd[4] qui critique le regard que les Occidentaux ont porté sur l’Orient, ou Talal Asad[5], anthropologue britannique d’origine pakistanaise qui tente de montrer que la laïcité européenne n’est pas une rupture avec le christianisme, mais une reconfiguration du pouvoir de ce même christianisme.S’abonner

Pour les Européens, défendre la Palestine revient donc, symboliquement :

  • à délégitimer Israël en tant que nation ‘coloniale’ ;
  • à délégitimer Israël comme fondateur historique du monothéisme biblique (rappelons que le pape François s’est recueilli devant un Jésus emmailloté d’un keffieh en plein Vatican) ;
  • à tourner la page d’un héritage historico-religieux « trop lourd » (racines juives et chrétiennes) ;
  • et à réinventer l’Europe sur une base multiculturaliste où l’islam devient un partenaire de refondation.

Tel pourrait être le sens à donner à la hargne des Européens envers Israël : une fuite en avant dans le multiculturalisme.

Pour une partie de la gauche européenne, l’islam, par le biais de l’immigration et de la visibilité musulmane en Europe, est perçu comme un outil de rédemption.

Dans son premier discours devant l’Assemblée générale des Nations unies depuis 2020, Donald Trump a parfaitement décrit ce que l’Europe progressiste tentait de faire avec l’immigration musulmane : « détruire son héritage ».
« Si vous n’arrêtez pas des gens que vous n’avez jamais vus auparavant, avec lesquels vous n’avez rien en commun, votre pays va échouer », a-t-il déclaré.
« Vous voulez être politiquement corrects, mais vous détruisez votre patrimoine », a-t-il conclu.

Mais si tel était le but ? Détruire Israël pour mieux se détruire soi-même.

© Yves Mamou

 


Notes

[1]  Histoire de la sexualité (1976–1984) Michel Foucault, Gallimard

[2] Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity, Judith Butler, Routledge, 1990

[3] Caliban and the Witch: Women, the Body and Primitive Accumulation, Silvia Federici, Autonomedia, 2004

[4] Orientalism, Edward Saïd, Pantheon Books, 1978

[5] Formations of the Secular Christianity, Islam, Modernity, Talal Asad, Stanford University Press, 2003

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